Il y a comme une magie dans l'air. L'impression de flotter.
Je sors du chantier à la tombée de la nuit. Le chauffeur est là. Il se lève nonchalamment et ouvre les portes.
Je m'installe avec quelques documents à lire dans un calme absolu. Une musique douce et berçante accompagne le lent déplacement de la grosse Toyota.
Devant moi, une heure de trajet entre les tours qui reflètent les dernières lueurs du jour. Le troupeau géant des voitures semble docile ce soir.
Quand j'arriverai, la maison sera impeccablement rangée. Les enfants, propres et joyeux, auront fini de manger. Il n'y aura qu'une histoire à raconter pour qu'ils s'endorment tranquillement.
C'est parce qu'un couple vit chez nous et s'attèle à nous rendre la vie plus facile. Toujours souriants et disponibles, ils s'estiment favorisés par le salaire qu'ils reçoivent, pourtant si mince à nos yeux d'occidentaux.
Ils auront même pris soin de nous laisser un dîner prêt à déguster, avant de s'éclipser dans le seul bruissement d'un sourire entier et sincère.
Et nous resterons là, presque hébétés de n'avoir rien d'autre à faire que profiter du si précieux temps libre à deux.
Qu'a-t-on fait pour mériter un tel luxe ?
La nuit n'a pas été douce.
On ne comprend toujours pas pourquoi, mais des centaines de pétards n'ont cessé d'exploser à quelques mètres de notre maison, jusqu'à 2 heures du matin.
A 4 heures, l'appel à la prière a été particulièrement fort. Il parait qu'on peut payer le muezzin pour qu'il oriente les haut-parleurs hors de notre direction. On ne voudrait pas jouer les OSS 117 et on ne voit pas bien à qui demander...
Les enfants ne veulent pas aller à l'école. Ils refusent de se lever et font la grève. Ils complexent parce qu'ils n'arrivent pas à comprendre un mot en cours d'anglais. Ils ont peur de se noyer en natation où tous les enfants ressemblent à des poissons. Ils demandent : "quand est-ce qu'on rentre en France ?..."
Partis trop tard, nous devons courir jusqu'à l'école. Il n'y a pas de trottoir, alors on trébuche entre les rétroviseurs. Les enfants pleurent et traînent les pieds.
Il y a tellement d'embouteillages que je suis déjà sûr d'être en retard à mon premier rendez-vous qui est pourtant dans une heure et demi. J'y redemanderai poliment à un sous-traitant pourquoi il n'a pas livré son matériel depuis trois semaines. Il sera difficile de discuter en indonésien et je n'obtiendrai qu'un mauvais travail à un mauvais prix.
Le chantier ne ressemble tellement pas à ce que j'aurais considéré comme un minimum il y a quelques mois seulement...
Qu'est-ce qui nous a pris de nous mettre dans cette galère ?
L'expatriation, ce n'est pas une galère.
Ce n'est pas un luxe non plus.
C'est comme la vie normale.
En plus intense.
L'expatriation, une vie normale... en plus intense
Écrit par Vincent Barthe
Publié le 19 décembre 2018, mis à jour le 8 novembre 2019
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