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Sous les arcs-en-ciel de la Gay Pride à Tokyo

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Écrit par Chloé Levray
Publié le 14 mai 2018, mis à jour le 14 mai 2018

Sous la bannière des arcs-en-ciel brandis à bout de bras, la fierté de porter les couleurs de la diversité sexuelle. Du 28 avril au 6 mai, la Tokyo Rainbow Pride a soufflé un vent de pigments, de tolérance et de communion : Rouge, Orange, Jaune, Vert, Bleu et Violet, toutes les nuances scintillaient sur les pavés de la capitale japonaise. Un rendez-vous d’ampleur pour promouvoir l’égalité dans l’amour, pour placer un instant la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), trop souvent résolue au silence dans l’archipel japonais, sous la lumière des projecteurs. Le maître-mot était la mobilisation pour la construction d’une société et d’un monde où les gens se sentent libres d’être eux-mêmes, indépendamment de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre. 


La réalité LGBT : quand le silence est roi

 

L’homosexualité, tout autant que l’hétérosexualité comme l’identité de genre, trouvent leurs échos dans la culture du Japon. Les arts ne manquent pas d’y faire référence et l’histoire les a également écrites, notamment à travers les amours décrites entre hommes dans le monde guerrier des samouraïs et le monde monastique du Moyen-Âge. Nombreuses sont les relations relatées unissant Shoguns et vassaux, dont l’une des plus célèbres d’entre elles qui lia le Shogun Ashikaga Yoshimitsu (1358-1408) et Zeami, encore nommé Kanze Motokiyo, théoricien du théâtre Nô. Le Kabuki n’est pas en reste : non seulement il vulgarisa le travestissement en vertu des principes selon lesquels les rôles féminins étaient (et sont toujours) exclusivement joués par des hommes, mais encore suscita tous les fantasmes par le jeu de ses acteurs. Jusqu’au milieu de l’ère Meiji (1868-1912), la société japonaise était très tolérante vis-à-vis de l’homosexualité masculine. Elle différait en cela largement de l’Europe où l’homosexualité était considérée, dans le contexte de la religion chrétienne, comme un péché sur le plan religieux et un délit sur le plan pénal. Pourtant, si traditionnellement le Japon a la réputation de la tolérance envers ces minorités sexuelles et si aujourd’hui aucune loi ne discrimine les personnes de la communauté LGBT, le quotidien est une toute autre réalité. 


Dans les faits, le silence est roi et l'ignorance sociale joue un rôle important dans l'attitude quasi-indifférente de la plupart des Japonais envers ces minorités. Le manque de tolérance reposant en effet sur l’idée très courante qu’appartenir à une minorité sexuelle doit rester secret d’alcôve et que cela ne met pas en jeu l’être humain dans sa totalité. Quelque peu pulvérisée par l’apparition du Sida dans les années 80 qui a contribué à faire lumière sur l’homosexualité, la règle du « tu ne parleras pas » reste monnaie courante. Certes, la communauté gay a gagné en visibilité grâce au boom Internet, à l’exposition médiatique, à la présence de personnages homosexuels dans les feuilletons télévisés ou les films. Certes plusieurs travestis et transsexuels célèbres sont entrés dans le monde de la télévision à l’instar de Matsuko Deluxe, homosexuel travesti en femme très présent dans les émissions de variétés et les annonces publicitaires, mais ces avancées ne cachent pas pour autant le cruel manque de reconnaissance sociale. Les souffrances sont nombreuses : manque d’information sur l’identité sexuelle – notons que le sujet n’est toujours pas abordé à l’école, brimades, isolement, mises à l’écart, précarité, détresse psychique…


En mai 2016, l’ONG Human Right Watch, dans son rapport « The Nail That Sticks Out Gets Hammered Down’: LGBT Bullying and Exclusion in Japanese Schools » (« Le clou qui dépasse sera enfoncé : Brimades et l’exclusion anti-LGBT dans les écoles japonaises ») pointait la déficience du gouvernement japonais à protéger les élèves LGBT des moqueries et autres attaques à l’école, entravant leur accès à l’expression personnelle et encourageant le harcèlement. Ces violences n’étant pas uniquement le fait des élèves, mais aussi des professeurs non sensibilisés à la cause. L’organisation de défense des droits de l’Homme déclarait à ce propos : "La rhétorique de haine anti-LGBT est quasiment omniprésente dans les écoles japonaises, murant les élèves LGBT dans le silence, la détestation de soi et dans certains cas la violence contre soi-même". Aux yeux des agresseurs, ces minorités constituent d’autant plus des proies faciles qu’elles ont très souvent honte de porter plainte, rendant cruciale la nécessité de libérer la parole sur le sujet. Cette situation n’est certes pas propre au Japon, mais le pays souffre d’un grave retard concernant la protection des droits de ces minorités sexuelles totalement ignorées par la loi et une grande partie de la société. Ce qui fait de la Tokyo Rainbow Week un événement tout particulièrement important du combat et de la reconnaissance en donnant la parole aux personnes directement concernées. 

