Presque entièrement détruite pendant la Seconde Guerre mondiale, Varsovie renaît de ses cendres en exhibant une nouvelle esthétique architecturale : celle du réalisme socialiste. Les qualificatifs à son encontre sont nombreux et la plupart du temps peu flatteurs : brutaliste, imposante, froide… Certes. Partir sur les traces de cette période de l’histoire qui a duré presque 50 ans constitue un parcours captivant qui nous plonge par moments dans une époque douloureuse qui ne semble pas totalement révolue, tant elle est encore présente par ses édifices.
Place de la Constitution (Plac Konstytucji)
Cette place qui date de 1952 représente le symbole du communisme à Varsovie. En effet, après la destruction de la ville, les communistes ne désirent pas reconstruire cette capitale qui s’est rebellée trop souvent et abrite le siège de l’armée clandestine liée à l’Etat démocratique en exil. Mais ils se trouvent confrontés à une situation imprévue : le retour des habitants qui commencent à reconstruire leur ville. Face à cette détermination populaire, ils n’ont pas le choix, mais la reconstruction doit se faire à leur manière en respectant un certain type d’esthétique : celui de l'architecture réaliste socialiste. Un style qui se caractérise par des bâtiments gigantesques, construits dans des matériaux de très bonne qualité (granit, marbre...). Leur grandeur et leur solidité sont le symbole même du pouvoir communiste, qui se veut immense et infaillible. Par ailleurs, les avenues très larges sont prévues pour les manifestations officielles, rassemblant plusieurs milliers, voire dizaines de milliers de personnes.
Le nom entier de ce quartier est "Marszalkowska Dzielnica Mieszkaniowa » (quartier résidentiel de Marszalkowska), MDM. Ce bas-relief commémoratif l’a inauguré le 22 juillet 1952. Pour certains, Staline y serait représenté.
Le bâtiment de l’hôtel MDM est construit afin de cacher l’Eglise qui se trouve place Zbawiciela. Il est en effet inconcevable, pour le pouvoir en place, que les grandes parades du 1er mai qui arrivent du Palais de la Culture ait pour perspective la vue d’une Eglise ! Car si ces dernières restent tolérées afin d’éviter les rébellions populaires, on cherche néanmoins à en amoindrir la présence.
L’entrée de la rue Sniadeckich, qui part de la place Konstitucji, débute par un petit passage caché à l’époque par des arbres. Cette rue abrite quelques maisons qui datent d’avant-guerre et fait partie d’un quartier cossu. Ce qui, évidemment, n’est pas du goût des communistes. Mais nous sommes au début des années 50 et les habitations manquent encore. Leur destruction n’est donc pas envisagée. Toutefois, afin d’éviter que cette rue, symbole du capitalisme, ne soit visible d’un haut lieu du communisme, son accès est camouflé.
Notre guide nous invite ensuite à observer les différents bas-reliefs de « cette nouvelle aristocratie communiste » : les travailleurs, qui ornent les murs de la rue Marszalkowska. Elle en profite pour nous expliquer la vision de la société des communistes dont un des objectifs est de se débarrasser de l’intelligentsia.
Les agriculteurs ont très peu de terres, ils n’ont pas le droit de posséder plus de 50 hectares. Ceux qui en possèdent davantage voient leurs terres découpées, distribuées aux gens du village et perdent le droit d’habiter dans la même commune. Leurs maisons sont reconverties en cliniques, école ou tout autre bâtiment public. Cette loi est dirigée contre l’aristocratie polonaise constituée notamment de propriétaires terriens, et beaucoup décident alors de s’exiler.
Les communistes prônent l’égalité des chances entre les enfants des villes et des campagnes. Une de leur réussite est la lutte contre l’analphabétisation. Après la guerre, l’école devient gratuite, publique et obligatoire jusqu’au lycée (avant la guerre, seule l’école primaire l’était). Cependant, l’entrée à l’université est soumise à la réussite de concours. Afin d’en faciliter l’accès aux enfants de paysans, ceux-ci se voient accorder des points supplémentaires, faveur dont ne bénéficient pas les enfants de l’intelligentsia et des artisans. Le système souhaite en effet éviter de favoriser l’éducation de potentiels protestataires.
Au n°41 (de la rue Marszalkowska), se trouve une maison qui date d’avant la guerre. A l’entrée, vous observerez une petite vitrine dans laquelle étaient exposés des objets illustrant la profession exercée dans le bâtiment. Cette habitude disparaît ensuite pendant le communisme. Aujourd’hui une artiste a recyclé cette petite vitrine en y organisant le plus petit musée de Varsovie. Les objets exposés sont changés 2 ou 3 fois par an.
