Dans un contexte de frictions économiques entre Séoul et Tokyo, il n'est pas rare ces derniers jours de découvrir dans les rayons des supermarchés sud-coréens - E-Mart en première ligne - des panneaux invitant les clients à boycotter les produits japonais, des stylos jusqu'à la bière.
Quel peut être l'élément déclencheur qui incite une grande-surface et ses clients à bouder avec véhémence des produits made in Japan, aussi "inoffensifs" que de la bière ? Difficile de résumer cette action à un seul fait, mais une nouvelle décision de Tokyo a fait déborder le vase.
Le gouvernement nippon a en effet précisé dernièrement que les restrictions sur les exportations japonaises de matériaux pour les technologies de pointe seraient renforcées vers la Corée du Sud. Pour la partie japonaise, cette décision permet de contrôler plus minutieusement des technologies qui pourraient être utilisées pour la production d'armes, et donc dangereuses pour la sécurité nationale. On y trouve, par exemple, du fluorure d'hydrogène utile à la fabrication de semi-conducteurs pour les smartphones.
Pour la partie sud-coréenne, cette action est qualifiée de représailles au dossier sur le travail forcé en temps de guerre qui détériore les relations diplomatiques entre les deux pays. Pour Séoul, ces restrictions sont aussi une violation du droit international et auront un impact sur l'économie du pays.
Il y a peu, des tribunaux sud-coréens ont en effet décidé d'obliger des entreprises japonaises à dédommager des personnes qui disent avoir été forcées de travailler pour elles lors de la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement nippon a souhaité gérer ce contentieux par la mise en place d'un comité d'arbitrage, ce qu'a refusé la Corée du Sud.
Ces relations envenimées mènent également à des actions chocs irréversibles. Vendredi dernier, un septuagénaire sud-coréen s'est immolé par le feu devant l'ambassade du Japon à Séoul. Selon la presse locale, le beau-père de l'homme a été victime de travail forcé pendant la Seconde Guerre mondiale. La colonisation de la Corée par le Japon, commencée en 1905 par un protectorat, a toujours été la source de querelles diplomatiques entre les deux pays voisins et de tensions entre les peuples.
Le dossier des femmes dites "de réconfort", euphémisme employé pour décrire des esclaves sexuelles pour les soldats japonais durant la Seconde Guerre mondiale, montre également l'ampleur historique et lourd de sens de la complexité des relations entre Séoul et Tokyo.
Plus récemment donc, les restrictions imposées par le Japon sur les exportations s'avèrent cruciales pour certains géants des technologies comme Samsung qui craignent un impact très négatif sur le secteur et sur l'économie en général.
Les habitudes de consommation apparaissent alors comme un rejet du Japon. D'après E-Mart, la plus importante chaîne sud-coréenne de supermarchés, les ventes des bières nippones (ndlr Asahi, Kirin, Sapporo et Suntory beer) ont chuté de 25% lors des deux premières semaines de juillet par rapport à la même période au mois de juin. Regain de patriotisme ? Les ventes des bières nationales ont, elles, augmenté de 7% au même moment.
Pour Hyelim, sud-coréenne de 22 ans, "c'est une action très extrême mais, cette fois-ci, le peuple (ndlr sud-coréen) est très furieux". Pour justifier ce boycott, Hyelim explique : "Le Japon pense que la Corée du Sud ne peut pas vivre sans ses produits ni sans son aide. Mais on peut vivre sans eux ! Nous devons montrer ce dont nous sommes capables".
L'exemple de la bière n'est que la partie visible de l'iceberg. D'autres actions se répandent dans le pays, facilitées par les réseaux sociaux. Un des plus importants forums sud-coréens sur le tourisme au Japon a lui aussi annoncé une fermeture temporaire en soutien au mouvement. Kyobo Hottracks, magasins spécialisés dans les fournitures de bureau, indiquent maintenant la provenance des stylos, ce qui a entraîné une hausse des ventes de ses produits sud-coréens.
Les compagnies japonaises vont certainement surveiller de près ce boycott. Dans le cas de la bière japonaise, 61% de ses exportations ont été livrées en Corée du Sud en 2018 pour 73 millions de dollars.
Peser ses mots devient également un principe de précaution, dont le géant japonais Uniqlo a fait les frais. La marque est devenue une cible après les propos de son directeur financier Takeshi Okazaki. Le 11 juillet, il a déclaré qu'il pensait que le boycott des produits japonais ne durerait pas longtemps. Cette remarque mal perçue a poussé Uniqlo à s'excuser sur le site internet sud-coréen de la marque. Les achats par carte bancaire dans les 180 magasins du géant nippon en Corée du Sud ont chuté de 26% récemment.
Les tensions commerciales n'existent donc plus uniquement dans les rangs des gouvernements des deux pays, elles se jouent aussi dans les rayons des supermarchés. L'apaisement n'est vraiment pas à l'ordre du jour.