Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

Arme et spiritualité, le Kris, symbole indonésien

Gardes du Palais Royal de YogyakartaGardes du Palais Royal de Yogyakarta
Écrit par Corinne Gaminde
Publié le 27 juillet 2021, mis à jour le 28 juillet 2021

Dans le monde du Pusaka, ce terme qui englobe tous les biens précieux, gardés de génération en génération dans le clan familial, le kris tient une place d’honneur. 

 

Pour les indonésiens, le kris n’est pas qu’une arme mais un véritable objet spirituel sacré. Il est considéré comme le double de son propriétaire, il le protège, renferme son âme et peut le remplacer durant des cérémonies officielles, voire le jour de son mariage. Le kris est porté dans le dos, coincé sous la ceinture du costume traditionnel afin de protéger son porteur des esprits maléfiques qui pourraient attaquer par l’arrière. Le kris est porté par les hommes et les femmes, bien que le kris féminin soit plus court et moins lourd.

Le Kris et le symbolisme de sa forme 

 

Gardes du Palais Royal de Yogyakarta

 

La forme générale de cette dague est très figurative et appartient à l’iconographie traditionnelle indonésienne : le wrangka, partie supérieure du fourreau, a la forme d’un bateau sur lequel se dresse un personnage représenté par la poignée du kris. La lame étroite à double tranchant, qui donne la qualité esthétique au kris, symbolise le naga (serpent mythique) soit au repos quand la lame est droite (lurus) soit en mouvement quand la lame est ondulée (luk), le nombre d’ondulations allant de trois à treize et toujours impair. À noter que la lame ondulée est plus destructrice que la lame droite.

Le fourreau appelé sarong en bois exotique, richement décoré de pierres précieuses, or et ivoire est l’élément qui permet de reconnaître sa provenance.

Le kris javanais est le plus élaboré et le plus richement décoré avec une très grande variété de formes et motifs.

 

Kris balinais
Kris balinais - Collection Musée National Jakarta

 

Le kris balinais se caractérise par sa taille plus grande, une lame plus épaisse et polie alors que la lame javanaise reste brute de forge. La poignée est très souvent figurative, en or et ornée de rubis.

Le kris de Sulawesi est beaucoup plus simple et reconnaissable par sa longue boucle décorative attachée sur le fourreau et une poignée coudée en forme d’oiseau. Le kris de Kalimantan ressemble à celui de Sulawesi, la poignée souvent ornée de diamants trouvés dans le sud de l’île. Sumatra se distingue par la production de kris d’exécution, beaucoup plus long que le kris traditionnel. Mourir sous la lame du kris était considéré comme un honneur.

 

La forge du Kris : création et spiritualité

L’art de forger un kris n’était pas donné à n’importe qui. Seul un panda keris pouvait accomplir une telle tâche et rares sont ceux qui ont obtenu le titre suprême d’empu. Les empus sont des artisans très respectés dans la société javanaise, attachés aux cours royales et possédant des connaissances en littérature, en histoire et en sciences occultes. 

Créer un kris est un procédé long et compliqué. Tout commence par le choix d’une date de bon augure dans le calendrier javanais tout en tenant compte de la date de naissance du commanditaire car la lame devra refléter sa personnalité à la perfection. Après avoir déterminé le jour propice, l’empu commence une diète blanche à base de riz blanc et d’eau pendant deux à trois mois afin de purifier son corps et libérer son esprit et obtenir ainsi l’inspiration nécessaire. Le jeûne se poursuivra pendant toute la réalisation de la dague, accompagné de prières et méditations pour rester pur et serein et éviter des mouvements d’humeur qui pourraient se transposer dans le kris et et par delà influer ultérieurement son propriétaire quand il le portera. Un bon kris se devait d’avoir du yoni, un pouvoir magique invisible.

Pour fabriquer un kris royal javanais, l’un des composants est une partie de météorite tombée dans la région de Prambanan en 1784. Environ un gramme de la pierre météoritique à forte teneur en nickel est ajouté à la feuille de fer pliée et repliée des dizaines voire des centaines de fois avec grande précision. Le motif est donc obtenu par superposition de couches de métal très contrastées et pour terminer la lame est enduite d’un mélange d’arsenic et jus de citron afin de faire apparaitre le motif blanc argenté, le nickel étant très blanc.

Les kris communs sont forgés avec du métal d’origine « terrienne », voire des alliages industriels.

La fabrication selon la méthode traditionnelle est un art qui, malheureusement, disparait de nos jours par faute de matières premières « sacrées » et par manque de savoir-faire.

 Proverbe javanais :

un homme doit posséder cinq choses sur terre : un Kris, un cheval, une maison, un oiseau et une femme.

Le kris indonésien est inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2008. 

 

5 Kris du Musée National
Cinq Kris provenant des royaumes de Bone et Goa en Sulawesi - Collection Musée National Jakarta

 

Pusaka est un mot magique en indonésien dont les nombreuses significations « héritage, patrimoine, propriété, ancestral, reliques, don sacré » englobent tous les biens précieux, de grande valeur, transmis de génération en génération dans le clan familial.

Ces objets de prestige démontrant le statut familial sont conservés dans les maisons adat (maisons des ancêtres) et utilisés avec grand soin durant des rites religieux traditionnels et échangés lors de mariages.

 

Crédits photos : Bruno K, Mathilde D, Corinne G