 

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Sous les drapeaux de couleur : des espoirs de reconnaissance

 

Cette année encore, pour la septième fois, nombreux étaient les participants, concernés ou alliés des luttes LGBT. Ainsi, 150 000 personnes ont participé au festival d’une durée de 9 jours, se rendant dans les ateliers et groupes de discussions, aux différentes manifestations et autres shows. Le jour de clôture, dimanche 6 mai, ils étaient 7000 à parader dans les rues de Harajuku non loin du parc Yoyogi sous leurs costumes excentriques et leurs sourires de couleurs. L’heure était à la fête, à l’amusement et la fierté d’être soi, de s’assumer dans sa différence. C’était encore l’occasion de s’adresser aux politiques par l’intermédiaire des législateurs présents et des représentants de l’opposition conviés à l’événement. A ce titre, le député Kanako Otsuji du Parti démocratique constitutionnel du Japon qui s’est ouvertement déclaré homosexuel, il y a quelques années, a affirmé « J'étais heureux de côtoyer beaucoup d'amis aujourd'hui, mais nous devons aussi travailler à développer des lois favorables aux LGBT ». En particulier, les paradeurs ont appelé à la tolérance et à la reconnaissance des mêmes droits que les couples hétérosexuels, notamment en ce qui concerne l’éducation et le mariage.


Il n’existe en effet toujours pas de législation en vigueur suffisante pour freiner les discriminations dans les domaines de l’emploi, de l’éducation, de la santé, du logement et même des opérations bancaires. Plaisanteries lourdes et blessantes des collègues sur l’orientation sexuelle, non prise en compte du choix de l’identité de genre comme dans le cas où une salariées transgenre s’est vue renvoyée par son employeur sous prétexte qu’elle laissait pousser ses cheveux (jugement sur la base de son sexe masculin de naissance)... Toutefois, quelques initiatives voient le jour et, dans ces domaines, le ton est donné par les entreprises : de plus en plus surveillent de près les discriminations à l’embauche à l’instar de Sony ou Shiseido et proposent les mêmes droits que les personnes hétérosexuelles comme la possibilité de les laisser partir en lune-de-miel. 


 
En matière d’union, le mariage étant réservé aux personnes de sexe opposé, le seul moyen de contourner la législation en vigueur était jusqu’alors l’adoption de l’un des deux conjoints par l’autre si celui-ci était majeur. Cette loi détournée de sa fonction initiale permettait au couple la garantie des droits d’héritage, de succession et d’avantages fiscaux tels qu’ils existent pour les couples mariés. Mais de récents progrès par l’établissement d’un certificat d’union - les crispations étant nombreuses pour une appellation sous le titre de « mariage », ont également été faits dans certaines localités. Inaugurée par l’arrondissement de Shibuya en avril 2015, de nombreuses autres localités ont choisi cette voie, mais précisément parce que l’établissement d’un tel certificat dépend des localités, il n’existe ni homogénéisation ni consensus à l’échelle nationale. En décembre 2016, la ville d’Osaka a fait un pas de plus, autorisant un couple homosexuel à devenir famille d’accueil pour un petit garçon. Une première car jusque-là seuls les couples mariés ou les célibataires pouvaient obtenir ce statut même si rien n’excluait les personnes de même sexe dans l’article de loi. Au préalable, deux femmes homosexuelles avaient pu devenir parents d’accueil, mais elles avaient été jugées en tant que femmes célibataires de manière individuelle et non comme le couple qu’elles formaient alors. 



Des petits pas ont été faits, améliorant la situation des personnes LGBT au Japon, mais il reste encore beaucoup à faire dans ce pays où les jugements et les discriminations s’expriment par le silence. La gay-pride était l’occasion de revendiquer haut et fort l’égalité des droits : égalité et liberté dans l’amour, égalité et liberté des orientations sexuelles, égalité et liberté des identités de genre tout en assurant la volonté de changer le regard de la société et faire accepter les différences au grand jour. Car s’il est plutôt facile de promulguer une nouvelle loi, changer les mentalités demande de déconstruire des préjugés tenaces dans le temps.

 

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