Sans compter le chinois, l’espagnol est la langue la plus parlée dans le monde entier, juste derrière l’anglais, avec près de 600 millions d’hispanophones. Pourtant, en Espagne, berceau de la langue de Cervantès, l’espagnol est de plus en plus discriminé.
Une langue, c’est avant tout un fantastique outil de communication et, en ce sens l’espagnol est sans nul doute la langue de l’avenir. Le nombre de personnes dans le monde qui parle espagnol est en constante augmentation et dépasse celui des anglophones natifs. L’Amérique latine y est pour beaucoup, mais pas seulement. Il suffit de se rendre aux États Unis pour constater qu’une partie non négligeable des Américains parlent l’espagnol.
Ce qu’on imagine moins, c’est l’avenir de la langue de Cervantès dans son pays d’origine. Plus de 40% des Espagnols vivent dans des territoires ayant des langues co-officielles, en plus de l’espagnol (appelé aussi castillan pour le différencier du catalan, basque ou galicien). A priori, une richesse de partages et de cultures. Mais pour ces personnes, il est souvent très compliqué, voire impossible, d'éduquer leurs enfants dans leur langue maternelle, c'est-à-dire en espagnol. De plus, l'accès aux emplois est généralement conditionné par l'imposition de la langue co-officielle.
Ainsi, dans les régions concernées, les fonctionnaires doivent justifier d'un niveau de catalan, galicien ou basque qui varie selon la catégorie et en fonction de que dicte chaque communauté autonome. Dans la plupart des postes, c'est une exigence. Pour certains autres, la connaissance de la langue n'est pas éliminatoire mais elle donne des points pour recevoir des primes de carrière professionnelle.
Deux heures d'espagnol par semaine à l'école
En Catalogne, où le modèle fonctionne depuis 30 ans, la langue utilisée dans les écoles est le catalan. Il y a deux heures d'espagnol par semaine à l'école primaire, trois au collège et deux au lycée. De nombreuses familles se sont manifestées pour réclamer plus d'heures en espagnol et surtout le droit de pouvoir choisir la langue dans laquelle ils souhaitent que leurs enfants étudient. La situation est similaire, avec bien sûr des spécificités, dans les autres régions.
"Nous estimons que 6 millions d'élèves ne peuvent pas étudier en espagnol -affirme Gloria Lago, présidente de l’association de défense de l’espagnol ‘Hablamos Español’-. Simplement, en regardant une carte du territoire, on voit qu'au Pays Basque, en Galice, dans une partie de la Navarre, aux Baléares, de plus en plus dans la communauté de Valence, et bien sûr en Catalogne, l'enseignement est bilingue, mais les quelques matières en espagnol (2 ou 3 heures par semaine) sont celles qui ne comportent pas de texte, comme le sport, la physique ou la chimie. Du coup, ces étudiants qui n'écrivent jamais en espagnol font de grosses erreurs de langue".
Une association de défense de l’espagnol, me direz-vous ? Incroyable, mais vrai. Hablamos Español est une plateforme lancée en 2017 par différentes associations dans toute l’Espagne, composées de parents d’élèves, médecins, professeurs ou fonctionnaires qui se sont regroupés afin de garantir les droits linguistiques des hispanophones. Ils défendent tout simplement une politique linguistique comparable à celles des pays ayant plusieurs langues officielles, c'est-à-dire basée sur le libre choix de la langue.
L'Espagne est un cas unique
"La Charte européenne du Conseil de l'Europe a été créée pour protéger les droits des personnes parlant des langues régionales et minoritaires -explique Gloria Lago- car on part du principe que dans les pays, c'est la langue majoritaire qui est privilégiée. Mais ici, c'est le contraire qui se passe, et il a fallu créer une association comme la nôtre pour protéger les droits des hispanophones, qui sont victimes de discrimination. Il n'y a pas d'autre cas similaire dans le monde et personne ne peut imaginer qu'une situation comme celle que nous connaissons ici puisse se produire. Aucun pays au monde n'empêche un enseignement dans la langue officielle, dans la langue commune à tout le pays ! L'Espagne est un cas unique".
Et comme le rappelle l’association, la pression est de plus en plus forte. Les incidents sont fréquents, les derniers ayant eu lieu il y a quelques jours au cours de l’examen d’entrée à l’université (EVAU).
Ainsi, l'épreuve de langue catalane conçu aux Baléares pour le concours d'accès à l'université de cette année consistait en un commentaire de texte sur un article qui réfléchissait sur les nouvelles technologies… qui ne permettent pas l'utilisation du catalan et ne fonctionnent que si on leur parle en espagnol, "la langue de l'empire".
Quant à la Catalogne, les enseignants ont dénoncé la "discrimination" de l'examen de sélection catalan, après avoir reçu des instructions écrites les invitant à distribuer les copies d'examen d'abord en catalan et seulement dans la version espagnole, si un élève levait la main pour le demander expressément. Dans ce cas, l'enseignant devait l'enregistrer dans un rapport comme s'il s'agissait d'un "incident" (comme les retards, les non-présentations ou le manque de matériel), puis devait quitter la classe pour aller demander une copie en espagnol.
Mais le problème ne concerne pas seulement l'enseignement de la langue. "Tout est écrit dans la langue co-officielle - raconte la présidente de Hablamos Español- et très rarement dans les deux langues. Par exemple, en Galice, tout ce qui a trait aux bulletins de notes, les communications aux parents, les activités extrascolaires, ou dans le secteur de la santé, le dossier médical ou le carnet de vaccins, absolument tout est écrit dans la langue co-officielle, jamais en espagnol, c’est interdit. C'est pour faire comprendre aux habitants depuis tout jeune que pour appartenir réellement au lieu, la «bonne» langue n’est pas l'espagnol, mais l'autre, la co-officielle. Et sans parler du contenu régional qu’étudient les élèves. Ils apprendront par exemple la date du premier train qui est arrivé dans la ville voisine, mais pas les grandes dates historiques de l'Espagne".
Les conclusions du premier rapport de l’association Hablamos Español sur "l’endoctrinement dans les livres de langue dans les communautés autonomes bilingues", qui compte pas moins de 144 pages, montrent à quel point la mention sur ‘l'Espagne’ est évitée et remplacée par le concept froid d'État espagnol, et comment l'espagnol reçoit toujours des connotations négatives. "Nous recevons de plus en plus de parents – explique la présidente de l’association. Les gens commencent à être très inquiets, car ils se rendent compte qu'à travers la langue, les nationalismes montent lentement, comme on peut le constater dans les dernières élections autonomes en Galice et au Pays Basque. Grâce à la langue et à l'éducation, les enfants, qui seront les électeurs de demain, sont endoctrinés".
L’association dénonce par ailleurs le discours selon lequel l'Espagne serait un pays multilingue et que l’espagnol n’aurait jamais été la langue commune. "Il se produit une véritable balkanisation, avec la promotion de langues ou de dialectes très locaux, comme le bable, le cantabrique ou le léonais. Pourquoi l'Institut Cervantès, au lieu de vendre la langue espagnole à l'étranger, comme le font le Goethe Institut ou l'Alliance française, promeut l'enseignement des langues co-officielles avec, par exemple, des cours en catalan subventionnés ?".
Pour plus de renseignement : https://hispanohablantes.es/situacion-linguistica/el-espanol-en-espana/