Après avoir joué chez Blier, Desplechin ou encore Le Guay, l’acteur Vincent Nemeth est à Athènes pour le tournage d'un film avec Costa-Gavras. Conversation au fil de l'eau.
Le 16 mars dernier, dans la librairie Lexikopoleio, parmi les lecteurs volontaires du Marathon de lecture francophone, Vincent Nemeth, acteur et comédien, s'est fait remarquer pour sa superbe lecture, très émue - et émouvante - d'un échange de lettres entre Camus et Maria Casarès. De Camus à Tchekhov, de son tournage avec Costa-Gavras aux marionnettes, Vincent Nemeth s'est confié à nous, de sa voix suave.
Fanny Vaury : À la librairie Lexikopoleio, vous nous avez lu deux lettres de Camus à Casarès et leurs réponses. L'auditoire a été saisi par la beauté de votre lecture et par l'émotion qui s'en dégageait. Pour quelles raisons avez-vous choisi de lire cette correspondance ?
Vincent Nemeth : Je voulais faire un travail autour de ce texte (NDLR : plus de 600 pages d'échange épistolaire, publié chez Gallimard). Mais les droits avaient déjà été achetés pour Isabelle Adjani et Lambert Wilson, dont le spectacle a été présenté l'an dernier à Avignon.
J'étais donc ravi de pouvoir le proposer à la librairie, j'y ai pensé aussitôt.
J'ai tenu à lire deux textes : on a la chance d'avoir une correspondance avec deux personnes qui s'écrivent et se répondent ; c'était bien d'avoir les deux voix.
La lecture en public, c'est un exercice subtil...
Oui, et justement, j'aime beaucoup ce genre d'exercice, j'en fais assez souvent. C'est quelque chose d'assez simple, il n'y a pas de problème de mise en scène, c'est vraiment le texte que viennent écouter les gens. On n'incarne pas, on ne fait que transmettre une parole. On doit la laisser résonner en nous, et surtout chez l'auditeur. Bien sûr, il y a un travail, sur la structure de la langue, sur la façon dont on laisse apparaître les images chez l'auditeur : c'est ce qui me passionne. Il ne faut pas trop interpréter ; je ne veux pas emprisonner dans un style ou une couleur. Telle est la fin du travail de l'acteur : rendre la parole vivante.
Cette correspondance de Camus et Casarès, je trouve qu'elle est importante. Elle donne un visage très différent à Camus, dont l'écriture est toujours très construite, maîtrisée. Là, même si on sent bien que c'est un auteur qui écrit, il est un peu plus fragile. Quant à Casarès, qui n'est pas écrivain mais qui écrit très bien, elle m'a touché parce qu'elle est sans filtre. Elle dit ce qu'elle est vraiment et elle le dit bien. On peut l'entendre à ce sujet dans l'une des émissions Apostrophes, de Pivot.
Quelles lectures vous ont marqué ? Y a-t-il des ouvrages qui vous ont accompagné plus que d'autres ?
J'ai beaucoup lu et relu Tchekhov, que je croyais bien connaître, mais qui se révèle toujours étonnant. C'est lui qui a amené à la dramaturgie moderne et a ouvert le théâtre à des choses moins héroïques. Ses personnages ne sont pas des héros : ils vivent des choses et parlent de la vie. Il traite du mystère de ce qui nous préoccupe, de ce qui nous rend vivants, nous maintient en vie... Je le redécouvre en ce moment avec grand plaisir.
Proust et Dostoïevski m'ont beaucoup marqué, aussi. Mais plus récemment, j'ai découvert des auteurs, comme Čapek et sa Guerre des Salamandres, qu'a traduit une amie.
C'est la deuxième fois que vous tournez avec Costa-Gavras, puisque vous aviez incarné Alain Faure, dans le Capital en 2012. Qu'est-ce qui fait la singularité de ce réalisateur à vos yeux ?
Costa-Gavras est là du début à la fin, il dirige tout, il n'arrête pas. Il a une énergie absolument incroyable. Et puis c'est quelqu'un qui aime beaucoup les acteurs ; il a un regard sur notre travail qui est très agréable. Il nous laisse une proposition ouverte, puis on discute ensemble, on corrige : il nous dirige comme ça, petit à petit.
