Dimanche 10 mars, lors du 1er tour de l’élection présidentielle, les Français de Pologne sont appelés aux urnes. Dans ce contexte particulièrement tendu avec la guerre en Ukraine, la crise sanitaire (même si la COVID-19 est aujourd'hui reléguée au second plan, la pandémie a bien savonné la planche du quinquennat), une situation économique alarmante, le tout sur fond de crise identitaire voire schizophrénique : à quel(le) candidat(e) confier les clés de l’Elysée, de la France, de notre avenir (incertain) ? Ce choix très cornélien, Lepetitjournal/Varsovie l’a soumis à Joanna Jereczek-Lipinska, vice-doyenne de la Faculté de Lettres de l'Université de Gdansk, Professeur d'Université, docteur habilitée ès sciences humaines et linguistique, spécialisation : linguistique romane, qui a publié en 2009, De la désidéologisation progressive du discours politique à l’ère du Net. Voici son analyse de la situation, vue de Pologne !
La dernière ligne pas si droite que ça pour les grands partis traditionnels français !
Le dernier weekend des meetings qui se suivent mais qui ne se ressemblent pas est derrière nous, ainsi sous forme d’entretiens (avec Fabien Roussel, Éric Zemmour, Yannick Jadot, Philippe Poutou, Nathalie Arthaud, Jean Lassalle) ou de meetings (Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse), nous avons vu passer les 12 candidats qui se placent premiers dans tous les sondages d’opinions.
Est-ce qu’on en sait plus sur leurs programmes, sur les chances qu’ils ont de passer au deuxième tour (et donc d’arracher encore cette victoire) ou peut être le tour est-il déjà joué ?
Des sondages au ras des pâquerettes, la faute à qui, la faute à quoi ?
Nous pouvons constater que les grands partis se situent étonnement bas dans les sondages - la candidate des Républicains est donnée cinquième et la candidate des socialistes se situe à la dixième place donc en bas de l’échiquier, face à cela on se repose cette question : l’heure des grands partis traditionnels et de grands clivages traditionnels a sonné ? Nous en avons déjà annoncé le début en 2009. (NDLR Joanna Jereczek-Lipinska a écrit, De la désidéologisation progressive du discours politique à l’ère du Net, Wydawnictwo Uniwersytetu Gdanskiego, en 2009).
Est-ce peut-être dû au fait que ces partis sont représentés par les femmes candidates et donc les éléphants voire les mammouths ne les appuient pas assez, ne les soutiennent pas assez, est-ce le problème de l’égo d’Eric Ciotti ou de Xavier Bertrand qui étaient si proches de devenir candidats, de Nicolas Sarkozy qui a choisi de ne pas soutenir la candidate de son parti et qui se fait huer durant le meeting de ce dernier dimanche de la campagne ?
Valérie Pécresse qui a le courage de faire et qui se dit être « une femme qui ose face à ceux qui glosent » passera-t-elle au deuxième tour ? De même pour les socialistes qui n’ont pas digéré de voir une femme candidate à la tête de leur parti (pourtant ils sont déjà passés par l’expérience avec Ségolène Royal).
Les grands partis ne sont-ils tout simplement pas prêts à porter une femme à la présidence de la République ?
Il faudrait savoir : les femmes candidates, sont-elles « trop » ou « pas assez » ?
Ainsi Valérie Pécresse serait trop aristocratique et trop intellectuelle, trop c’est trop ; Anne Hidalgo n’est pas assez charismatique, pas assez présidentiable, pas assez socialiste, jamais été élue de la République, n’a pas assez d’expérience d’Etat.
Elles ne sont pas assez bonnes dans l’exercice du meeting, elles n’ont pas mis les bonnes vestes, elles n’ont pas la voix qui porte, bref, elles ne prennent même pas les voix des militants de leurs propres partis. Elles ont perdu d’avance ? Il y a eu dans cette campagne chez les socialistes une brève apparition d’une autre femme, une sorte de femme providence - Christiane Taubira qui voulait réconcilier toute la gauche et qui a donc appelé : « Tous derrière moi ! ». Personne n’est venu, elle est donc repartie humiliée.
