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II. OMIHACHIMAN – AZUCHI (SHIGA) | Notes sur les chemins d'automne

voyage de Wotan Jhelilvoyage de Wotan Jhelil
Écrit par Wotan Jhelil
Publié le 27 mars 2021, mis à jour le 29 mars 2021

Deuxième chapitre de la série "notes sur les chemins d’automne" écrit par Wotan Jhelil lors de sa marche du lac Biwa au mont Fuji et à retrouver chaque semaine sur lepetitjournal.com.
C'est enfin l'heure du grand départ pour le marcheur.

 

Aujourd’hui je pars. Comme à chaque fois j’ai prévu mon départ il y a déjà plusieurs semaines. Tout est prêt.
Hier était mon dernier jour de travail et je profite de la matinée pour préparer soigneusement mon bagage. J’y passe plusieurs heures pendant lesquelles je réfléchis à la disposition la plus efficace de mes affaires à l’intérieur de mon sac.
Yudai, que j’ai pu connaître comme collègue et colocataire, me prête sa tente compacte et légère après quelques derniers conseils. Grand randonneur avec des milliers de kilomètres d’expérience du paysage japonais, il a eu l’occasion de la mettre suffisamment à l’épreuve pour que je lui fasse entièrement confiance sur ses capacités. Une petite tente igloo pour une personne, mais avec un peu de bonne volonté deux peuvent y loger aisément.
Je vérifie le reste de mon matériel : corde, couteau, réchaud à gaz, briquet et des vêtements bien chauds. Tout semble en ordre pour un grand voyage. Je jette un dernier coup d’oeil à mon trajet que j’explique à Sayu : une fois arrivé à destination c’est chez elle que je passerai la fin de mon séjour au Japon.

 

AU REVOIR BIWAKO

Hors de ma chambre, les autres stagiaires s’affairent aux derniers travaux de fermeture de la Biwako Biennale, qui nous aura rassemblés en tant que collègues et amis depuis mi-août. Certains y travaillent depuis avril et il flotte déjà dans l’air un parfum de nostalgie depuis la fin des expositions du 11 novembre.
Tous se préparent à quitter la ville, d’autres sont déjà bien loin. Yudai et Andrea, son compagnon, sont surpris lorsqu’ils comprennent qu’il est bientôt l’heure pour moi de partir. Bien décidés à se séparer dans les formes pour se souvenir une dernière fois de tous les bons moments passés ensemble, nous organisons un rapide repas d’au revoir au restaurant de ramen plus loin dans la rue. Je mange un dernier bol d’udon, des nouilles épaisses et tendres, faciles à saisir entre ses baguettes et baignant dans un bouillon de curry qui me réchauffe et me remplit agréablement le ventre de sa texture onctueuse.

Vers 16 heures passe Yoko, la directrice, avec quelques autres bénévoles récurrents, tous venus me souhaiter bon courage dans mon périple un peu fou à leurs yeux et me serrant dans leurs bras. Mon sac sur les épaules, je descends avec une légère boule au ventre les escaliers du bureau de la Biennale. Sayu porte mes affaires pendant que je m’équipe sur le bord de la rue, plus par envie de m’aider que par réelle nécessité. Nous nous regardons quelques instants dans un moment de flottement : « J’y vais ».

Je pars.

wotan jhelil marche

TERRAIN CONNU

16 heures 30, la lumière perd déjà en intensité. Il fait frais aussi, mais le soleil reste chaleureux en cette après-midi de novembre. Je longe la route, m’éloignant du quartier historique d’Hachiman-Bori et de ses maisons de bois noircis de l’ère Edo. J’arrive devant le restaurant de Megumi et sa devanture discrète : un lampion rouge encore éteint au pied du Vories Memorial Hall, grand bâtiment aux allures d’hôtel une fois la nuit tombée. Nous y avons passé d'heureuses soirées dans cette petite baraque, assis sur les tatamis à observer le tintamarre des habitués enivrés et toujours une cigarette au coin des lèvres, à se disputer et échanger leurs problèmes avec la vieille patronne au sourire ridé.