Ce nouveau film se consacre à la crise grecque vue depuis l'Eurogroupe, en 2015. Est-ce une sorte de thriller politique comme on l'a vu par le passé dans l’œuvre de Gavras ?
Non, le sujet est annoncé, on en connaît le dénouement ; le film est fidèle à la réalité. Les personnalités grecques alors en poste sont des personnages du film ; on les suit à travers leur périple complexe dans les méandres de la bureaucratie européenne. Le film se concentre sur l'expérience de Varoufakis, joué par Christos Loulis. Pour ma part, j’incarne Michel Sapin, alors Ministre français de l’Economie.
Vous vous êtes rendu à Hydra : était-ce pour le tournage ?
Ah non, j'y suis allé de mon côté, car j'ai eu 6 jours de temps libre. Je voulais voir une amie, et puis une île sans voitures, c'est très attirant. J'en ai profité pour visiter aussi le Musée archéologique, l'Acropole, l'agora grecque, l'agora romaine et l'Olympiéion. Delphes, et Thèbes, aussi. J'ai pu me baigner de nouveau dans cette culture méditerranéenne. Ça m'a rappelé l'Italie, où il y a beaucoup de temples grecs. Ayant des parents sculpteurs, j'ai été élevé dans le monde artistique, je suis très sensible à ces beautés.
Outre l'italien, vous parlez d'ailleurs plusieurs langues : l'allemand, l'anglais et le hongrois. Quel rapport entretenez-vous avec les langues en général ?
Oui, enfant, j'étais déjà bilingue puisque je parlais le hongrois (NDLR : la mère de V. N. est hongroise). Je l'ai un peu perdu faute de pratique mais quand je retourne dans le pays, ça revient assez vite.
Les langues me passionnent depuis longtemps. J'aime bien saisir leur musique... Pour moi, ça fait partie du jeu de l'acteur, ça relève du jeu des transformations. Quand on parle assez bien une langue, on est soudain un autre personnage : une autre facette de nous-même ressort. On n'est pas la même personne quand on parle français, italien ou grec.
J'ai pris goût à l'anglais et au théâtre par ma professeur d'anglais. Elle nous faisait jouer des histoires drôles qu'on écrivait avec des copains. Elle les traduisait, en riant, et nous laissait jouer nos scènes une fois par semaine.
Par ailleurs, un jour, dans une librairie allemande, j'ai pris un livre de Kleist. Je n'avais pas le niveau suffisant pour le comprendre, mais je connaissais parfaitement la traduction française. L'idée m'est venue de jouer le texte dans les deux langues, allemand et français. J'ai eu envie de réapprendre l'allemand.
Ce livre de Kleist, Über das Marionettentheater (NDLR : Sur le théâtre de marionnettes), vous l'avez mis en scène...
Oui, j'avais d'abord cru que c'était une niche spécifique, de jouer un texte dans deux langues, que ça ne pourrait intéresser que quelques institutions comme le Goethe Institut, par exemple. Mais autour de moi, beaucoup de personnes se sont montrées intéressées. C'était un jeu, en fait, un jeu intellectuel, amusant, sur un texte philosophique. L'histoire est très simple, mais très belle. Elle traite de l'opposition entre nature et culture, de l'idée de retour au paradis originel à travers la perte de la connaissance. Elle a trait à tout l'artifice du jeu de l'acteur.
Des projets à venir ou en cours ?
Côté théâtre, pas en ce moment. Mais je m'intéresse à un texte un peu oublié de de Villiers de l'Isle Adam, auteur du XIXe siècle... à suivre... J'ai des tournages à venir, et notamment pour une série danoise qui s'appelle DNA.
Vous aurez été très actif durant votre séjour à Athènes : avez-vous un conseil culturel, une sortie à nous recommander ?
Je suis allé voir Le Misanthrope au Théâtre National, avec Christos Loulis, qui joue Philinte. Il est formidable dans ce rôle. C'est interprété de façon contemporaine : dans une fête permanente, un peu décadente, des gens revenus de tout dansent, boivent, et n'en ont plus rien à faire de rien. Alceste se révolte contre ça, c'est l'angle de la pièce, très intéressant... Et en fin de semaine, vous pouvez le voir avec des sur-titres en anglais.