Entre une chute du nombre de touristes chinois, une monnaie trop forte, une attractivité accrue des pays voisins, la crise économique et le mouvement des gilets jaunes, l’année 2019 s’annonce relativement mauvaise pour la Thaïlande, avec des effets qui pourraient perdurer si l’industrie ne parvient pas à se renouveler dans le futur.
Alors que les titres des médias thaïlandais traduisent ces derniers mois une certaine inquiétude du secteur du tourisme, l’Office du tourisme en Thaïlande (TAT) affirme que le royaume devrait encore une fois battre un record avec plus de 40 millions de visiteurs étrangers, soit une perspective de hausse de 2% par rapport à 2018. Si les projections de la TAT se veulent optimistes compte tenu des chiffres alarmistes de ces dernières semaines, la Thaïlande reste loin de la croissance qu’elle a connue ces dernières années oscillant depuis 2010 entre +7% et +20% (avec un exception en 2014 où le nombre de touristes avait chuté de 6,54%).
Entre janvier et juin 2019, les statistiques officielles ont enregistré 19,9 millions d’arrivées internationales, une croissance de 2% comparée à la même période de 2018. Ces touristes internationaux ont généré un revenu estimé à 1,04 milliard de bahts (+3%).
“Sur les six premiers mois de 2019, le nombre de touristes est stable. Nos attentes sont comblées au vu de facteurs externes comme une situation globale instable, des problèmes économiques en Europe et au Moyen-Orient, les tensions commerciales et la nouvelle vague de sanctions économiques, la concurrence croissante avec les autres destinations, la chute du marché chinois et la force du baht thaïlandais”, explique Tanes Petsuwan, gouverneur adjoint chargé de la communication et du marketing de l’Office du Tourisme de Thaïlande (TAT).
Mais les chiffres officiels contrastent avec le taux d’occupation de certains hôtels. Dans les villes de Phuket et de Pattaya, des agents du secteur parlent d’une chute du nombre de touristes de l’ordre de 30% alors qu’à Chiang Mai, la ville accueillerait 10% de visiteurs en moins.
“Cette année, le manque de touristes est flagrant, il est au moins de 30%, les chiffres officiels sont faussés”, affirme Claude de Crissey, directeur de la société Crissey Co.,Ltd, groupe d’affaires liées au tourisme, et consul honoraire de France à Phuket.
“En 2018, nous pensions avoir touché le fond, mais c’est pire cette année” commente Thierry Danzas, gérant du restaurant La Notte à Pattaya et ancien Chef au Pullman Pattaya Hotel G.
“Un baht fort, la pollution, l’accident de bateau à Phuket, sont autant de facteurs qui amènent à une baisse du tourisme”, confirme La-iad Bungsrithong, directrice de l’hôtel Ratilanna à Chiang Mai et présidente de l’Association des hôtels pour la région du nord du pays. “Au Ratilanna, à l’été 2018 nous avions un taux d’occupation de 75%, cette année il est seulement de 56%.”
Un taux d’occupation en berne pour certains établissement qui trouve son origine dans le nombre croissant d’offres d’hébergement mais aussi dans la baisse de certains marchés comme celui des touristes chinois.
Chute du marché principal
Depuis le naufrage qui a tué 47 Chinois à Phuket en juillet 2018, les Chinois continuent, un an plus tard, de bouder la Thaïlande.
Entre le mois de janvier et le mois de mai 2019, la Thaïlande a accueilli 4.813.732 Chinois, un chiffre en baisse de 4,31% par rapport à la même période en 2018. Le mois de juin affiche des scores encore plus bas puisque les autorités parlent d’une baisse de 12% des visiteurs chinois en comparaison au mois de juin 2018.
Une décroissance conséquente et qui ébranle le secteur lorsqu’on sait que le pays accueille depuis 2017 près de 10 millions de Chinois par an, ce qui représente 27% des étrangers qui voyagent en Thaïlande alors qu’en 2009, à peine 777.508 Chinois se rendaient dans le royaume selon le Ministère du tourisme.
“Les touristes chinois viennent toute l’année tandis que les clients européens sont plus saisonniers, à Phuket, depuis quelques années il n’y avait plus autant de différences entre la haute et la basse saison, nous nous étions habitués à avoir du monde tout le temps”, explique Claude de Crissey. “Pour faire face à l’afflux de touristes chinois et étrangers, les promoteurs ont dû construire plus d’hôtels pour assurer assez de chambres en haute saison. Avec une diminution des Chinois, ils doivent trouver d’autres clients et donc ils cassent les prix, ce qui n’est pas bon pour tout le monde”.
A Chiang Mai, La-iad Bungsrithong raconte qu’il y a moins de voyageurs chinois et qu’il y a plus d’hôtels et d’offres d’hébergement avec des sites comme Airbnb qui influencent les taux d’occupation et qui pour les hôteliers donnent l’impression qu’il y a moins de visiteurs. “Il faut changer et arrêter de dépendre du tourisme chinois, il existe d’autres marchés en visant des touristes de qualités” explique-t-elle.
