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¡Ay, Carmela! Le visage de Carmen Maura

L'actrice carmen maura à côté d'un soldat dans le film Ay CarmelaL'actrice carmen maura à côté d'un soldat dans le film Ay Carmela
Écrit par Catherine Diran
Publié le 1 mai 2022, mis à jour le 20 novembre 2022

Avec la pièce Ay Carmela, souvent jouée à Valence, José Sanchís Sinisterra représente sous forme dramatique la confusion provoquée par la guerre civile espagnole. Sanchis Sinisterra ne prend parti pour aucune des deux armées, mais se met plutôt du côté de l’innocence, toujours étouffée par la guerre. Carlos Saura en fera un film en 1990, qui ressort aujourd’hui, dans un contexte dramatique. Carmen Maura, qui joue le rôle de Carmela, quintessence de la liberté, obtiendra le Goya de la meilleure actrice. Un film étrangement actuel.

 

Le visage de Carmen Maura

Paris. Mars. Morose. Froid. Tout là-bas. La guerre. Je marche. La nuit est glacée comme une plaine. Les gens soufflent dans leurs mains. Devant le cinéma Luminor, derrière l’Hôtel de ville, l’espagnol et le français se mêlent. Certains chantent. Un vieil air, qui date de Napoléon, qui servira d’hymne à la République. Rumba, la Rumba, deberemos resistir. Rumba la Rumba la pero igual que combatimos… Ay Carmela !

Un film qu’en France, on a presque oublié. Carlos Saura, qui a tant parlé des horreurs de la guerre civile, y filme divinement le visage de son actrice, Carmen Maura. Carmen Maura, on se souvient d’elle, avec Almodovar, colorée, vibrante. Exotique. Une de ces gueules du cinéma espagnol que les Français connaissent, avec Rossy, Pénélope et les autres. Pas le genre à se faire retaper la gueule, non, elle, comme Carmela, elle préfère taper dans ses mains. Comme les autres filles de Pedro. Brunes, belles, vivantes, expressives. Avec français teinté d’entonces et de te digo.

 

Carmen Maura ou la liberté

Elle est là, au troisième rang, invitée d’honneur d’une avant-première parisienne. Je la regarde fixer son propre visage. Sur l’écran, Carmela et Paulino, deux acteurs de seconde zone, fuient le fascisme et s’enfuient à Valencia. Carmela sourit à Paulino. Ils se serrent l’un contre l’autre.  Ils font semblant de se marrer. Ils crèvent de peur. Valencia, la liberté. Encore un peu de liberté. Et puis non. IIs se font choper. Avec au bout, la mort, sèche et lapidaire. Des soldats. Un mur. Des hommes debout. Des hommes gisant sur le sol. Ils ne verront jamais la ville aux oranges.

Le visage de Carmen Maura… Lorsqu’elle fait l’amour en ne sachant pas que c’est la dernière fois. Ay Carmela ! Là-bas, des femmes serrent un homme contre elles, prennent ses lèvres, son corps, son souffle, avant de partir, vite, un enfant à la main. Parce qu’il n’y a pas d’autre choix. Valencia, c’est loin. Varsovie, ça commence aussi par un V.

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Carmen Maura. Dans le cinéma, elle serre les poings. Elle plonge dans ses yeux. Sur l’écran, avec sa robe faite dans un rideau pour danser la sevillana, son sourire inonde les spectateurs. Un peu plus tard, les yeux rivés sur les brigades internationales, drapée dans une bannière, elle lève la tête, pour ne jamais avoir à la rabaisser. Carmela sait déjà qu’elle s’en va loin de Paulino. Pour toujours. Résolue. Le visage de Carmen Maura, livide, qui ne plie pas. Ay Carmela.

 

Aujourd’hui le visage de Carmen Maura se balade dans le nord de l’Europe

Un visage grelottant, hagard, perdu, moribond. Les hommes se battent. Les femmes courent, pleurent, supplient, s’en vont lorsqu’il est encore temps. À Valencia, comme ailleurs en Europe, autour d’une bière, on s’écharpe, on discute, qui est qui, qui est quoi. Comment, quand, la faute à qui, le gaz de ville, le gaz des champs, la mort organisée, les usines d’armement qui tournent à plein régime, les responsables, les profiteurs. Et nous sommes Soleil, tardeo, nous sommes à Valencia, loin, ou tout près. Démunis. Avec comme seul repère le souvenir des Fallas et leur bruit de bombes. Au Lycée Français, on vient de voter. Répit électoral. 

Et Carmela accepte la mort. En la regardant en face. Ay Carmela. S’il suffisait de se plonger dans son visage. Pour arrêter tout ça. Dans le visage de Carmen Maura.Toucher le désespoir. Le courage et l’orgueil. L’incompréhension. Le battement de son cœur. Voir la balle qui percera son visage. La sentir chanceler. Se souvenir que l’Espagne a payé son dû, il n’y a pas si longtemps, et que les fosses communes ne sont pas toutes ouvertes.

Les guerres, fratricides ou non, se ressemblent. Aux corps jonchant le sol, à leurs mains liées, aux villes dévastées, aux rires éteints. Il n’y a certainement rien à faire. Juste se souvenir. Et sentir le sang poisseux dans nos mains inutiles. Et peut-être, seulement, garder au fond de soi le visage de Carmen Maura. Ay Carmela.

 

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