Le tennisman Juan Carlos Ferrero, ex N.1 mondial, vainqueur de Roland-Garros et de trois Coupes Davis avec l’équipe d’Espagne, a répondu à nos questions pour lepetitjournal.com/valence. Alors que les Internationaux de France devraient reprendre fin Septembre, il revient sur son expérience de joueur international et les grands moments de sa carrière. Il nous parle aussi de Valence, de son académie Equelite, de ses “jeunes” et du beau métier d’entraîneur qu’il a choisi de faire.
Paul Pierroux-Taranto : Nous avons lu la lettre écrite par le père de Fernando Navarro (un des élèves de l’Académie de Juan Carlos Ferrero). Comment avez-vous vécu ce confinement ?
Juan Carlos Ferrero : Cela a été une période dure pour tout le monde. Dans l’académie, beaucoup d’employés ont décidé de rester vivre en compagnie de ceux qui y vivaient déjà. Nous sommes donc restés confinés pendant toute la quarantaine avec environ quarante joueurs et quinze employés. Heureusement, les jeunes ont pu continuer à étudier, à s’entraîner et à socialiser. Beaucoup de parents nous ont écrit comme Manuel, le père de Fernando. Ça fait chaud au coeur d’avoir un bon feedback de leur part. Toutes les personnes qui ont été confinées avec les jeunes ont donné le meilleur d’elles-mêmes, et même si ça a été une rude épreuve, tout s’est finalement bien passé.
Initialement prévu du 18 mai au 7 juin, Roland-Garros a été reprogrammé pour le mois de Septembre en raison de la situation actuelle. Que pensez-vous de cette décision historique ?
Je crois que le circuit de tennis souffre beaucoup en raison du caractère international qui est le sien. Il est normal que l’on essaye de préserver les tournois les plus importants. J'espère vraiment que cette décision pourra aboutir.
" Le Roland Garros de 2003 est le seul tournoi de ma vie où tout était rodé. "
À propos de Roland-Garros, vous y avez été deux fois demi-finaliste, vous avez joué une finale en 2002, et finalement remporté le trophée en 2003. Parlez-nous de votre expérience dans ce tournoi en général et, plus particulièrement, de votre victoire en 2003 face à Martin Verkerk.
Le Roland Garros de 2003 est le seul tournoi de ma vie où tout était rodé. Je n’avais pas de douleurs, j’étais toujours concentré et motivé. Je crois que j’ai joué un grand tennis, et j’ai ainsi pu m’enlever l’épine du pied de l’année précédente. Gagner en demi-finale contre Albert Costa (champion en 2002) en 3 sets m’a permis d’arriver en finale très motivé et reposé. Je pense que j’ai vraiment bien joué face à Verkerk, grâce à cela. L’expérience qu’on acquiert au fil des années sur le circuit, où on se retrouve dans des situations très différentes, nous aide toujours à affronter des situations similaires par la suite.
Que pensez-vous du public français ? Retournez-vous souvent en France ?
L'ambiance de Roland-Garros est unique ! J’adore retourner dans cette ville et participer à ce tournois. J’ai d’ailleurs été champion de Roland-Garros Senior plusieurs fois, et j’essaie aussi d’accompagner les joueurs de mon académie qui y participent.
" Je dirais que gagner le première Coupe Davis à laquelle j’ai participé pour l’Espagne fut quelque chose d’unique et inimitable. "
Si vous deviez choisir un moment inoubliable dans votre carrière, lequel serait-il ? Et le plus difficile ?
Je dirais que gagner le première Coupe Davis à laquelle j’ai participé pour l’Espagne fut quelque chose d’unique et inimitable. Les matchs éliminatoires étaient très serrés, et gagner ce point décisif restera gravé à vie dans ma mémoire.
Quant au moment le plus dure de ma carrière, je dirais que c’est l’opération du genou et du poignet que j’ai dû subir en 2010. Les blessures sont des moments très difficiles à vivre pour les joueurs, encore plus lorsque la convalescence est longue et peut marquer un avant et un après dans une carrière, comme ce fut le cas avec celle-là.
Quel joueur a été votre rival le plus coriace ?
Je dis toujours que Roddick est ma bête noire. Je n’ai jamais réussi à le vaincre, et jouer contre lui m’a toujours rudement mis à l’épreuve. Même s’il est vrai que je n’ai jamais joué sur terre battue contre lui.
Quels sont les joueurs qui vous ont le plus influencé dans votre jeu ?
