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La vie à l’étranger est le théâtre des enfants du troisième monde

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Écrit par Fanny Bernard
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 6 janvier 2021

Faire le parallèle entre le théâtre et la vie à l’étranger, ça peut paraitre alambiqué. Certes.

Et pourtant…

Et pour autant, on peut tout de même tracer des parallèles. Des droites perpendiculaires, des angles presque droits.  Enfin, moi, j’en trace, dans cet article.

Faire du théâtre. Jouer. Lorsqu’on joue, on sort de soi. Il faut effacer sa personne. Incarner un personnage. Jouer à être quelqu’un d’autre avec ses sentiments, son passé, son présent, son avenir. Jouer au jeu sérieux d’Être. Un autre. Que Soi. Que l’on ne connaît pas. Qui est parfois loin de nous : autre âge, autre vie, autre corpulence.  Avec, en sus,  un langage qui ne nous appartient pas. D’autres mots écrits par des auteurs, avec d’autres indications proposées par un metteur en scène. Sois comme ci, fais donc ça, bouge par là. Souris. Pas ainsi, mais comme ça.

En somme, en étant comédien, on accepte de devenir Quelqu’un. Mais bien évidemment, c’est toujours nous qui jouons donc on ne se débarrasse pas de notre corps, ni de notre vécu. En tout cas, pas totalement. Même avec tous les trainings possibles. Bien évidemment, on a beau s’éloigner des automatismes de notre personnalité, on en garde la trace. Si ténue soit-elle. Sous le masque, on reconnaît l’artiste.  Et même le meilleur, me semble-t-il.

Vivre en dehors du pays où on est né, c’est aussi sortir de sa personne, de sa zone de confort, de son contexte. En un sens.  Bien sûr, on ne se défait pas de son enveloppe corporelle, bien entendu, on est toujours soi, à Abu-dhabi comme au Nigeria. Et pourtant. Comme au théâtre, cette vie hors de France nécessite parfois qu’on joue un rôle. Qu’on se compose un personnage. Qu’on use d’autres mots, qu’on suive des indications de jeu, de vie. Qu’on obéisse à des règles qui ne sont pas celles de chez nous. Qu’on apprenne un langage, des idiomes, des coutumes qui nous dépassent. Qui nous transforment en un autre personnage. Une autre facette de nous.  Bien entendu, cela n’empêche pas d’être Soi. Mais cela nous pousse à représenter parfois, autre chose de notre personne. À se faire voir sous un autre jour.

Quel expat n’a pas décidé de partir pour changer de vie ? Pour atteindre un autre absolu, évoluer dans une autre direction ? Quel Français hors de France n’a pas pensé, même une seconde, que le départ l’aiderait à devenir quelqu’un d’autre ?

Théâtre

Mais oui, c’est facile de comprendre ce parallèle n’est-ce pas ? Car tout le monde sait que la vie est un théâtre ! En cela, je n’ai rien inventé. Calderón l’a dit avant moi et d’autres sûrement mieux encore. Mais je crois, aujourd’hui, pour ma part, que la vie à l’étranger offre davantage de possibilités de sortir de sa personne qu’un autre choix de vie. Je crois que certains des Français de l’étranger doivent jouer en société. Garder secrètes leurs convictions politiques ou religieuses si leur métier le leur intime. Être diplomate, mesuré, neutre en pays étranger. N’être parfois que la « femme ou le mari de ». Se tenir sobre dans les soirées d’expatriés, se maîtriser, maintenir sa vie privée. Les cercles de Français de l’étranger sont de tout petits villages. Tout le monde se connaît, chacun parle, commente, ragotte. La sphère personnelle se mélange volontiers à la professionnelle. Cela se fait de façon naturelle, instinctive. Cela arrive souvent en tout cas.

On a tôt fait alors de se coller une étiquette : « celle-là, ça se voit à ses tresses africaines qu’elle vient de débarquer, celui-ci ne sait pas qu’ici on ne se fait pas la bise, c’est démodé ». C’est interdit. C’est différent ! « Untel croit encore qu’il a atterri au pays des Bisounours, tu verras quand il terminera son contrat ! »  Et j’en passe des gloussements parce que la voiture du voisin est garée devant la maison de l’ambassadeur, un samedi soir, après huit heures. Et j’en oublie des nouveaux venus dont les expatriés en place connaissent déjà le curriculum vitae, les antécédents, les réussites et les médisances.

Oui, lorsqu’on est un Français hors de France, on se compose parfois un visage. On joue parfois à ne plus totalement être soi. On s’invente un personnage. On évolue dans un théâtre. On double sa personnalité. On la multiplie, au grès des pays visités.

Le risque qui demeure alors ? Se perdre. Ne plus se reconnaitre dans ce maelstrom de « je » venus des pays où on a vécu.

Le bonheur pourtant ? Les fusionner tous ensemble et devenir un enfant du troisième monde.  Celui où cohabitent dans une même enveloppe toutes les nations qui nous sont chères. Celui où la personne est le produit de toutes les cultures auxquelles il s’est frotté. Se mélanger. Ne pas lutter. Accepter de jouer sur les planches comme dans la réalité.

 

Fanny Bernard, auteur de La belle histoire et Le deuxième roman de Thomas Simon

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