Nous sommes allés à la rencontre de DJ El Greco, pour découvrir le personnage qui “remplit à ras bord le bar” dans lequel il travaille. DJ atypique, il est aussi un puits d’anecdotes et un symbole de la nuit valencienne et de ses évolutions.
El Greco, Juan Manuel de son vrai nom, est un personnage aussi atypique que représentatif de Valencia. Après quelques WhatsApp, rendez-vous est pris pour discuter autour d’un café, à deux pas du Pub Classic où il officie tous les soirs jusqu’à trois heures du matin. Chemise estivale et lunettes de soleil, café glacé avec une tranche de citron, El Greco est parfaitement à la mode, à son image, à l’image d’un homme qui a refusé de vieillir. “Je continuerai jusqu’à ce que mon corps tienne”, explique-t-il. Du haut de ses 76 ans et de ses mille vies, il est le DJ le plus âgé de la ville.
Quand je ne suis pas là, les gens demandent où est El Greco.
DJ El Greco, l'homme qui refuse de vieillir et enflamme les soirées du Pub Classic
DJ El Greco est entré dans le monde du travail en étant présentateur de shows dans sa jeunesse, puis humoriste en enchaînant les petits boulots pour compléter. Sa rencontre avec le monde de la musique s’est faite presque par hasard : “En 1973, j’étais embauché pour décorer une boîte de nuit dans la banlieue de Valencia, et j’ai plu à la patronne. Comme d’habitude, je mettais de la musique, j’étais de bonne humeur et le patron m’a dit 'toi, tu restes avec moi'".
Sa musique a rapidement séduit les clients du lieu et les gens venaient “de tous les petits villages autour” pour l’écouter mixer. Depuis, il n’a plus jamais quitté le monde de la nuit qui est devenu à la fois une passion et un métier, et voilà maintenant 19 ans qu’il travaille au Pub Classic. Pourtant, rien ne le prédestinait à cette carrière. Son père était militaire et El Greco a été élevé “dans un environnement très strict”. Préférant la fête à la rigueur, il participe dans sa jeunesse à des concours de rock-n-roll, salsa et cha cha cha, et ce goût pour la danse ne l’a jamais quitté.
Que pense sa famille de sa situation ? “Ils adorent, j’ai un bon salaire”, répond-il en riant. Surtout, ses horaires lui octroient beaucoup de temps libre, ce qui est peut-être la recette de sa longévité. “J’arrive au club vers 10h du soir, la musique s’arrête à 3h et je rentre chez moi vers 5h. Le matin, je me réveille vers 9h30 et je fais juste une grosse sieste l’après-midi, je vais beaucoup à la plage”. Ce temps libre, il l’utilise en partie pour rester à jour en ce qui concerne la musique. Son style préféré est la pop, mais sa clientèle, composée de trentenaires et plus, lui demande principalement “du reggaeton et de la bachata”. Un style parfaitement latino, qui lui correspond plutôt bien.
Est-ce qu’il a de la musique française dans son répertoire ? Bien sûr, répond-il, mais ses connaissances se sont arrêtées, à quelques rares exceptions, aux portes des années 90. “J’ai du Cloclo, j’aime beaucoup aussi Voyage Voyage. Il me montre alors sa playlist Spotify “frances”, où se mélangent entre autres Yves Montand, Brel, Adamo, et Aznavour.
Un témoin de la vie nocturne à Valencia
Surtout, parler avec El Greco, c’est avoir un témoignage direct du changement qui a eu lieu dans le monde de la musique. Aujourd’hui, il déplore une législation bien trop importante, venant “noyer” les boîtes de nuit. Désormais, on contrôle tout. “Les décibels, les permis dans tous les sens. Si tu mets une terrasse, la police à 1h30 du matin vient vérifier si elle est bien enlevée”. À cette “oppression totale”, El Greco y oppose la fameuse ruta del bakalao.
La Ruta del Bakalao : quand Valencia était l’épicentre de la fête
Pour rappel, cette route est un symbole du phénomène de La Movida post-franquiste valencienne. À la faveur d’une législation inexistante, les boîtes de nuits proposant des styles musicaux venus du monde anglo-saxon et totalement inexistants en Espagne se sont multipliées sur une route côtière de Valencia, “dans la zone du Saler”, comme le dit El Greco. Il s’agissait d’une révolution culturelle absolue et embrassée par une jeunesse qui cherchait à repousser les limites.
“Je connaissais cette route par cœur", raconte El Greco, "bien avant qu’elle devienne à la mode. C’était l’époque où la police ne faisait pas encore de contrôle d’alcoolémie au bord des routes”. El Greco ne regrette pas cette époque. Lorsqu’elle s’est développée, “cela faisait déjà 20 ans qu’il faisait la fête” et allait depuis longtemps acheter des CD en Angleterre et en France. “On était les prémices des boîtes de nuit. Avant, on utilisait les sous-sols des “casales falleros”, où se réunissaient les falleros et l'on mettait de la musique, et l'on dansait”. El Greco était donc parmi les pionniers des boîtes de nuit, mais aussi des karaokés : “Le premier karaoké de Valencia, on l’a ouvert nous-mêmes, sur l’avenue d’Aragon, et on faisait chanter les gens”.
El Greco représente une génération qui a influencé toute cette route du bakalao, “qu’il s’agisse des DJ ou des barmans, tous ces gars étaient des apprentis à nous”. Une génération qui a vécu non seulement une transition démocratique, mais aussi plusieurs révolutions culturelles. Malgré cela, un de ces représentants est encore en activité et son succès est plus qu’honorable. Nous vous invitons à vous rendre au Pub Classic, pour découvrir un morceau d’histoire de Valencia.
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