Appréciation du baht
L’appréciation record de la monnaie thaïlandaise est un autre facteur qui affecte d’une certaine manière le tourisme. Avec un taux de change oscillant entre 34 et 35 bahts pour un euro, les visiteurs voient leur pouvoir d’achat réduit dans le pays mais aussi au moment de la réservation puisque les agences de voyages pour ne pas connaître de baisse dans leurs bénéfices ont dû augmenter leurs prix de 10% en moyenne. Les restaurants en Thaïlande qui importent des produits ont dû revoir leurs tarifs ou doivent accepter de diminuer leur marge.
Pour des villes comme Phuket ou Pattaya ou viennent de nombreux retraités qui reçoivent leur pension en Euros et des touristes qui restent parfois jusqu’à six mois par an, la force actuelle du baht est un frein. “Sur un budget de séjour, cela représente vite 10% de pouvoir d’achat en moins” commente Claude de Crissey.
“Le taux de change a un effet négatif parce que nous avons dû augmenter nos circuits de 10% et avons donc perdu les familles avec un budget réduit pour qui la Thaïlande devient trop chère en passant par une agence” explique Ben Lefetey, directeur de l’agence de voyage Thaïlande Autrement.
Toutefois, l'appréciation de la monnaie thaïlandaise semble avoir moins d’effets sur certains segments. “Je ne pense pas que pour les touristes, un baht fort soit un critère pour réserver ses vacances. Cela n’aide pas, mais en même temps cela n’a pas tellement d’incidence surtout pour un séjour de deux semaines”, estime Maxime Gaillard, directeur de Baan Thong Ching Resort à Khanom dans la province de Nakhon Sri Thammarat.
Règles contraignantes
Pour inciter les touristes étrangers à venir en Thaïlande, le gouvernement a mis en place une exemption sur les frais de visa à l’arrivée pour une vingtaine de nations dont la Chine jusqu’au 31 octobre.
Mais si les règles sont assouplies pour certains voyageurs, pour d’autres elles se rigidifient et visent surtout les étrangers qui ont l’habitude de rester sur du moyen ou long terme en Thaïlande. “Pendant de nombreuses années la Thaïlande était un pays où les gens restaient longtemps. Avec le durcissement pour obtenir des visas touristiques à plusieurs entrées ou pour le visa de retraité, les Européens partent pour d’autres pays plus simples d’un point de vue administratif”, explique Thierry Danzas qui habite à Pattaya depuis 25 ans. Ces dernières années, il n’est plus possible de faire une demande de visa touristique double entrées pour la Thaïlande depuis la France, il faut prouver un montant de 1.000 euros sur un compte en banque et disposer des confirmations de vol retour dans une période de 60 jours tandis que pour les visas de retraités, il faut désormais avoir une assurance santé.
Les autorités ont ajouté ces derniers mois une nouvelle tracasserie administrative en appliquant strictement une loi d’immigration de 1979 qui prévoit que tout déplacement d’un étranger en Thaïlande (en dehors de sa province de résidence et pour une durée supérieure à 24 heures) doit faire l’objet d’un signalement aux services de l’immigration sous peine d’une amende pouvant aller jusqu’à 5.000 voire 10.000 bahts.
Pour les étrangers qui logent à l’hôtel, rien ne change a priori puisque les hôtels se chargent depuis le début de déclarer les voyageurs. Mais c’est une toute autre chose pour les résidents qui vont passer un week-end chez de la famille ou des amis, ainsi que pour les usagers de AirBnB. Une pétition en ligne a été lancée ce dimanche 28 juillet par le blogueur américain spécialiste du tourisme Richard Barrow qui n'hésite pas à s’adresser directement au Premier ministre thaïlandais suggérant quelque assouplissement, voir un changement, de cette règle contraignante.
Parmi les règles jugées néfastes à l'attractivité touristique figurent aussi l’interdiction de la cigarette sur certaines plages et surtout les mesures répressives vis-à-vis de la cigarette électronique et le tapage médiatique que cela peut générer, comme la mésaventure d’une touriste française passée en quelques heures des plages paradisiaques à l’enfer des geôles thaïlandaises et dont le témoignage largement diffusé l’an dernier retentissaient encore ce mois-ci.
L’effet “Gilets jaunes” sur les touristes français
Du côté des Français, après un bond de 6,3% en janvier et juin, l’été voit une diminution de 22% de clients ayant réservé via une agence de voyages selon le Syndicat des Entreprises du Tour Operating en France (SETO)
“Par rapport à 2018, nous observons une baisse de 10 à 15% de réservations” explique Nathalie Delevaux, directrice des opérations chez Asiajet, une agence de voyages spécialisée sur l’Asie du Sud-est.
“Fin 2018, nous étions en pleine croissance avec une augmentation de 40% de réservations, nous pensions pouvoir continuer sur 2019, mais en mars, avril et, mai nous avons subi une baisse de 20%, l’été s’annonce stable” ajoute Ben Lefetey, directeur de l’agence de voyage Thaïlande Autrement.
