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Nord Stream 2 - Le gazoduc peut-il prendre l’eau ?

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Écrit par Marion Dejean
Publié le 14 mars 2019, mis à jour le 14 mars 2019

En service depuis 2012, le gazoduc Nord Stream 1 avait à l’origine pour fonction de relier le gisement russe de Chtokman au marché européen. Comme son prédécesseur, Nord stream 2 devrait connecter le réseau russe à l’Allemagne via la mer Baltique en contournant certains pays, comme la Pologne ou l’Ukraine. Constitué d’un tube gazier de 1200 km de long comprenant une capacité d’acheminement de gaz d’environ 55 milliards de m3, le pipeline totalise un budget de 9,5 milliards d’euros. Le projet, officiellement lancé en 2015 afin de satisfaire la consommation croissante européenne prévue par Moscou, suscite des débats enflammés au sein des sphères politiques et diplomatiques internationales. Quels enjeux cache-t-il réellement et comment expliquer qu’il soit aussi controversé ?    

Une multitude d’enjeux qui se superposent 

Les principaux porteurs de ce projet sont la Russie et l’Allemagne mais les implications d’un tel gazoduc dépassent largement le simple cadre bilatéral. Celui que certains surnomment « le pipeline de Poutine » mêle les intérêts géostratégiques de divers Etats aux intérêts économiques des grands producteurs de gaz qui cofinancent essentiellement le projet.  Le géant russe Gazprom possède déjà environ 35% du marché européen ; ce nouveau gazoduc renforcerait considérablement son emprise. Une association des différents partenaires gaziers était prévue, à savoir entre le Français Engie, l’Anglo-Néerlandais Shell, l’Autrichien OMV et les Allemands Uniper et Wintershall ; plutôt décriée, notamment par les groupes menacés par une telle alliance, elle est actuellement suspendue. Cette superposition d’enjeux stratégiques, économiques, politiques et énergétiques rend très compliquée et délicate la lecture de la situation.

Comment les Etats européens se positionnent-ils sur l’échiquier géostratégique ? 

Deux parties semblent s’opposer. Un groupe favorable au projet autour de l’axe germano-russe, avec notamment la Belgique, les Pays-Bas, l’Autriche, Chypre ainsi que la Grèce qui ont exprimé leur soutien. Un autre groupe défavorable à l’idée comprenant les pays d’Europe de l’Est, en particulier la Pologne, les pays Baltes et l’Ukraine. Ce découpage bipolaire ne reflète cependant absolument pas la subtilité des enjeux soulevés par le Nord Stream 2.

Une Allemagne maladroite depuis le départ

La position de l’Allemagne dans ce projet révèle bien une situation plus complexe qu’il n’y paraît. Le rôle joué par Gerhard Schröder dans le lancement du projet, alors qu’il était encore chancelier allemand, et qu’il siège aujourd’hui au conseil d’administration du groupe russe Gazprom, semble avoir ravivé la vieille rivalité entre la SPD et la CDU. 
Angela Merkel a elle aussi été critiquée par la classe politique allemande. Il a fallu attendre le mois de février dernier pour que la chancelière allemande reconnaisse la portée « politique et stratégique » du gazoduc, jusqu’ici quelque peu minimisée, ainsi que la nécessité de clarifier le rôle de l’Ukraine et de considérer les conséquences politiques du projet. Elle aurait également affirmé travailler en étroite collaboration avec le président russe pour garantir l’indépendance énergétique de l’Allemagne. 

Un projet qui en laisse plus d’un sur le carreau

Les relations gazières entre le Russe Gazprom et l’Ukrainien Naftogaz arrivent à expiration : signé en 2009, le contrat régissant leur relation va prendre fin cette année. L’Ukraine craint la fin du transit du gaz sur son territoire – et par conséquent un assèchement d’environ 3% de son PIB. Le président ukrainien Petro Porochenko a même exprimé sa peur d’un blocus économique et énergétique. Ainsi écartée de la route du gaz, l’Ukraine a énormément à perdre : cette activité lui permettait de toucher plus d’un milliard d’euros par an de Gazprom. 

L’angoisse d’être marginalisée sur le plan énergétique et désavantagée financièrement est partagée : la Pologne tirerait aussi un manque à gagner important de la situation car elle ne profiterait d’aucun droit de transit et se retrouverait prise en étau entre l’Allemagne et la Russie. 

La réponse de la Commission européenne

Paris avait commencé par soutenir Berlin ; mais, en février 2019, à la veille de prendre position sur la « directive du gaz » de la Commission européenne, désapprouvée par Berlin puisqu’elle désavantageait le projet du Nord Stream 2, le président français Emmanuel Macron change d’avis. Craignant une dépendance énergétique de l’Europe, la directive soutenait plutôt les pays lésés par le gazoduc. Elle proposait que les infrastructures tierces à l’Union Européenne acheminant du gaz en Europe respectent les mêmes règles que les infrastructures européennes. Y figurent la transparence des prix et la séparation des activités entre fournisseurs et gestionnaires des infrastructures, ce qui empêchait Gazprom d’être à la fois propriétaire de la molécule gazière et du gazoduc… Finalement, un compromis a été trouvé : l’application des règles incombera au pays européen où sont reliés les gazoducs établis avec les pays tiers (ici l’Allemagne donc). 
La France a-t-elle changé d’avis par souci de présenter une politique réellement inclusive en vue des prochaines élections européennes ? Ou bien a-t-elle réagi ainsi suite aux sanctions promises par le président américain Donald Trump ? Ce dernier s’est exprimé à plusieurs reprises contre le projet, promettant des amendes pour les entreprises qui le soutiendraient (notamment le français Engie) et considérant une Allemagne « prisonnière » de la Russie. Toujours est-il que le tandem franco-allemand s’est retrouvé fragilisé par cette affaire. 

L’environnement toujours relégué au second plan

Force est de constater que les enjeux environnementaux sont, une fois de plus, minimisés. Pourtant, le risque de pollution pendant les travaux existe, comme le soulignent les Verts allemands : des boulettes de graisse toxiques ont été retrouvées en juin sur la côte allemande, au niveau du point d’arrivée du gazoduc, dans la baie de Greifswald … 

Le Nord Stream 2 semble donc avoir entraîné des maladresses politiques à différents niveaux et semé la confusion et la discorde. Le sort final du pipeline dépendra d’un arbitrage qui ne saurait satisfaire tout le monde – pas même les consommateurs puisqu’aucune baisse des prix n’est prévue à ce jour. Nous ne pouvons pas encore savoir comment la situation va évoluer mais une chose est sûre : le Nord Stream 2 n’aura laissé personne indifférent ! 

 

photo LPJV
Publié le 14 mars 2019, mis à jour le 14 mars 2019
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