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Visite d'Andrzej Duda à Washington, la question militaire domine

Armée américaine Armée américaine
Écrit par Félix Fier
Publié le 11 juin 2019, mis à jour le 11 juin 2019

La visite du président Andrzej Duda aux Etats-Unis devrait aboutir à l’annonce d’un renforcement de la présence militaire américaine sur le sol polonais. Elle relance ainsi l’épineuse question de la poussée américaine à l’Est. Une position difficile pour l’Union européenne qui tente de sortir de la logique de bloc héritée de la guerre froide. 

 

 

La Pologne fortement engagée en faveur des Etats-Unis

 

Si la nouvelle d’un renforcement de l’effectif américain en Pologne fait bondir certains observateurs internationaux, il est à souligner qu’elle ne fut pas à l’initiative des Etats-Unis mais du gouvernement polonais.

En effet, Andrzej Duda avait appelé de ses vœux en septembre 2018 l’installation d’une base américaine en Pologne. Il se disait alors prêt à débourser plus de 2 milliards de dollars pour l’installation de cette base, que le chef du gouvernement avait suggéré de nommer « Fort Trump ». Si cette proposition fut déclinée par l’administration américaine, l’ambassadrice Georgette Mosbacher, a annoncé que « les États-Unis prévoyaient d’augmenter considérablement leur présence militaire en Pologne à mesure que l’administration Trump consolidait son engagement en Europe centrale ». Il serait question de 1500 à 6000 hommes en renfort des 5000 déjà stationnés sur le territoire, un chiffre qui sera très probablement dévoilé à l’issue de la rencontre entre les deux chefs d’état.

 

La détermination de la Pologne à établir un partenariat militaire accru ne s’arrête pas là. En effet, le gouvernement polonais s’est engagé à pousser ses dépenses militaires au-dessus des 2% du PIB réclamés par l’OTAN, alors que la plupart des pays européens se montrent frileux à l’idée d’honorer cette promesse. En guise de bonne foi, l’armée polonaise a entre autres, signé le plus important contrat de son histoire pour une valeur de 3,8 milliards d’euros. Ils seront destinés à l’acquisition d’un système anti–missile Riot s’ajoutant aux 414 millions d’euros  de lance roquettes HIMARS ou encore à l’hébergement d’un entrepôt d’armement de l’armée américaine à 200km de Varsovie.

 

Si cet alignement sans faille sur les Etats-Unis peut surprendre à première vue, il n’est pas nouveau. Déjà, lors de l’invasion américaine de l’Irak en 2003, la Pologne avait montré un soutien indéfectible, prenant le contre-pied de la France et de l’Allemagne. Ainsi, 2400 hommes furent envoyés sur place, de loin le plus important déploiement des pays d’Europe de l’Est. Quand en 2005, une partie des alliés des Etats-Unis avaient déserté les lieux, le gouvernement de Kazimierz Marcinkiewicz annonçait prolonger le séjour de ses troupes. La Pologne était alors le « meilleur ami de l’Amérique » selon George.W Bush alors que le président Kwasniewski affirmait « si c’est la vision de George Bush, c’est la mienne »[1]. A noter que l’armée polonaise fut également déployée en Afghanistan puis dans les Balkans et plus récemment face à Daesh dans le cadre de missions de l’OTAN.

 

En réalité, les relations entre les deux pays remontent aux années 80 quand les Etat-Unis intervenaient directement en faveur du Solidarność par le biais de la CIA. L’agence de renseignement américaine avait en effet discrètement apporté son appui au syndicat d’opposition au gouvernement populaire.

 

Ce sentiment pro américain est partagé en grande partie par la population polonaise. En 2004, alors que le taux de désapprobation du président J.W Bush et du leadership américain atteint des sommets en Europe (En France, 85% et 69% respectivement), en Pologne, seuls 33 % désapprouvent J.W Bush et 44 % le leadership américain[2].

De plus, en 2014, quand on interroge les Polonais sur les pays qui font preuve d’ une attitude amicale envers eux 19% placent les Etats-Unis devant les pays européens[3]. Le fort atlantisme du gouvernement polonais est donc partagé par la population.

 

Un motif à cet atlantisme : La sécurité

 

La raison de l’atlantisme flagrant de la Pologne tient dans cette déclaration d’Adam Rotfeld, ancien ministre des Affaires étrangères polonais: « Le prestige polonais à Washington est à son zénith et cela a une grande valeur pour nous […] car il s’agit du seul pays capable de garantir la sécurité polonaise »[4]. En effet, la Pologne qui s’estime menacée par la Russie n’aurait d’autre choix que de lier un partenariat stratégique avec les Etats-Unis, pouvant se porter garant de sa sécurité. 

 

La crainte polonaise vis-à-vis de son ex grand frère fut encore exacerbée suite à l’annexion de la Crimée et à l’installation de missiles balistiques Iskander à Kaliningrad. Une situation qualifiée de « comportement agressif » par les autorités polonaises. Un sentiment partagé par la population puisque 71% d’entre eux déclarait que la Russie « avait des intentions non-amicales envers elle » en 2014 contre 43% en 2012 soit avant l’annexion de la Crimée[5].

 

La situation semble s’engouffrer dans un cercle vicieux. En 2014, Vladimir Poutine justifiait cette annexion par la croissante militarisation de la Pologne et l’élargissement de l’OTAN à l’Est.  La Russie craindrait donc pour sa sécurité en plus de s’estimer laissée par l’attitude des occidentaux qui ne respectent pas leurs engagements d’après-guerre.  

