Mardi, dans le cadre de la seconde édition de la Semaine française, organisée à Madrid par la Chambre de commerce franco-espagnole, avait lieu dans les locaux du cabinet d'avocats Pérez-Llorca une conférence intitulée : "Innovation dans les secteurs du parfum, de la mode et de l'art de vivre". A cette occasion, trois tables rondes ont vu des intervenants français et espagnols s'exprimer sur les enjeux de leurs secteurs respectifs, tous représentatifs d'un savoir-faire très tricolore, ayant su de longue date traverser les frontières et marquer de son empreinte les tendances à l'échelle mondiale. Les choses changent néanmoins et même les domaines les plus exclusifs sont confrontés aux défis de la mondialisation et des nouveaux modes de consommation.
Introduits par le Chef du Service économique régional à l'Ambassade de France Cyril Forget, qui a évoqué le rôle de La Chambre dans la dynamique des échanges commerciaux entre la France et l'Espagne (100 milliards d'euros en 2023), les débats auront été marqués par la nécessité, toujours, de s'adapter aux évolutions du marché et de la demande. Une évidence, que les maisons les plus anciennes, dans cette "tension permanente entre la tradition et l'avant-gardisme" qui caractérise l'univers de la mode, sont amenées à mesurer au quotidien. La citation est de Luc Lanel, Directeur Général de L'Oreal Luxe pour l'Espagne et le Portugal, elle fait écho aux observations qui ont été exprimées tout au long de la matinée par une longue liste d'intervenants, représentants de certaines des enseignes françaises les plus emblématiques au monde -Sandra Vogeler, DG de Guerlain Espagne, Bruno Portellano, DG de Verescence Espagne, Ángela Ubis Directrice marketing et communication de Cartier, Maria Del Carmen Diago, Retail Manager de Longchamp Espagne, Rebeca Plana, Directrice marketing et communication de Van Cleef & Arpels, Florence Lafragette, Présidente et Directrice Artistique chez Petrusse, Rosario Barrios, DG Le Cordon Bleu Espagne, Luis Arquillos, Directeur de marketing de Mantequerías Arias, Xavier Gorostiza, Brand Education Manager chez Pernod Ricard.
Luxe : quand Pekin tousse, Paris tremble
Juan Pedro Abeniacar, CEO de LVMH Iberia et des parfums Loewe, une légende du secteur (25 ans dans la Péninsule à la tête du groupe de luxe français !), a posé certaines bases permettant de mieux appréhender les enjeux globaux qui affectent l'industrie du parfum, de la mode et du luxe au sens large. Pour ce vétéran, la crise immobilière chinoise explique les difficultés que traverse l'industrie du haut-de-gamme. Quand Pekin tousse, Paris tremble. Car le marché chinois est ces dernières années devenu essentiel pour l'industrie du luxe, avec des parts de marché comprises entre 20% et 50% selon les filières. La chute de la confiance du consommateur asiatique constitue donc une mauvaise nouvelle, couplée à un certain nombre de perturbations qui affectent les marchés les plus porteurs du secteur, de la guerre en Ukraine et son impact sur le consommateur russe, à la dégradation de l'économie européenne -exceptions faites des marchés italiens et, c'est une bonne nouvelle, espagnols. L'apparition de nouveaux acteurs alternatifs -les marques dites "indépendantes"- participe à une certaine remise en cause des règles du secteur : elles n'ont pas le poids de l'expérience, mais la fraîcheur de la jeunesse, et véhiculent souvent des valeurs plus en résonnance avec les attentes des nouvelles générations. "Au niveau mondial, la hausse sans doute excessive des prix qui a caractérisé le marché au cours des dernières années, est aussi certainement à l'origine des difficultés que rencontre aujourd'hui le secteur du luxe", a enfin raisonné le CEO de LVMH Iberia.
Face à "l'énorme responsabilité" de développer des marques historiques, à l'instar de Guerlain, bientôt 200 ans à son actif, et la "nécessité de répondre aux tendances actuelles du marché", comme l'a exprimé la DG de la marque dans le pays Sandra Vogeler, les nouvelles attentes du consommateur se font toujours plus impérieuses. "C'est un véritable combat de rue", a évoqué Luc Lanel à propos du marché haut de gamme. "Tout change à une vitesse accrue et nous oblige à continuellement réinventer nos modèles, tout en préservant nos valeurs". Avec l'arrivée d'Internet, les canaux de distribution mais aussi de communication ont été bouleversés, c'est un fait. Pour les concurrents, les barrières à l'entrée sont moindres, tandis que les consommateurs sont toujours mieux informés. Les marques traditionnelles sont contraintes à intégrer la nouvelle donne dans leurs stratégies. Et à inclure les questions de responsabilité sociale et environnementale, la grande exigence du millénaire, et ce du process de fabrication jusqu'à la commercialisation. Bruno Portellano, DG de Verescence Espagne, entreprise de flaconnage basée dans la province de Ségovie, sous-traitant de l'industrie du parfum notamment, a ainsi évoqué les développements permettant d'alléger le poids des flacons, d'augmenter la part du verre recyclé et de réduire la consommation de sable et d'énergie nécessaires à la fabrication du verre. Bref, aujourd'hui plus que jamais, le luxe s'inscrit dans une démarche alliant l'esthétique à l'éthique, un voyage allant de l'immatériel, de ce "je ne sais quoi" qui fait la différence, à la recherche et à l'ingéniérie pures et dures, qui affectent directement la qualité des produits (voyez les fragances chez les parfumeurs) ou leur impact environnemental.
Malgré la crise et les doutes du secteur, l'Espagne tire son épingle du jeu. Pour Rebeca Plana, Directrice marketing et communication de Van Cleef & Arpels, "l'Espagne est un marché en pleine effervescence". Il suffit d'observer la dynamique madrilène pour constater que le luxe s'y porte bien, avec "son énorme potentiel culturel, de créativité et de talents". Des marques comme Longchamp ou Cartier ne s'y trompent pas, avec des stratégies de développement dans le pays clairement volontaristes. Maria Del Carmen Diago, Retail Manager de Longchamp Espagne, est ainsi en charge du redéploiement du réseau de points de vente dans le pays et confirme "le doux moment" que connaît l'enseigne au sud des Pyrénées. Pour Ángela Ubis, Directrice marketing et communication de Cartier, il est néanmoins essentiel de s'adapter aux spécificités locales. "L'Espagne est une destination touristique, certes, mais c'est aussi un marché domestique qui doit être une priorité et que nous devons aborder avec une certaine dose d'humilité", défend-elle.
Avec le cycle de conférences réalisé dans le cadre de la Semaine française, La Chambre entend "faire valoir les secteurs moteurs de l'économie qui, de France vers l'Espagne, sont venus pour rester", comme l'a exprimé la CEO de l'institution organisatrice. Mis à l'honneur sur la même période, au cours d'une conférence organisée jeudi, les secteurs du retail et de l'automobile font partie de ces domaines où la touche française est, au sud des Pyrénées, particulièrement notoire et qui contribuent fortement aux quelque 500.000 emplois créés dans le pays par les entreprises de l'Hexagone. In fine, le cycle de conférence constitue une occasion unique d’échanger sur des sujets stratégiques, avec des intervenants de renom représentant le savoir-faire et l’innovation à la française.