Marine le Pen par contre se dit être une femme prête. Celle pour qui c’est la troisième campagne présidentielle, apparait cette fois-ci comme une femme politique normale (comme dirait François Hollande). Vu la campagne et le discours d’extrême droite d’Eric Zemmour, elle n’est plus si radicale, ni du côté de l’extrême droite. Marine Le Pen est plus proche du peuple et se permet même de livrer certaines confidences sur sa vie normale de femme qui élève seule ses enfants, quel virage !
Les hommes sauvent-ils les meubles ?
Eric Zemmour
Face à ces femmes fortes mais pas assez bonnes, nous avons Eric Zemmour pour qui « Impossible n’est pas français » et qui se dit détenir les clés de la vérité et du diagnostic sur la situation en France. Il se présente comme candidat hors système, se projette en observateur qui en tire les bonnes conclusions. Il considère que toute vérité est bonne à dire (jusqu’aux bavures comme disent certains) prêt à en payer les frais. Il se situe dans les sondages entre ceux qui le diabolisent - car un président ne devrait pas dire ça, faire allusion au Karcher de Sarkozy - « il faut plus que le karcher ». Il dit et il assume et a conquis ceux qui le situent entre le vote utile et le vote vital. (NDLR Un président ne devrait pas dire ça... sous-titré Les secrets d'un quinquennat, est un livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, consacré à 5 ans d’entretiens privés avec François Hollande, alors qu'il était Président de la République.)
Jean-Luc Mélenchon
Jean-Luc Mélenchon représente l’Union populaire (Les Insoumis) homme tribun, qui fait les meilleurs meetings, l’exercice lui réussit toujours, on le suit avec plaisir, on l’écoute, on s’amuse et on rigole, on veut le croire. Il a un art oratoire certain ! Qu’est-ce qui lui manque, la posture présidentielle ? Son analyse de la scène politique lui fait dire que l’on se situe entre « le mépris de classe et le mépris de race », analyse pertinente et alors ?
Fabien Roussel
Fabien Roussel, un communiste sympathique, empathique même qui réclame la France des jours heureux, aura-t-il du poids dans cette campagne ?
Les grands partis traditionnels ne sont plus vraiment là, même si quand même on verra apparaître durant cette campagne les mots étiquettes de la droite chez Valérie Pécresse, « nous sommes les seuls héritiers du Général de Gaulle », « je veux remettre de l’ordre », et le slogan de Sarkozy légèrement transformé « travailler plus pour gagner plus » qui devient : « gaspiller moins pour gagner plus ». Les références au « nous » socialiste sont omniprésentes dans le discours d’Anne Hidalgo.
Yannick Jadot, Philippe Poutou, Jean Lassalle, Nathalie Artaud
Yannick Jadot paraît être transparent, ses idées ne marquent pas.
Et pour finir, nous avons une série de petits candidats à savoir Philippe Poutou, Jean Lasalle et Nathalie Artaud qui font une sorte de fond dans la campagne.
Le cas Macron ?
Et Emmanuel Macron... actuel Président et en même temps candidat à la présidence est donné gagnant dans les sondages de cette campagne, même s’il n’en a pas vraiment fait.
Il est omniprésent dans les discours de tous les candidats, il a juste fait un meeting un peu dans le style des grands débats, Macron est spécialiste de tout, il connait ses sujets et il est sûr de lui. On le situe entre le mépris et l’arrogance (avec ses petites phrases qui ont fait de grands effets – « les derniers de cordée », « ceux qui ne sont rien », il suffit de traverser la rue pour trouver l’emploi, « j’emmerde les antivax », etc. ) pour le défier, il constate : « nous n’avons pas tout réussi ».
La désidéologisation progressive a commencé au début des années 2000 et « en même temps » a fait disparaître pour de bon la structure classique et traditionnelle des partis politiques ; la scène politique française déconstruite n’est plus ce qu’elle était et a tellement de mal à se reconstruire…
Vue de Pologne, cette scène politique française en miettes, cette offre politique aussi riche que variée, et les débats tout aussi passionnés et passionnants sont encore et toujours un bon exemple et surtout une bonne leçon de démocratie pour les jeunes démocraties comme la nôtre.