Je continue ma route pour passer entre les champs, toujours vers l’est. C’est le cap que je me suis fixé : plein est jusqu’au mont Fuji. J’aperçois au loin le toit de tôle bleue d’Ayaha DIO, magasin de bricolage à une quinzaine de minutes à vélo des lieux d’exposition et au parking en vis-à-vis d'un poulailler, dont les volailles s'échappent parfois en quelques battement d'ailes.
J’arrive à une barrière de chantier : la route est barrée pour les voitures. J’enjambe un tube de PVC jaune et noir qui me bloque le passage alors que le soleil disparaît peu à peu. Le ciel se teinte de rose et de violet et un vent léger souffle parmi les cultures et contracte nerveusement ma nuque en une série de frissons. Je m’enveloppe dans des habits plus chauds et resserre mon foulard bordeaux autour de mon cou.
Les écouteurs dans les oreilles, je me sens prêt à avancer, porté par différents groupes de musique folk aux sonorités tribales faisant de ce départ un moment particulier. À partir de maintenant, tout est à découvrir.

 

AZUCHI DANS LES CHAMPS

Je m’éloigne doucement des lumières naissantes de la ville, les pieds toujours sur la route et l’oeil attentif aux indications de la boussole. Un stade dans lequel des jeunes s’entraînent au base-ball me sert de repère sur quelques centaines de mètres, éclairant les champs alentour de ses hauts phares de métal. En le dépassant je me rends compte qu’il fait bien nuit et que le tracé de la route ne correspond plus à l’axe indiqué par ma boussole.
Je décide de couper à l’azimut à travers les champs en friche pour l’hiver, sillons de terres instables et difficiles à suivre. Je prévois de tracer mon chemin à la boussole sans aucun écart, afin de ne rien choisir dans mes découvertes et voir le Japon tel qu’il est, et non pas comme on aime l’imaginer ou comme on souhaite nous le présenter.
Qui sait ce que je rencontrerai en route ? Entre les parcelles de terrain de petits canaux sont creusés pour irriguer les cultures. Faciles à enjamber pour la plupart, certains nécessitent un bon saut pour être franchis sans se mouiller. Avec un sac de voyage sur le dos l'action peut sembler périlleuse, mais je suis encore frais et j’y arrive sans problème. Comme un chat dans la nuit, je prends mon élan et je passe entre deux rizières.

Wotan photographie

18 heures 30, je rejoins l’ancienne ville d’Azuchi, célèbre point de contrôle sous le règne de Nobunaga Oda dont le château dominait autrefois les alentours, fort et fier de sa position avantageuse. Je ne le verrai pas : aujourd’hui les bâtiments lui faisant concurrence sont nombreux et bien des barres bétonnées du quartier de la gare le surplombent en tout point.
À la sortie des champs je me pose dans un 7-Eleven, plus grande enseigne kombini (convenience store) du Japon, de petites supérettes de quartier ouvertes en continu où je décide de dîner ce soir. Curieux de tout et l'estomac dans les talons, j’achète quelques poulets frits. Pas très équilibré et bien trop gras, je dois attendre au moins trois secondes après avoir mordu dans un morceau de chair pour que toute l’huile en suinte.

Je repars avec un sentiment de solitude en reprenant ma route à travers champs, sous la lune et les étoiles. La ligne de chemin de fer devient comme tant de silhouettes fantomatiques, reliant deux zones urbaines toujours éveillées mais perdues dans une campagne déserte.
Le train s’élance de tout son long, découpe et cisaille le silence nocturne de son hurlement lourd et aveuglant. Sous les rails un étroit tunnel permet aux différents serpents, batraciens et campagnols d’éviter ce monstre de fer. Pour ma part je dois monter le talus et me résigner à passer cet obstacle entre deux trains. J’aperçois les silhouettes duveteuses de deux tanuki, chiens viverrins fuyant dans la nuit.

 

LE STADE ET LA MONTAGNE

Je rejoins un complexe sportif aux toits en dômes pointus qui lui donnent des allures de palais oriental factice. Je ne croise personne sur ma route, seuls les claquements des balles sur les battes de quelques adolescents trop sérieux dans leur discipline se font entendre. Dans un semestre à peine ils disputeront les matchs les plus importants de leur vie, retransmis et suivis par des millions de Japonais, pour qui la concrétisation des leurs efforts de lycéens représente un événement sportif annuel conséquent.
De nombreux agents, aux aguets des talents naissants, tiennent entre leurs mains l’avenir d’une potentielle carrière professionnelle, sous réserve de démonstrations convaincantes de la part de si jeunes joueurs. Je m’enfonce dans ce qui ressemble à une forêt au pied d’une montagne Tout est calme. Après avoir nettoyé un carré d’humus des pierres ou racines susceptibles de me déranger, je teste ma tente en conditions réelles. Bonne surprise, je n’ai visiblement pas besoin de sardines en l’absence de vent.

Je m’installe pour la nuit .

Demain : escalade.

notes sur les chemins d'automne partie 2

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