L'exposition « Talan 2023 » a été inaugurée le 3 novembre 2023, au Centre de développement des tapis et métiers à tisser à Denden. Autour du thème du tissage, elle présente le travail exceptionnel de 19 artistes plasticiens et designers tunisiens et étrangers, en collaboration avec 200 artisans du domaine. Elle se poursuivra jusqu'au 20 mars 2024.
L’exposition se vit comme un parcours, à travers un ensemble de créations inspirées du patrimoine traditionnel, avec un regard et une vision artistique renouvelés.
À l'occasion de cet événement, nous avons interviewé l'une des 19 artistes, Meriem Bouderbala, qui a créé pour l'occasion l'installation : L'odyssée des migrants " BOZA et ORDALIE "
Lepetitjournal.com Édition Tunisie :
Pourquoi avoir choisi le thème des migrants pour votre participation à l'exposition ?
Meriem Bouderbala :
Je n'ai pas choisi ce thème. Je suis moi-même un migrant, je ne me sens de nulle part et je trouve par ailleurs que c'est une force, car on emporte avec nous notre bagage culturel partout où l'on va. C'est un sujet qui me tient à coeur et que j'avais déjà exploré lors de l'exposition " Pollen " dans les jardins de Dar el Kamila, où j'avais installé un migrant « solitaire Simeon », j'avais fait rentrer un migrant à l'ambassade de France !
D’autre part, quand Aicha Gorgi et Nadia Jelassi m’ont demandé de participer, il y avait cette actualité très forte autour de Lampedusa. J’ai toujours eu une forme d engagement par rapport à ces injustices, et aux drames des guerres sans fin. On traite les gens comme des objets : 400 vies ou 400 objets c’est pareil …
J'ai souhaité mettre en avant la culture de ces gens, avec leur intelligence, leurs capacités, leurs rêves. Ce n'est pas parce que ces gens sont morts que ce qu'ils sont est mort.
L'idée est de rendre éternels ces êtres qui ne sont pas légitimes à parler de leur souffrance, ils font partie de la masse des silencieux, ils sont du côté de la pauvreté, c'est décidé d'avance.
La dénonciation se fait à travers l'œuvre.
Quelles symboliques retrouve-t-on dans les différentes créations de votre installation " BOZA et ORDALIE " ?
Une gravure du navire du négrier Charon, qui partait de Nantes vers l’Amérique via l’Afrique. J'étais ébahie de voir comment les esclaves étaient rangés comme des insectes les uns à côté des autres. J'ai repris cet imaginaire avec la graine d'acacia sur laquelle j'ai dessiné les migrants.
La graine c'est la germination, on ne meurt jamais, on renaît toujours.
L'acacia est l'arbre d'éternité.
C'est sur des nattes mortuaires traditionnelles tressées par une artisane, qui servent à transporter les morts vers leur dernière demeure, que j'ai installé mes œuvres : ce sont des véhicules, comme le navire.
J'ai travaillé également avec le brodeur Nejib qui m'avait impressionnée par ses capacités artistiques, de compréhension de mon travail et de mes attentes
L'ensemble représente l'histoire d'une odyssée, l'histoire d'une femme qui fuit pour partir en Europe et qui tombe en abîme.
Je raconte ce voyage pendant lequel elle se transmute en sirène, en squelette, en hippocampe, en animal hybride, en chimère.
Et dans le choix des matériaux ?
L’écologie, l’alchimie entre artiste et artisan avec des matériaux qui valent peu ou rien, feuilles, morceaux de filets de pêche, des déchets trouvés dans la nature.
Il est important de faire exister l'artisanat avec des choses très accessibles, peu coûteuses, que l'on peut rendre nobles, tout en exacerbant sa créativité.
Tout a été fait entièrement à la main.
Quelle est la signification du titre " BOZA et ORDALIE " ?
BOZA : victoire et laisse-moi passer en Bambara
ORDALIE, c’est l’épreuve par le feu, la jument de Dieu
Ce feu rappelle aussi les haragas qui brûlent leurs papiers d’identité avant de migrer.
Pour le représenter, j'ai utilisé le fer à souder pour découper le plastique et certains éléments.
