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La légende de San Vicente Mártir

Le 22 janvier est un jour férié à Valence qui célèbre San Vicente Mártir, patron de la ville. En l’honneur du saint, une messe est offerte le matin et l'archevêque de la ville ouvre la procession sous le son des cloches. Connaissez-vous la légende de ce diacre du IIIème siècle qui suscite tant de ferveur auprès des Valenciens ?

icine de saint vincent martyricine de saint vincent martyr
San Vicente Mártir par Tomás Giner (XVe, musée du Prado)
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 23 janvier 2021, mis à jour le 8 août 2024

Augustin d’Hippone lui dédie quatre sermons qui forgent le récit de sa passion. Prudence écrit un poème et une prière en sa mémoire. Au Moyen Âge, sa renommée est telle qu’on s’arrache ses reliques dans toute l’Europe. On sait pourtant peu de choses de la vie de Vicente de Huesca. On sait qu’il est né à Huesca dans la seconde moitié du IIIème siècle et qu’il est promu diacre de Saragosse à l’âge de vingt-deux ans.

 

 

 

San Vicente Mártir
San Vicente / jdiezarnal.com

 

Partout où s'étend l'Empire romain, partout où est connu le nom chrétien, quel est le pays, quelle est la province qui ne célèbre avec joie la naissance au ciel de Vincent ?

Augustin d’Hippone          

      

Il faut bien comprendre qu’à cette époque, dans les premiers siècles du christianisme, le diacre est le garant de la vie et du rayonnement de la communauté. Sa tâche est fondamentale ; son sacerdoce, absorbant. Généralement jeune et dynamique, le diacre remplit tout à la fois des fonctions sociales et religieuses. Il officie dans une parfaite unité d’action avec l’évêque à qui incombe la charge du gouvernement des âmes. C’est sur l’association de ces deux personnes que repose le fonctionnement des premières sociétés chrétiennes. L’évêque qui a pour rôle d'encadrer Vicente de Huesca dans son diaconat est Valère. 

La péninsule ibérique est sous domination romaine depuis plusieurs siècles. Le proconsul Dacien gouverne la province, y fait régner la politique de Rome, et agit sur ordre de l’empereur Dioclétien. Ce dernier a entrepris une grande série de réformes qui s’attachent à redonner ses lettres de noblesse à la fonction impériale.

Dioclétien a en tête les invasions barbares qui ont fortement affaibli l’Empire et ébranlé la position de l’Empereur. Il se livre ainsi à une véritable sacralisation du pouvoir et ne tolère pas qu’on sacrifie à d’autres cultes qu’au sien ou à celui des dieux tutélaires. Il s’en prend aux minorités religieuses (principalement les chrétiens, les Juifs et les manichéens) et sévit contre elles par des édits et des persécutions systématiques à partir de 303 ap. JC. 

La premier acte de persécution est la destruction de l'église de Nicomédie le 23 février 303 ap. JC. La même année, Dacien, qui reçoit ses ordres de Rome, va pourchasser les chrétiens qui refusent de vénérer l’Empereur dans la péninsule ibérique. C’est le cas du diacre Vicente de Huesca et de son évêque Valère, qui sont capturés et emmenés de force dans la colonie romaine de Valentia (Valence). 

Sur le chemin, les romains passent la nuit dans une auberge. Ils attachent Vicente à une colonne dans la cour. Cette colonne existe toujours et est devenue un lieu de culte dans l’église de Santa Monica, construite en mémoire du saint.  

 

San Vicente Mártir
Église de Santa Monica à Valence / jdiezarnal.com

 

Valence est encore une ville de taille modeste où l’on compte peu de chrétiens. C’est sans doute la raison pour laquelle Dacien ordonne à ses troupes d’y emmener ces deux chrétiens récalcitrants : Vicente et Valère. La popularité dont ils jouissent à Saragosse pourrait susciter des appels à la sédition.

Roués de coup et épuisés après de longues heures de marche, Valère et Vicente de Huesca sont sommés une nouvelle fois d’adorer l’Empereur et de parjurer leur Dieu. Ils s'obstinent dans leur refus. Valère est banni. Selon la tradition locale, Valère évangélisera l’Espagne lors de son exil. Vicente, lui, doit endurer les supplices de la torture. La légende raconte qu’il chantera et rira au nez de ses bourreaux. Les versions divergent sur sa mort et l’acharnement des romains à le faire souffrir.  

Vicente de Huesca aurait été torturé sur une maie de pressoir, ce qui en fera le saint patron des vignerons au Moyen Âge selon la symbolique du sang qui coule à la place du vin.

Jacques de Voragine rapporte dans La légende dorée, une hagiographie écrite au XIIIe siècle qui inspirera de nombreux bas-reliefs dans les cathédrales, qu’on lui rompt les os et le brûle sur un gril. Toujours vivant, d’un calme inaltérable, le martyr aurait prononcé ces mots à Dacien : “Garde-toi de rien atténuer aux supplices que tu me prépares, afin que j’aie plus d’occasions de te montrer ma victoire !”.

Furieux, le proconsul décide de jeter Vicente sur des tessons pointus, au fond du plus sombre des cachots. Selon la légende, les pointes des tessons se changent en un lit de douces fleurs et les anges, dans un halo de lumière, viennent consoler le martyr.  Vicente de Huesca meurt dans sa prison le 22 janvier 304 ap.JC. De nos jours, on peut toujours visiter la crypte archéologique de San Vicente (Cripta arqueològica de la presó de Sant Vicent Màrtir) qui présente une chapelle ardente d’origine wisigothe.

 

San Vicente Mártir
Cripta arqueològica de la presó de Sant Vicent Màrtir / Joanbanjo, CC BY-SA 3.0

 

Sa dépouille est laissée en pâture aux bêtes sauvages mais un corbeau gigantesque descend du ciel pour la protéger de l’assaut des loups et des charognards. C’est pour cela qu’on retrouve généralement aux côtés du saint un grand corbeau noir dans les représentations iconographiques. 

Apprenant cette énième défaite, Dacien fait jeter dans la mer le corps de Vicente, lesté d’une lourde pierre, pour qu’il soit dévoré par les poissons. Pourtant, rien n’y fait. Le corps flotte à la surface de l’eau et rejoint le rivage. Il est recueilli par une femme pieuse qui l’ensevelit solennellement.    

Bien des siècles plus tard, aux alentours de 1240, le roi Jaume I (Jacques Ier d’Aragon) conquiert Valence et décide de faire de San Vicente le patron de la ville. Il considère devoir sa victoire sur les Maures à l’intervention du saint et fait construire la paroisse de San Vicente Mártir en sa mémoire. C’est le début du culte de San Vicente qui se célèbre le 22 janvier de chaque année et suscite le même enthousiasme à travers les siècles.

 

San Vicente Mártir
San Vicente par Serge Helholc

 

Tous nos remerciements à Serge Helholc pour son illustration. Nous souhaitons aussi la bienvenue, parmi nous à Valence, à son ami artiste belge Bidoul.

 

 

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