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94 ans de silence : jamais trop tard ?

« Ils disent que je ne suis pas normal. Mais si je vis assez longtemps… » 94歳のゲイ (94 ans de silence), est un documentaire bouleversant qui retrace le parcours de Tadashi Hase, poète japonais, homosexuel, et qui a traversé la vie sans connaitre aucune relation sexuelle ou amoureuse. Présenté au festival Écrans des Mondes le 14 juin dernier, ce film est un plaidoyer contre l’effacement et la résignation.

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© MBS/TBS
Écrit par Steen
Publié le 24 juin 2025

Une vie de silence

Né en 1929, Hase a traversé un siècle japonais où l’homosexualité fut longtemps perçue comme une perversion ou une pathologie à « soigner ». À une époque où aimer un homme relevait du scandale médical et social, il n’a jamais pu avouer son orientation. Ni relation, ni coming out : seulement un exil intérieur, accompagné d’un profond sentiment d’anormalité, que ses vers seuls parviennent à dévoiler.

Poète primé dans les années 60, M.Hase trouve dans la littérature un refuge. C’est à plus de 90 ans, alors qu’il survit dans un minuscule appartement d’un quartier populaire d’Osaka, qu’il vit enfin une rencontre. Celle de Masahiro Umeda, un médecin ouvertement homosexuel, très engagé pour mieux faire connaitre la communauté LGBTQ+. Avec lui, il semble enfin possible de tisser une véritable amitié.
Certaines scènes du documentaire sont poignantes, montrant avec justesse l’impossiblité pour monsieur Hase de “dire” à voix haute ce qu'il porte en lui.

 

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© MBS/TBS

 

Mémoire queer japonaise

Le film ne se contente pas de documenter la fin de vie d’un homme gay solitaire. Il exhume une mémoire queer japonaise souvent tue, et donne la parole à plusieurs générations d’hommes ayant vécu ou été témoins de l’homosexualité à des époques différentes :

  • Masahiro Umeda, 48 ans au moment de son coming out, ostracisé, mais résilient et engagé.
     
  • Cloyd Vaughn, métis nippo-américain qui a réalisé son coming out à 30 ans. Engagé dans le social et militant pour l’inclusion des personnes handicapées.
     
  • Bungaku Itō, éditeur du tout premier magazine gay japonais Barazoku, pionnier des médias LGBTQ+ au Japon.
     

Chacun, à sa façon, éclaire les mutations sociales, les stigmates persistants, mais aussi les liens et les formes d’amour qui traversent la communauté.
 

 

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© MBS/TBS

 

Un Japon en mutation lente

Si l’homosexualité n’est plus officiellement considérée comme une maladie mentale au Japon, les droits des personnes LGBTQ+ avancent lentement. Le climat social actuel ne permet pas aux personnes queers de faire sereinement leur coming-out. Dans les grandes villes comme Tokyo, Kyoto ou encore Fukuoka, les Pride se multiplient et les jeunes générations s’affirment un peu plus librement mais, dans les milieux ruraux ou parmi les personnes âgées, le silence reste la norme.

En dépit d'une opinion publique japonaise majoritairement favorable à l'augmentation des droits pour les personnes LGBT+, les institutions semblent en effet tarder à adopter des mesures significatives en ce sens.

 

Tadashi Hase est décédé en novembre 2024, il avait 95 ans. Ce documentaire devient ainsi un testament inattendu : celui d’un homme qui n’aura jamais aimé au grand jour, mais dont les mots, eux, auront traversé le siècle et qui, au crépuscule de sa vie, a pu enfin dire je suis moi.

 

 

Crédits illustrations et vidéos © MBS/TBS

 

Découvrez également le Festival Ecrans des mondes.

 

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