Que retenez-vous de la création de vos œuvres en collaboration avec les artisanes ?
Pendant 2 mois, J'ai été une artiste doublée d'une artisane, j'ai gagné en humilité.
À travers votre art, qu'aimeriez vous transmettre à la jeune génération ?
Que l'art peut avoir une consonance écologique. La nature est magnifique et nous offre énormément de choses, on peut la transcender et la renouveler. L'idée que l’on puisse apprendre à utiliser les déchets pour créer est une source de travail et d'innovation sans fin.
Le meilleur exemple est l'artiste Tony Cragg, connu internationalement, qui a fait du recyclage un art à part entière.
En dehors de cette exposition, quelles sont vos sources d'inspiration ?
L’art populaire, le droit de la nature et des animaux, la sidération devant le théâtre de la cruauté de l’être humain, le constat glacial de ce que nous sommes devenus.
L'homme est un loup pour l'homme.
Selon vous les arts et talents tunisiens sont-ils suffisamment valorisés à l'étranger ?
Non et pour une raison connue, dont tout le monde se plaint : les énormes difficultés au niveau des douanes. Il est extrêmement difficile de sortir une oeuvre de Tunisie, c'est également très coûteux et demande des démarches administratives très longues, tant en Tunisie qu'à l'étranger.
Comptez-vous vendre vos œuvres exposées à l'expo Talan ?
Non je ne le souhaite pas j'aimerais beaucoup qu'elles soient ensuite exposées au musée de Dakar par exemple.
L'artisanat et le patrimoine tunisien sont-ils au centre de vos préoccupations ?
Oui tout à fait et particulièrement les arts traditionnels.
Vous êtes une artiste pluridisciplinaire. Quel type de matériau n'avez vous encore jamais expérimenté ?
L’impression 3D qui m'intéresse beaucoup, et la réalisation d’un film, une fiction.
Quels sont vos projets en cours ?
La Biennale de céramique à Bruxelles en janvier 2024.
Expo Talan 2023
Le Ministre du Tourisme, M. Mohamed Al-Moez Belhcine, a inauguré l'exposition le 3 novembre 2023, au Centre de développement des tapis et métiers à tisser à Denden. Cet événement est organisé par le Centre technique d’Innovation et Renouveau dans le Tapis et le Tissage et l'Office National des Industries Traditionnelles sous la tutelle du Ministère du Tourisme et en coopération avec la « Fondation » « Talan Tunisie »
Le ministre du Tourisme a souligné l'importance de cette manifestation, qui s'inscrit dans le cadre des efforts du ministère visant à développer et valoriser le secteur des industries traditionnelles, notamment le tissage sur métier à main, et à apporter un soutien et une autonomisation économique aux artisanes travaillant dans le secteur.
L’exposition comprend un ensemble de créations inspirées du patrimoine traditionnel avec un regard et une vision artistique renouvelés, entre 19 créateurs et plasticiens de Tunisie et de diverses parties du monde, et environ 200 artisans textiles de toutes les régions de la République.
Meriem Bouderbala
Photographe, peintre, céramiste, commissaire… Meriem Bouderbala a été formée à l'Ecole des Beaux-Arts d'Aix-en-Provence et à la Chelsea Art School de Londres. Elle vit et travaille entre Paris et Tunis. C'est dans sa double origine et sa double culture - française et tunisienne - qu'elle puise son inspiration créatrice. Sa sensibilité est marquée par ce tissage de liens culturels et affectifs avec la Méditerranée. Elle choisit de travailler entre les deux et de poser un regard lucide et critique sur ces deux rivages que l'histoire a, à son tour, rapprochés et séparés. Lauréate du Prix Fondation Ricard en 1998 et du Centenaire de Michelin en 1999, elle a été décorée en 2015 des insignes d'Officier des Arts et des Lettres par le Ministère français de la Culture.
Portrait complet sur le site de l'expo talent
Biographie wikipedia
Accès à l’exposition : Centre 3T à Denden
En arrivant devant l'artisanat à Denden, tournez à gauche en empruntant la rue de Carthage (avant la pharmacie) gps - plan photo
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