Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

AVORTEMENT – Vers un durcissement de la loi ?

Pologne - loi avortementPologne - loi avortement
Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 15 janvier 2018

Le droit à l'avortement se retrouve de nouveau sur le devant de la scène en Pologne. Une partie de l'opinion réclame une libéralisation de l'IVG tandis que d'autres voix s'élèvent pour la mise en place d'une législation plus stricte, en faveur d'une interdiction quasi-totale. C’est vers ce scénario que semble se diriger la Pologne. Une remise en cause par la Diète de la loi de 1993 serait-elle alors à l'ordre du jour ? Qu'en est-il, par ailleurs, de la réalité de la pratique de l’IVG en Pologne et quelle est son histoire ?

 

La Pologne est le pays en Europe qui dispose déjà d’une des lois les plus restrictives, après l'Irlande et Malte. En vigueur depuis 1993, elle autorise l'avortement dans trois cas : si la vie ou la santé d'une femme est menacée par la poursuite de sa grossesse, si la grossesse est le résultat d'un acte criminel comme le viol ou l’inceste, ou si le fœtus est gravement malformé. Pourtant, depuis l'arrivée du gouvernement conservateur Droit et Justice (PIS) au pouvoir, les voix des militants "pro-vie", en faveur d’une interdiction  quasi-totale de l’IVG et soutenues par l'Eglise catholique se font de plus en plus présentes.

En 2016, le Parlement polonais a rejeté une proposition très restrictive n’autorisant l’IVG qu’en cas de danger de mort imminent de la femme, sous la pression de grandes manifestations, les fameuses « marches noires » qui se sont tenues à travers tout le pays.

 

Comment la Pologne est-elle arrivée au « compromis » de 1993 ?

 

Ce sont d'abord les régimes soviétiques qui ont légalisé l'avortement dès les années soixante, lequel atteignait le taux record de l'ordre de deux avortements pour une naissance. En Pologne, l’IVG devient légal à partir de 1955. Mais à partir de 1989, dès la chute du régime communiste, un projet de loi proposé par un petit parti chrétien-démocrate "Pour la protection de l’enfant conçu" voit le jour. Devant la vague de protestation des associations luttant contre la criminalisation de l'avortement avec le soutien, notamment, du Planning Familial Français et devant la médiatisation en Europe occidentale de ce sujet, les députés renvoient plusieurs fois en commission le projet de loi. Mais en 1992, la transformation ultralibérale de la Pologne étant garantie, les médias cessent de s’intéresser à cette question. C’est ainsi qu’en janvier 1993, le chef de l’Eglise Polonaise menaçant de retirer le soutien de l’Eglise aux réformes ultralibérales et les députés, soucieux de sauvegarder leurs privilèges de nouvelle élite votent l’interdiction de l’avortement. Mais lorsque le parti socialiste revient au pouvoir la même année, les électeurs réclament l’abrogation de cette loi, en accord avec les promesses électorales. Le résultat est la naissance de ce qui est appelé un "compromis" entre l’Eglise et l’Etat. Depuis, aucune force politique, ni en faveur d’un durcissement, ni d’une libéralisation, ne l’ont modifié.

 

Dans la pratique, qu’en est-il du recours à l’IVG en Pologne ?

 

Alors que l'avortement est permis dans les trois cas précités, la réalité montre que les cas des femmes qui se sont vu refuser une IVG alors qu'elles répondaient à l'une des trois conditions requises pour y avoir accès légalement sont fréquents. Environ 3000 médecins, infirmières, sages-femmes et étudiants en médecine catholiques ont signé la-dite Déclaration de Foi, qui cite une "clause de conscience", appelant à davantage de droits à exercer leurs fonctions conformément à leurs convictions religieuses. Dans le droit polonais, cette clause les autorise à refuser un avortement à condition d'aider les patientes à trouver un établissement médical pratiquant l'intervention. Si dans ce cadre légal stricte, le nombre d'interruptions de grossesse pratiquées chaque année se limite donc à quelques centaines, les recours aux IVG illégaux sont nombreux. Ils sont estimés, selon l'organisation Federa, qui milite pour le droit à l'avortement, entre 80 000 et 100 000 annuels dans le pays, pratiqués par des médecins dans des cabinets privés pour des sommes allant de 2000 à 4000 zlotys (500 à 1000 €). Un sondage conduit en 2013 a montré que près d'une femme polonaise adulte sur trois avait eu recours à un avortement.

 

Le PIS sur le point de légiférer mais dans l’embarras…

 

Aujourd’hui, les députés du PiS se sont prononcés en faveur du projet de durcissement de la loi. Le Parlement a décidé dans la soirée du mercredi 10 janvier d'envoyer en commission un projet de loi qui a pour objet d'interdire "l'avortement eugénique", c’est-à-dire celui décidé en raison d'une malformation du fœtus constatée grâce à un examen prénatal. Cette décision a provoqué une manifestation de plus de 100 personnes devant le Parlement. Adversaires du durcissement de la législation et défenseurs du libre accès à l'IVG ont affronté une quinzaine de manifestants pro-vie qui avait installé un grand écran projetant des images de corps de bébés ensanglantés et un grand haut-parleur diffusant des cris d'enfants .

 

Mais les avis au sein-même du PIS étant partagés sur la question, ce dernier a longtemps essayé d’éviter ce débat. Son électorat est composé aussi bien de partisans du durcissement de la loi sur l'avortement que de partisans du maintien du statu quo. Au début de l’année 2016, la presse rapportait que le chef du parti, Jaroslaw Kaczynski, aurait rencontré un haut représentant de l'Eglise polonaise pour l'exhorter à obtenir des militants anti-avortement qu'ils modèrent l'intensité de leurs revendications…

 

Selon Gazeta Wyborcza, le PiS n’est pas satisfait que seul le projet durcissant la loi IVG soit passé en commission. Un député anonyme du PiS confirme en effet que le parti craint maintenant une forte pression de la part de l’Eglise et des milieux anti-avortement. Le PiS essayera donc de repousser dans le temps les travaux sur le projet du comité « Stop à l’Avortement ».

 

Et l’opposition en difficulté…

 

Un second projet d'initiative citoyenne, libéralisant l'IVG, a quant à lui été rejeté par la Diète (202 voix contre 192) en raison de l’absence de députés de l’opposition lors du vote. Il prévoyait la libéralisation de l'IVG jusqu'à la douzième semaine de grossesse pour des raisons psychologiques et sociales, ainsi que l'introduction de l'éducation sexuelle dans les écoles et un accès libre à « la pilule du lendemain ». 

 

Alors que 58 députés du PiS, dont Jarosław Kaczyński, président du parti ou Mariusz Błaszczak, ministre de l’Intérieur, ont voté pour l’examen du texte en commission, 39 députés de l’opposition n’étaient pas présents au vote. Rzeczpospolita informait en une, vendredi 12, d’une réaction forte au sein de la PO (principal parti d’opposition) qui a décidé d’exclure trois députés conservateurs ayant voté contre le projet de l’initiative « Sauvons les femmes », contrairement à la discipline du parti.  Trois députés de Nowoczesna ont suspendu leur appartenance au parti pour un mois afin de manifester leur déception face au comportement de leurs collègues absents ou qui ne se sont pas abstenus.

 

La Rédaction (lepetitjournal.com/Varsovie) – Lundi 15 janvier 2018

 

 

Inscrivez-vous à notre newsletter gratuite !

Suivez-nous sur Facebook

 

 

lepetitjournal.com varsovie
Publié le 15 janvier 2018, mis à jour le 15 janvier 2018
Pensez aussi à découvrir nos autres éditions