Nous empruntons ensuite la rue Koszykowa pour arriver aux halles Koszyki, très réputées pendant le communisme. En effet, contrairement aux magasins qui sont presque vides, les agriculteurs viennent ici vendre leur production. L’Etat laisse faire, conscient qu’il n’est pas capable de fournir lui-même la quantité nécessaire aux besoins de la population.
Dans les années 70, le système de coupon est introduit. Chaque mois les familles reçoivent des coupons, distribués au travail, qui déterminent ce qu’ils peuvent acheter. Aussi, dès lors qu’un article est disponible, il est d’usage de l’acheter, même s’il ne répond pas à un besoin. Fréquemment, les gens font la queue pour un produit spécifique et reviennent avec autre chose. Ensuite les produits sont échangés ou revendus au marché noir. Un système qui requière de maintenir de très bonnes relations avec la vendeuse, laquelle tient un rôle crucial : celui de vous tenir informés des jours de livraisons…
A la sortie des Halles, à gauche, se trouve un café qui est un ancien bar à lait. Cette institution instaurée et subventionnée par les communistes est très répandue à l’époque et est encore présente à divers endroits à Varsovie, aujourd’hui. L’octroi des subventions dépend de la présence d’une certaine quantité de lait dans les plats qui sont très bon marché. En revanche, tout le bétail est exporté.
Nous arrivons ensuite rue Emilii Plater, l’occasion pour notre guide de nous expliquer l’histoire de certaines maisons (notamment aux n°7 et 13) datant d’avant la guerre. Si les communistes choisissent de les conserver, c’est toujours à cause de ce besoin d’espaces habitables. Elles sont réquisitionnées et les grands appartements sont divisés et occupés par des familles qui se voient attribuer une chambre et doivent partager cuisine et salle de bain. Les façades ne sont pas entretenues afin de faire apparaître le contraste entre ces maisons et les « beaux immeubles modernes communistes » où chaque famille bénéficie de son propre espace, en réalité guère plus grand qu’un mouchoir de poche.
Après être passés devant la Gare Centrale, symbole du modernisme communiste, nous arrivons devant le monument emblématique du régime : le Palais des Sciences et de la Culture (couramment appelé PKIN), cadeau de Staline au peuple polonais, conçu par l’architecte Lew Rudniew. La construction de ce bâtiment, entre 1952 et 1955, exige l’expulsion de la population de tout un quartier dont 60% aurait pu être rénové. Une grande quantité des matériaux utilisés provient de Pologne bien que le pouvoir en place souhaite faire croire qu’ils viennent de Russie ; en effet, ils sont transportés jusqu’à la frontière, marqués d’inscriptions russes pour enfin être renvoyés en Pologne.
Le PKIN est un véritable mastodonte d’une hauteur de 237 mètres, qui compte 3288 pièces (théâtre, musées, cinéma, magasins, piscine, université, salles d’expositions et de congrès) réparties sur 42 étages. Il consomme chaque jour autant d’énergie qu’une ville de 30 000 habitants et coûte 10 millions d’euros d’entretien par an. Il génère toutefois des revenus grâce à la location de ses salles. Inscrit sur la liste du patrimoine de Varsovie depuis 2007, il est géré comme un musée vivant. C’est le seul, néanmoins, à ne pas avoir besoin de subventions de l’Etat.
Nous terminons notre visite par une petite anecdote sur la salle de concert Kongresowa. En 1967, elle accueille le premier concert des Rolling Stones derrière le rideau de fer. Ce groupe mythique, impliqué dans des problèmes de drogue veut échapper à son système judiciaire et se réfugie à l’Est. La Pologne accepte de les accueillir. Ils jouent deux concerts et font salle plus que comble. Ils sont payés au même prix qu’un artiste polonais, en zlotys, ce qui n’a aucune valeur pour eux étant donné qu’ils ne peuvent quitter le territoire avec cette monnaie. Ils décident alors d’utiliser leur cachet pour acheter leur billet d’avion, organiser une fête mémorable à l’hôtel Europejski et ramener un petit souvenir de Pologne… de la vodka ! Mais en quantité très importante (la légende ne parvient pas à déterminer combien), de sorte qu’ils vont devoir finalement la laisser à Varsovie, les droits de douane étant trop élevés. Ils en feront généreusement don à l’association des artistes polonais !