LePetitJournal.com/Varsovie vous propose de continuer la série cinéma consacrée aux films qui touchent de près ou de loin à l'histoire cinématographique de la Pologne. Aujourd'hui, nous nous intéressons au film allemand Et puis les touristes de Robert Thalheim sorti en 2008. Souhaitant aborder le sujet de la Shoah de façon originale, Robert Thalheim plonge ses personnages dans l'Auschwitz d'aujourd'hui. Ce cinéaste allemand réalise ici un beau travail de mémoire.
Auschwitz vu et vécu de façon différente à travers la caméra de Robert Thalheim
Lorsque Sven Lehnert, jeune berlinois d'une vingtaine d'années, arrive à Auschwitz à la fin des années 2000 dans le cadre de son services civil, il est tout de suite dérouté. Rien ne ressemble à ce qu'il avait imaginé. Il se retrouve en colocation assez détonante avec Stanislaw Krzeminski, ancien détenu du camp d'Auschwitz, dont il doit s'occuper nuit et jour. Krzeminski n'a jamais quitté le camp depuis sa libération. Quand il n'est pas occupé à restaurer les vielles valises des victimes d'Auschwitz, il fait la tournée des écoles et des entreprises pour apporter son témoignage de l'horreur que fut la Shoah. Sven supporte difficilement le caractère taciturne de Krzeminski et devient alors ami avec une jeune guide polonaise, Ania, ayant vécu toute sa vie à Oswieciem. Cette rencontre permet à Sven de s'interroger sur sa place à Auschwitz, en tant qu'Allemand, bien que les atrocités des camps se soient passées une soixantaine d'années plus tôt.
Invitation à réfléchir sur le rôle de la mémoire
Si Sven est déconcerté par cette ville, c'est parce qu'il ne sait pas comment l'aborder. Elle est faite de contradictions : l'histoire d'Auschwitz jure avec l'ambiance innocente de la ville d' Oswiecim, qu'il trouve presque trop banale. A l'entrée du camp d'Auschwitz, les cars de touristes et les magasins de souvenirs dérangent, comme si Auschwitz était devenu une attraction touristique, dans un seul but économique. Sven est alors secoué par les questions, et tente de comprendre comment une ville qui a connu de telles horreurs peut évoluer, sans oublier le passé. A ses questions, il trouve difficilement des réponses dans les discours de mémoire qu'il trouve stéréotypés. Le réalisateur interroge ainsi les aspects de la mémoire selon les générations.
Une expérience personnelle
« Il y a de nombreux films sur ce thème-là, mais ils ne correspondaient pas aux images que j'ai connues. Je voulais faire un film sur le développement de la mémoire. Sur les contradictions avec lesquelles nous sommes toujours confrontés dans un tel lieu. », confiait-il en 2007. Ayant lui-même effectué son service civil de 1996 à 1997 dans le centre de jeunesse d'Oswiecim, il s'appuie sur son expérience personnelle pour réaliser ce film. Les questions que Sven se pose sont en réalité celles que le réalisateur s'est posé une vingtaine d'années auparavant. En plus d'interroger le travail de mémoire, il met en perspective les rapports entre Polonais et Allemands, et la façon dont ces derniers interprètent la mémoire. Car Ania et Sven sont loin d'avoir les mêmes opinions concernant le passé, le présent et l'avenir d'Auschwitz. Sven ne conçoit pas le détachement d'Ania vis-à-vis d'Auschwitz. Ania, quant à elle, a du mal à comprendre la culpabilité de Sven, en tant qu'Allemand à Auschwitz. Thalheim parvient à aborder ces sujets avec une honnêteté et une finesse pour le moins déconcertantes, qui ne laissent à coup sûr personne indifférent.
La prouesse du réalisateur est d'avoir réalisé avec subtilité ce long-métrage sur le poids du passé et le devoir commémoratif, tout en maintenant son regard tourné vers l'avenir.
Titre original : Am Ende kommen Touristen. Réalisation : Robert Thalheim. Avec Alexander Fehling, Ryszard Ronczewski, Barbara Wysocka.
Clémence Bragard (www.lepetitjournal.com/varsovie) - mercredi 29 janvier 2014