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Dans la cuisine d'Aylin Yazıcıoğlu

Aylin Yazıcıoğlu cuisine turquie restaurant nicole gastronomieAylin Yazıcıoğlu cuisine turquie restaurant nicole gastronomie
Écrit par Jonathan Grimmer
Publié le 14 octobre 2019, mis à jour le 11 janvier 2021

Alors qu'elle se destinait à une carrière d'universitaire, cette ancienne du lycée Galatasaray a tout plaqué pour se consacrer sur le tard à la cuisine. Après avoir fait ses classes en France, notamment auprès du chef trois étoiles Alain Senderens, elle dirige aujourd'hui le restaurant gastronomique de l'hôtel Nicole et dresse un constat sévère quant à la qualité de la restauration en Turquie. Rencontre.

19h30 un soir de semaine. C'est le coup de feu au restaurant gastronomique de l'hôtel Nicole, situé dans le quartier de Beyoglu, juste en face du Consulat d'Italie. Dans la grande salle, qui offre une vue imprenable sur le Bosphore où se reflètent les lumières du soleil couchant, les premiers clients sont conduits à leurs tables par des serveurs tirés à quatre épingles, rivalisant de politesse à leur égard. Une atmosphère ouatée qui tranche avec l'agitation, mêlée de sérieux et de discipline, qui règne dans la cuisine. Les gestes de la dizaine de jeunes âgés de 20 à 30 ans présents sont secs, précis. Aucun brouhaha ne vient se superposer aux bruits des spatules qui éreintent les casseroles ou des viandes que l'on jette sur un poêle brûlante. Les ordres ne souffrent d'aucune contestation : ils sont prononcés puis exécutés. Sur le plan de travail, un commis se livre au dressage de deux assiettes sous la supervision attentive d'un chef de partie. Alors qu'il s'apprête à « envoyer » les plats en salle, la patronne des lieux, la cheffe Aylin Yazıcıoğlu, entre en trombe.

A peine le temps de saluer son équipe que la voilà en train d'assaisonner une sauce, de contrôler les cuissons, ou encore de souffler quelques conseils à l'une des cuisinières. Soudain, son téléphone vibre dans sa poche. Elle s'isole quelques secondes puis, après avoir raccroché, se tourne vers nous pour la première fois depuis qu'elle est entrée : « C'était l'un des cuisiniers. Il n'a pas pu venir parce que sa femme enceinte a fait un petit malaise. Il appelait pour me rassurer », sourit-elle dans un français parfait, hérité de ses années de formation dans certaines des plus grandes cuisines parisiennes.

Cambridge

Le parcours Aylin Yazıcıoğlu c'est l'histoire d'une intello qui du jour au lendemain a décidé de déserter les bancs de la prestigieuse Université de Cambridge, au Royaume-Uni. « J'étais en sociologie en troisième année de doctorat. Je me destinais à une carrière d'universitaire mais sans grand enthousiasme », relate-t-elle. Après une longue période de réflexion, elle décide de se réorienter vers la cuisine, à laquelle l'a initiée sa grand-mère dès son plus jeune âge. Son choix étonne son entourage autant qu'il le contrarie. « Même dans une famille ouverte comme la mienne, une femme cheffe c'était inenvisageable. » Tant pis. Sûre de son choix, elle se rend en France et en 2005, à 30 ans passés, elle intègre la prestigieuse école Cordon Bleu, avant de faire ses classes auprès de cuisiniers de renom, comme le chef trois étoiles Alain Senderens. 

Après près de dix années à côtoyer l'excellence culinaire française, elle revient en 2013 s'installer définitivement en Turquie où, à en croire son jugement, tout est à bâtir d'un point de vue gastronomique. « Tout commence avec le produit », commence-t-elle. « S'il n'est pas bon le plat ne l'est pas non plus. Or, nous importons des graines d'Europe qui ne sont pas prévues pour nos sols. Du coup, nous payons très chers des produits qui sont mauvais. »

Institut de cuisine

Autre problème : la formation de piètre niveau. Au risque de heurter, elle confesse : « Un chef de partie en Turquie n'a même pas le niveau d'un commis en France. » A son échelle, elle tente d'y remédier en finançant des cours de français à ses cuisiniers dans l'optique, à terme, de les envoyer faire des stages en Hexagone. Au-delà de ses murs, elle nous confie qu'elle va créer, avec le concours d'autres chefs et des pouvoirs publics, l'Institut nationale de la cuisine. Quand, où, avec quel fonctionnement ? Il est encore trop tôt pour qu'elle puisse donner tous les détails. En revanche, elle assure qu'au-delà de la partie formation, l'établissement aura aussi pour vocation d'offrir aux cuisiniers turcs un espace de recherche et de création.

Car on touche là à un autre aspect du problème : « Nous n'avons pas comme en France une tradition de la restauration. Notre cuisine est avant tout familiale et très peu de chefs ont fait l'effort de la repenser de façon à bâtir des plats qui seraient à la fois fidèles à la tradition turque et modernes », explique Aylin Yazıcıoğlu.

Elle-même tente de montrer l'exemple. Son plat fétiche : une tourte aux oiseaux, inspirée des börek à l'émincé de canard qu'elle mangeait sans faim lorsqu'elle était enfant. « C'est ma grand-mère qui les préparait. » On s'en serait douté.

jonathan grimmer lepetitjournal istanbul journaliste
Publié le 14 octobre 2019, mis à jour le 11 janvier 2021

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