Quand j’étais petit, je regardais beaucoup Jim Courier. J’aimais aussi beaucoup Agassi. J’étais émerveillé de le voir concourir. Parvenir à décrocher le titre de numéro 1 mondial dans un duel direct contre lui a été un rêve pour moi.
" La Communauté valencienne fait partie intégrante de celui que je suis. "
Si l’on pouvait créer un “robot” - une sorte de “tennisman parfait”-, quelles seraient ses caractéristiques de jeu ? (par exemple, le service de Roddick, le mental de Nadal, etc.)
C’est quelque chose de très difficile à dire parce que le tennis a beaucoup évolué et parce qu'il y a beaucoup de variantes pour chaque point fort du jeu. Je pourrais dire que Sampras et Agassi pourraient se combiner parfaitement pour former un joueur quasi parfait. Je crois que celui qui réunit les caractéristiques les plus complètes à l’heure actuelle est Novak Djokovic.
À quoi ressemble une journée normale pour le numéro 1 mondial ?
D'après mon expérience, je dirais que c’est une journée comme les autres. Oui, d’accord, tu es le numéro 1, mais le circuit suit son cours et il faut continuer de travailler dur et de participer aux tournois pour être toujours tout en haut de l'affiche. On n’a pas le temps de s’arrêter et d’en profiter vraiment. L’horaire que je suivais est en fait très similaire à celui que nous avons dans l’académie : environ 4h de tennis par jour et autant d’heures d'entraînement physique quand on n’est pas en compétition. Le tennis demande de nombreuses heures pour pouvoir être compétitif à un niveau professionnel.
Quelles sont les techniques pour gérer le stress et la pression au plus haut niveau ?
Je dirais que le plus important est la pratique et l’expérience. C’est pourquoi le travail sur le mental a beaucoup évolué aujourd’hui, et l’on simule beaucoup les différentes situations de jeu et les manières d’y faire face.
Vous avez pris votre retraite de joueur professionnel en 2012. Est-ce que vous maintenez un contact avec vos partenaires de jeu ?
Oui, avec certains plus que d’autres. David Ferrer et Robert Bautista viennent très souvent à l’académie et on se retrouve régulièrement. Ensuite, il y a ceux qui ont participé à l’ATP champions Tours comme Carlos Moyà et Alex Corretja. Maintenant que je voyage plus grâce au circuit je renoue avec d’anciens contacts.
Vous avez toujours entretenu une relation très étroite avec la Communauté valencienne. Vous êtes né à Onteniente (dans la province de Valence), et vous avez maintenant votre académie à Villena (dans la province d'Alicante). Avez-vous imaginé changer de région ou de pays ? Que signifie être valencien pour vous ?
Quand j’étais petit, avec ma famille et mon équipe, j’ai pris la décision de rester à Valence et de travailler ici. Par chance, tout s’est très bien passé. J’ai toujours vécu ici. C’est ma terre, et même si j’aime voyager, ce qui est certain, c’est que je suis casanier. J’aime passer du temps avec ma famille et mes amis. La Communauté valencienne fait partie intégrante de celui que je suis.
Parlons un peu de votre académie et de votre travail d’entraîneur. Comment êtes-vous passé de joueur à entraîneur ?
En ce moment, je me concentre sur les joueurs de mon académie, et plus particulièrement sur Carlos Alcaraz dont je suis l’entraîneur personnel. Je vis dans l’académie depuis que j’ai déménagé, et la transition de joueur à entraîneur s’est faite naturellement. Quand j’ai pris ma retraite, je restais toujours à l’académie et je m’entrainais avec les plus âgés, je donnais des conseils aux entraîneurs et aux joueurs. Peu à peu, cela s’est transformé en quelque chose de plus en plus naturel et j'y ai pris goût.
Quel est l’avenir de la terre battue en Espagne ? Pensez-vous que certains de vos élèves pourront devenir un jour des stars du tennis mondial ?
Je crois qu’en raison des conditions propres à l’Espagne, la terre battue va continuer à être l'emblème, la marque de fabrique de nos joueurs. Mais il est certain que pour se distinguer, il faut aussi jouer très bien en dur, et c’est pour cela que les jeunes évoluent et travaillent sur chaque surface. Je vois beaucoup de joueurs de l’académie qui le font très bien et qui, je crois, pourront réussir sur le circuit professionnel.
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Entretien réalisé en espagnol et traduit en français par Paul Pierroux-Taranto.