 

Une seconde raison à cet atlantisme peut être invoquée. La montée en puissance de la Pologne sur le plan militaire permettrait contrebalancer le leadership du couple franco-allemand dans le groupe européen de l’alliance. Ce qui serait dans l’intérêt à la fois des Etats Unis et de la Pologne.

 

Une position délicate vis-à-vis des partenaires européens

 

Bien que les Polonais soient particulièrement europhiles, cette proximité avec l’allié nord-américain peut être source de tensions et constituer un obstacle (parmi tant d’autres) à l’unité européenne.

Premièrement, la France et l’Allemagne ne sont pas favorables à une trop forte présence américaine en Europe de l’Est, craignant de détériorer les relations avec la Russie. Ils veulent aussi conserver la souveraineté de l’Europe sur les territoires qui lui sont rattachés.

De plus, cet engagement total de la Pologne en faveur de l’organisation de l’Atlantique nord va à l’encontre du projet émis par la France de la création d’une force de défense européenne indépendante. Celle-ci est considérée par Paris comme l’un des projets phare de la relance de l’Union Européenne qui y voit une avancée considérable dans l’établissement d’une politique étrangère commune.

 

Sur le sujet, Varsovie partage la vision de Emmanuel Macron . Le chef du Bureau de la Défense nationale polonais Paweł Soloch ne peut « qu’être d’accord avec l’appel du Président Emmanuel Macron de créer, face à la montée des dangers tant à l’Est qu’au Sud de l’Europe mais aussi à l’intérieur de nos sociétés, une culture stratégique commune européenne. »[6]

Il rappelle cependant que le projet européen doit « compléter et non remplacer les capacités collectives de défense dans le cadre de l’OTAN, reposant sur l’alliance de l’Europe avec les États-Unis. ». Il semble dans ce contexte difficile d’imaginer un infléchissement de la politique polonaise constituant un obstacle supplémentaire à la création d’une défense européenne indépendante.

 

Outre le coté purement militaire, l’alignement de la Pologne sur la politique étrangère américaine portée par Donald Trump peut faire grincer des dents à l’Ouest. Les démocraties occidentales souhaitent souvent se démarquer de la politique du président américain et ne soutiennent pas toujours les positions de ce dernier. Témoignage de cette fracture : l’organisation en février à Varsovie d’une conférence « pour la promotion de la paix et de la sécurité au Moyen-Orient », un rassemblement jugé anti-Iran, présidé par les Etats-Unis. Ce qui va parfaitement à l’encontre des positions françaises et allemandes sur le sujet. Ces pays n’avaient d’ailleurs pas souhaité y envoyer de ministres, absents de la rencontre tout comme la haute représentante de l’UE pour les Affaires Etrangères. On a vu mieux en matière de symbole d’unité européenne.  

 

Ensuite, cette politique étrangère guidée par l’aversion pour le voisin russe a tendance à briser les liens avec l’Europe occidentale, même les alliances les plus évidentes. Notons par exemple le refus du PiS de faire alliance avec le RN français, pourtant politiquement proche, en raison de son caractère pro-russe. De même l’opposition farouche au projet Nord Stream 2, un pipeline qui permettrait d’acheminer du gaz russe en Europe occidentale, isole la Pologne sur la scène européenne.

 

Pourtant, malgré les divergences de visons, les nations de l’Europe de l’Ouest devront trouver un terrain d’entente avec la Pologne qui pourrait dans les prochaines années disposer d’un levier de taille.

En plus d’être l’un des plus grands pays d’Europe, avec une dynamique de croissance exceptionnelle, la Pologne se trouve sur le chemin des nouvelles routes de la soie.

En effet, le territoire polonais constitue la porte d’entrée de la voie terrestre des routes de la soie vers Europe. Une connexion au port Grec de Pirée (Acqui par la Chine) via les Balkans où la Chine a également massivement investi, est également à l’étude. De fait, les alliés européens vont peut-être se voir contraints d’accepter les accointances atlantiste de la Pologne sous peine de voir le pays se tourner vers la Chine auprès de laquelle l’Etat polonais emprunte déjà et se montre très intéressé par le projet. L’allégeance prêtée aux Etats-Unis pourrait donc représenter une garantie dans ce domaine, l’Union Européenne n’ayant pour l’instant pas les moyens de rivaliser.

 

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[1] David E. Sanger, « Alliances with Europe : Bush Redraws the Map », New York Times, 24 janvier 2003, cité par Jacques Rupnik, « La Pologne à l'heure américaine », Entre l'Europe et les États-Unis dans Pouvoirs 2006/3 (n° 118), pages 137 à 151

[2] German Marshall Fund of the US (GMFUS), Transatlantic Trends 2005, p. 6, cité par J.Rupnik

[3] Centre for Polish-Russian Dialogue and Understanding, « Poland Russia diagnostic 2015 »

[4] Cité par Krzysztof Iszowski, « Polish-American Relations as Perceived by Polish Political Parties », in L. Kolarska-Bobinska, J. Kucharczyk, P.M. Kaczynski (dir.), Bridges Across the Atlantic ? Attitudes of Poles, Czechs

and Slovaks Towards the United States, Varsovie, Institute of Public Affairs, 2005, p. 92, cité par J.Rupnik

 

[5] Centre for Polish-Russian Dialogue and Understanding, « Poland Russia diagnostic 2015 »

[6] «La défense européenne et le lien transatlantique – la perspective de la Pologne». Une tribune de Paweł Soloch, dans l’opinion, 15 /02/2019

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Publié le 11 juin 2019, mis à jour le 11 juin 2019
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