Selon le SETO, le contexte social et politique français est pointé du doigt dans les prises de commandes qui n’ont retrouvé leur croissance qu’à partir du mois d’avril et de mai après une baisse pendant la saison hivernale.
“Au départ nous pensions aussi aux gilets jaunes, à la force du baht par rapport à l’Euro, cette année les destinations les plus attractives sont dans le bassin méditerranéen : la Croatie, la Grèce… Les destinations, c’est cyclique, il y a des effets de mode. Par contre, les réservations pour la Thaïlande en 2020 sont déjà bien parties”, ajoute Nathalie Delevaux.
“Les premières manifestations des Gilets jaunes (17 novembre, NDLR) ont eu lieu au début de l’hiver, à une période où les gens pensent à réserver leurs vacances, les Français se sont demandé si c’était une bonne idée de voyager dans un contexte où le pouvoir d’achat est morose, avec le blocage des routes et des transports… Ensuite au mois de janvier, c’est la pollution à Bangkok et à Chiang Mai, qui a fait la Une des médias, cela a terni l’image de la Thaïlande auprès des Français”, commente Ben Lefetey.
De Chiang Mai à Phuket en passant par Pattaya, on reproche souvent à la presse le fait qu’une partie du public pense que la pollution sévit encore en juillet et août à Bangkok et dans le nord de la Thaïlande, une destination particulièrement prisée du public français. On reproche aussi aux médias de réduire trop souvent l’offre thaïlandaise à ses quartiers chauds comme à Phuket et Pattaya.
“Pattaya n’a jamais réussi à se trouver une clientèle. Avant, c’était les Européens, puis les Russes et les Chinois, maintenant les Indiens, mais la station balnéaire continue de souffrir d’une mauvaise réputation”, commente Thierry Ganzas. “Pattaya n’est pas la ville décrite par les médias, elle a son quartier chaud comme partout, mais ce n’est pas que cela, à Pattaya on trouve tout, sur une semaine, il y a moyen de faire une excursion par jour”, ajoute Eugène, un Français installé à Pattaya depuis 30 ans et qui possède plusieurs restaurants et hôtels dans la station balnéaire.
Ambitions à la hausse
L’Office du tourisme s’est fixé comme objectif pour l’année 2020 d’accroître de 10% les revenus liés au tourisme en misant sur une stratégie de communication de longue date consistant à cibler les visiteurs “de qualité” en proposant des destinations moins connues, à l’écart du tourisme de masse.
Lire : La croissance à tout prix?
“Par rapport à l’année dernière, je suis en augmentation de 50%”, se réjouit Maxime Gaillard qui a repris un hôtel il y a un an et demi à Khanom dans la province de Nakhon Sri Thammarat. “Dans la région, le tourisme ne fait que se développer, on voit principalement des voyageurs allemands, belges, néerlandais… ce sont souvent les nationalités précurseures dans le tourisme, des gens plus aventuriers alors que les Français préfèrent les destinations établies”, ajoute-t-il.
Pour le jeune Français qui a passé 5 ans à Phuket avant de s’installer à Khanom, le tourisme n’est pas en baisse, mais il y a un changement de marché et c’est à l’industrie du tourisme de s’adapter, à développer d’autres offres plus personnalisées et de qualité.
“Si nous n’avions pas revu le programme de nos circuits en 2018 en proposant des activités qui répondent aux nouvelles demandes, nous serions en baisse cette année” explique Ben Lefetey.
La Thaïlande bénéficie toujours d’une image attractive auprès du public, le pays a un potentiel énorme, mais doit pouvoir s’ajuster à la concurrence des pays voisins qui s’ouvrent de plus en plus comme le Vietnam, le Cambodge, la Birmanie… “Avant, il n’y avait pas trop de compétition. Il y a 30 ans, la Thaïlande avait la meilleure offre d’Asie au niveau de l’hôtellerie, aujourd’hui il n’y a toujours pas d’école hôtelière digne de ce nom! La Thaïlande a vécu sur un acquis touristique sauf que les voyageurs sont plus volatiles”, s'inquiète Thierry Danzas.
Cette volatilité, la Thaïlande en a récemment fait l'expérience avec la baisse du nombre de Chinois et avant eux les Russes lorsque le rouble a chuté en 2014.
Pour autant le royaume a encore quelques marchés juteux dans son sac comme les touristes chinois voyageant en individuel et le marché indien. Les autorités thaïlandaises tablent d’ici à 2028 sur 10 millions de touristes indiens, et plus de 20 millions de Chinois, soit respectivement 15% et 30% des visiteurs annuels.
D’après les prévisions du World Travel & Tourism Council le nombre de touristes étrangers voyageant en Thaïlande pourrait augmenter de plus de 60% d’ici 2029, soit 65 millions de touristes, autant que la population actuelle du royaume.
Mais avant de voir aussi loin, Juliette Laborde, assistante marketing de Thai Property Group et La-iad Bungsrithong rappellent que l’année n’est pas encore finie et que la haute saison redémarre au mois de novembre et que les développements des aéroports de Phuket, U-Tapao et Chiang Mai sont des signes que le pays attend un nombre croissant de visiteurs dans les prochaines années.