[Photo-reportage] Pour la première fois depuis le début de la crise sanitaire, les matsuri ont désormais lieu sans aucune restriction. Mais quelle est la signification de ces festivals traditionnels, et comment a-t-elle évolué aujourd’hui ? Réponses avec une spécialiste, Kikuko Hirafuji et retour en images sur les grands matsuri de Tokyo du mois de mai 2023.
La foule était au rendez-vous dès début mai pour le retour des festivités dans la capitale nippone ! Une date qui coïncide avec cette annonce du gouvernement japonais: la fin de la nécessité de présenter une preuve de vaccination ou de test PCR négatif pour entrer sur le territoire.
Cette période d’assouplissement s’est fait ressentir dans les rues de Tokyo. Plus de port de masque obligatoire et rassemblements autorisés, voici les éléments qui ont rendu possible l’organisation du Kanda Matsuri et du Sanja Matsuri, considérés comme deux des trois grands matsuri de Tokyo, avec le Sanno Matsuri, prévu pour 2024. Un grand retour donc, surtout pour le Kanda Matsuri, qui n’avait pas eu lieu depuis quatre ans à cause de la crise provoquée par le Covid 19.
C’est donc l’occasion de revenir sur ces évènements du mois de mai et d’en apprendre plus sur les festivals traditionnels, généralement liés aux sanctuaires shintoïstes, qu’on appelle “matsuri”.
Quelle est la signification des matsuri (祭り) ?
Avant de donner une définition il faut noter que “chaque matsuri est unique”, nous explique d’emblée Kikuko Hirafuji. Spécialiste de la mythologie et des religions japonaises, la professeure au Centre de recherche sur la culture japonaise à l’université Kokugakuin à Tokyo rappelle qu’il y a environ 80 000 sanctuaires à travers le Japon, et que chacun organise ses propres festivals. “Certains sont très animés, avec parade et procession tandis que d’autres se tiennent uniquement à l’intérieur du sanctuaire”, explique-t-elle, avant de revenir sur le sens plus général de ces célébrations.
“L’objectif d’un matsuri est d’exprimer sa gratitude aux divinités et de demander leurs bénédictions. C’est dans ce but que les rituels sont effectués dans les sanctuaires [à cette occasion]. Un effet secondaire de ces festivals est la réaffirmation de son appartenance à la communauté, mais ce n’est pas l’intention principale”.
Simple tradition ou important moment religieux ?
Malgré cette définition, lorsqu’on interroge les participants sur les raisons qui les ont poussés à assister aux matsuri, la réponse n’est pas forcément liée aux pratiques shintoïstes. En effet, lors des célébrations, qui durent généralement plusieurs jours, le programme est riche : parade, spectacles de danse, concerts de taïko, stands de nourriture… la liste est non-exhaustive.
“Pour les prêtres shintoïstes et les fidèles des sanctuaires, les festivals sont très importants en tant que rituels religieux, mais ce n’est pas forcément le cas pour tous les participants. Nombreux sont ceux qui participent aux festivals par tradition”, précise Kikuko Hirafuji. Les matsuri ont donc cette double casquette : à la fois pour les croyants et les visiteurs venus se divertir.
Dans tous les cas, croyants ou non, tous attendent un élément clé des journées de matsuri, que l’on peut voir sur les images : la parade des sanctuaires portatifs, appelés “mikoshi”.
Mais qu’est-ce qu’un mikoshi (神輿)?
Au centre des festivals, les sanctuaires portatifs accueillent le corps spirituel de la divinité célébrée. Les matsuri sont d’ailleurs les seuls moments où la divinité, appelée “kami” (神)quitte l’intérieur de son sanctuaire pour être transportée sur un palanquin dans tout le quartier. Quelques jours avant le matsuri ou juste avant la parade, selon les sanctuaires, le kami est placé à l’intérieur du mikoshi, avant de reprendre sa position d’origine à la fin du festival, selon Kikuko Hirafuji.
Afin de soulever et de déplacer ces palanquins qui peuvent peser jusqu’à une tonne, il faut de l’organisation et de nombreux volontaires. Vous les reconnaîtrez pendant les festivités à leur “happi” (法被), une veste traditionnelle japonaise.
Qui sont les porteurs de mikoshi?
On pourrait penser à première vue que seuls les fidèles d’un sanctuaire soulèvent ces palanquins , mais ils ne sont pas les seuls.“En général, le mikoshi est porté par les membres des associations de quartier et dans certains cas par des entreprises”, nous explique la professeure. Le nom de l’entreprise, ou de l’association est inscrit sur les happi qui deviennent en quelque sorte des uniformes pour ces quelques jours permettant de reconnaître les différents groupes représentés.
À noter, les enfants portent également des mikoshi, plus petits et plus légers, adaptés à leur taille, appelés “kodomo mikoshi”. C’est le cas également pour les femmes. Même si elles se mélangent aux hommes, qui restent majoritaires parmi les porteurs, il peut arriver qu’elles aient leur propre sanctuaire portatif, appelé “onna mikoshi”.
Lors du Sanja matsuri de nombreux "kodomo mikoshi" étaient visibles, comme sur l’image ci-dessous capturée devant le temple Senso-ji.
Un reflet du syncrétisme japonais entre bouddhisme et shintoïsme
Un autre point abordé avec Kikuko Hirafuji est la question de l’influence du bouddhisme au sein de ces célébrations shintoïstes. Le Sanja matsuri est justement un parfait exemple du syncrétisme spécifique au Japon et la professeure nous en dit plus à ce sujet :
“Le sanctuaire Asakusa était à l’origine situé au sein du temple Senso-ji [dédié à la déesse Kannon], donc cette célébration est également liée à ce temple. C’est pour cette raison que les mikoshi, pendant le Sanja Matsuri, passent par les portes du temple Sensoji”.
Pour aller plus loin, le sanctuaire Asakusa a été construit en 1643 par le shogun Tokugawa Iemitsu pour rendre hommage aux trois personnes à l’origine de la construction du temple Senso-ji, érigés alors au rang de divinités. Après avoir ramené dans leur filet de pêche une statuette de Kannon, les deux frères Hamanari et Takenari Hinokuma ont reçu l’enseignement d’un riche propriétaire terrien, Hajinomatsuchi. Ensemble, ces trois personnages ont érigé un temple en l’honneur de la déesse. En célébrant ces hommes à travers des rituels shintoïstes, on célèbre à la fois Kannon, à qui ils ont dédié leur vie.
Pour leur rendre honneur les festivités ont eu lieu cette année du 19 au 21 mai dans le quartier d’Asakusa, et vous pouvez voir le sanctuaire sur ces dernières images.
À noter : il n’est pas impossible de faire partie des porteurs de mikoshi pendant les célébrations ! De plus en plus d’étrangers participent aux matsuri, et rejoignent les membres des associations pour soulever les sanctuaires portatifs.
“Selon le matsuri il peut être plus ou moins difficile d’en faire partie”, témoigne Kyle Card, porteur de mikoshi pendant le Sanja Matsuri de cette année 2023. Le canadien, installé au Japon depuis 2011 n’en n’est pas à son premier matsuri dans cette position et nous explique que pour participer il faut être introduit par les membres d’une des associations.
Vous pouvez donc tenter l’expérience si ce n’est pas déjà fait !