Alors que paraît une réédition en français de « La question de Catlin », un recueil de nouvelles thaïlandaises contemporaines, rencontre avec son traducteur qui nous fait découvrir un savoir-faire.


Dans les années 70, Gérard Fouquet est professeur de lettres à Bourges et titulaire de certificats en anglais. Il effectue son premier voyage en Asie en 1975. En 1978, il décide de prendre une première année sabbatique et revient en Asie. Il ne sait pas encore que c’est pour toujours. À l’université Thammasat d’abord, puis à la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique à Bangkok, et enfin à l’université Mahidol, sa vie se déroulera en Thaïlande.
Gérard Fouquet apprend l’indonésien, le laotien puis le thaïlandais
Durant les deux années qui ont précédé son départ, Gérard s’était imposé le défi d’apprendre des langues asiatiques. Il n’a pas choisi les langues en fonction de ses goûts mais en fonction de ses disponibilités et des jours où il était libre pour monter étudier à Paris. C’est ainsi qu’il commencera par l’indonésien et le laotien. La première des deux langues lui a servi car il a beaucoup voyagé en Indonésie. Il était plus dur, à l’époque, de circuler au Laos, en raison de la situation politique. En arrivant en Thaïlande, Gérard apprend logiquement la langue du pays. Il n’a pas beaucoup d’argent alors il apprend seul dans des manuels et se force à écrire et à parler.
La connaissance du sujet est aussi fondamentale que le connaissance des deux langues
Au bout de la deuxième année, il commence à bien maîtriser le thaï. Il aime le cinéma alors entame une thèse sur le cinéma thaï, soutenue en 1988 à l’université Paris 7. À cette occasion, il lit et traduit beaucoup. Pour le plaisir et quelques revues académiques, il commence à traduire nouvelles et poèmes. Il s’intéresse beaucoup au nord-est de la Thaïlande, découvre un roman intitulé « Fils de l’Isan ». Avec deux amies thésardes et un autre ami professeur, ils décident de le traduire à huit mains. Pour être plus précis, Gérard traduit et se fait reprendre par ses trois comparses. « La traduction, ce n’est pas prendre un mot dans une langue et chercher le mot correspondant dans l’autre langue, explique Gérard Fouquet. La connaissance du sujet est aussi fondamentale que la connaissance des deux langues. Dans ce roman, l’auteur évoque son enfance, dans les années 30, dans un village de l’Isan. Il décrit, pour les thaïs, son enfance, les traditions, les croyances. Il faut bien les connaître pour bien traduire. » La traduction sera finalement publiée. Gérard traduira encore des nouvelles et des poèmes. Il entamera la traduction d’un bref roman mais s’interrompra, faute d’éditeur. Il s’est aussi, un peu par dépit, spécialisé dans la traduction de films, l’écriture des sous-titres français de films thaïlandais.
Dans la littérature thaïe, les sujets sont de plus en plus variés
Est-ce la littérature thaïlandaise qui fait défaut ? « Jusqu’à la fin du XIXe siècle, encore au début du XXe, il y avait une littérature traditionnelle, des textes versifiés, une tradition théâtrale, raconte Gérard. Il n’y avait pas, comme chez nous, de réelle rupture entre le théâtre et le roman. » Et puis, au début du XXe siècle, la Thaïlande a cherché à importer des modèles européens. La littérature contemporaine thaï s’est développée à partir de ce référent. La nouvelle a joué un rôle prépondérant et le roman s’est développé petit à petit. Aujourd’hui, il y a toujours une production littéraire, même si elle est moindre. Les sujets sont de plus en plus variés et les nouvelles générations écrivent même directement en anglais.
C’est la première fois que je découvre un regard thaï comme celui-là
Le recueil de nouvelles de Sukanya Hantrakul, « La question de Catlin », que Gérard a récemment traduit, est nouveau à différents égards, nous dit-il. « Pour la première fois, une Thaïlandaise jette un regard sur la vie de deux européens dans le cadre de l’après-guerre. »

Elle nous parle des derniers temps de la vieillesse d’un couple. Un Ukrainien et une Hongroise. Ils ont quitté leurs états communistes pour aller vivre en France, puis en Australie. Il s’agit de personnages de fiction qu’elle a créés d’après des personnages réellement rencontrés en France. « Elle les observe en tant que thaï de manière très subtile, explique Gérard. Ce que j’aime, c’est que c’est quelqu’un d’ouvert qui essaie de comprendre ce qu’elle voit et de se débarrasser de ses a priori de femme asiatique. Elle cherche des échos avec sa propre situation. C’est la premier fois que je découvre un regard thaï comme celui-là. Elle analyse aussi la vieillesse. Je n’avais jamais lu cela non plus en Thaïlande. »
Cette traduction n’est pas une exception
Gérard Fouquet a rencontré Sukanya par une amie commune à qui elle avait confié son désir de faire traduire son recueil. Il a lu. Il a aimé. Elle a lu ses premières traductions. Elle a aimé. Son éditeur thaï de Chiang Mai, Silkworm Books, était prêt à publier la version française. Et puis, lors d’une présentation du livre réalisée avec Carnets d’Asie, a l’Alliance française de Bangkok, il a rencontré David Magliocco qui, depuis sa Haute-Savoie natale, s’évertue à faire découvrir l’Asie du Sud-Est par le livre, à travers sa maison de microédition baptisée Gope. David a alors proposé de prendre en charge la diffusion en France. Avec 70 livres en catalogue, l’éditeur-diffuseur a trouvé le juste modèle pour vivre de sa passion sur un marché de niche. Cette dernière traduction n’est donc pas une exception. En 2017, Gérard a inventorié 11 anthologies de contes, poèmes, nouvelles et extraits d’œuvres, 6 articles sur la littérature, 40 publications de poèmes et nouvelles dans des revues et 65 volumes de type romans ou chroniques historiques thaïlandais, traduits en français.
Le contresens est vite arrivé
Gérard Fouquet est un passionné. Il compare la traduction au travail sur un négatif photographique tiré en monogramme bleu ou rouge. « Si l’on connaît bien la culture et la langue de départ, on peut donner une image la plus fidèle possible dans la langue d’arrivée. On parle de déverbalisation. Vous lisez dans la langue de départ et vous vous créez une image hors langue. Puis vous retranscrivez cette image avec les outils de la langue française. » Mais attention, dans toutes les langues, le contresens est vite arrivé. Une professeure de traduction, interprète, qu’il a rencontrée en Thaïlande, lui a dit un jour cette phrase qu’il n’oubliera plus : « il n’y a pas de langue facile, il n’y a que des langues qu’il est facile de mal parler. »
Pour plus de détails sur « La question de Catlin », c’est par ici :
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