Chloé Kelly Miller est installée dans un atelier mis à sa disposition par le Pullman Phuket Panwa Beach resort. Pendant que nous discutons, elle apporte les dernières touches au panneau qui servira de fond aux photos prises le soir-même, lors du vernissage de son exposition intitulée « Sea Voices ». Une très longue exposition d’une vingtaine de tableaux, présentés tout autour du lobby-bar de l’hôtel, qui ne s’achèvera qu’à la fin de la biennale des arts de Phuket, le 30 avril 2026. Il y a là aussi les prémices d’une sculpture qu’elle prépare justement pour la biennale, qui s’ouvrira en novembre. Rencontre avec une artiste parisienne à peine trentenaire, originaire de Rouen, autodidacte, aux idées assumées et à la modestie rafraîchissante.


Le Petit Journal : Comment est née Chloé Kelly Miller ?
Chloé Kelly Miller : Ce nom d’emprunt est un mélange. Vers quatorze, quinze ans, à l’âge de découvrir les réseaux sociaux, je ne voulais pas m’y inscrire sous mon vrai nom. J’ai choisi de faire suivre Chloé, mon véritable prénom, de deux noms qui viennent de lectures et de rêves. Plus tard, lorsque j’ai commencé à créer, ce pseudonyme s’est imposé à moi.
LPJ : Et l’art dans tout ça ?
C.K.M. : J’ai commencé par la photo. J’avais dix-huit ans. Mais il me manquait quelque chose. Je me suis alors mise à dessiner, à peindre, et la peinture l’a emporté. Je faisais des études qui devaient m’amener à devenir psychologue clinicienne. Je me destinais à ce monde à temps plein, avec l’art pour loisir. J’ai été diplômée en 2020 et j’ai simplement décidé d’inverser les proportions. L’art est devenu mon temps plein, la psychologie et la psychanalyse mes loisirs. Dit autrement, ma passion est devenue mon métier, mon métier est devenu ma passion. Je participe encore à des écoles d’analyse, à des conférences, je lis, j’échange, mais ne pratique pas.

LPJ : Les premiers temps ont-ils été ceux de la vache enragée ?
C.K.M. : Pas du tout. Je suis d’une génération qui a très tôt utilisé les réseaux sociaux. C’est par ce biais que des professionnels ont fait ma connaissance. Quelques marchands d’art m’ont contactée et j’ai tout de suite pu vivre de ma peinture. Il est important pour moi de dire que je ne crois pas avoir plus de talent qu’un autre. J’ai simplement eu beaucoup de chance. Lorsqu’on me demande ce qui m’a amenée là, je n’ai pas de réponse. Il y a autant de parcours qu’il y a d’artistes. Je ne sais pas pourquoi j’en suis là aujourd’hui dans mon parcours. C’est encore très obscur pour moi.
LPJ : Sauriez-vous définir votre art ?
C.K.M. : Je n’ai pas de mot particulier pour définir mon art et je n’aime pas les grands mots que certains utilisent pour le faire. Il a évolué et évolue encore. Le définir aujourd’hui le figerait. Il a peut-être quelque chose de surréaliste. Quelque chose m’attrape et je me lance. Je suis partisane d’une rencontre avec l’art mais sans le définir forcément.

LPJ : Comment en êtes-vous arrivée à exposer en Thaïlande ?
C.K.M. : Je travaille en Thaïlande avec Laurent Macaluso, que j’ai rencontré par téléphone en 2020, en pleine époque Covid. Il m’a alors dit que dès que nous serions sortis de cette parenthèse compliquée, il me ferait venir. Il a tenu parole. Il m’a proposé d’exposer en juin 2022 au So Bangkok, ce que j’ai fait. C’était la première fois que je quittais l’Europe. C’était fabuleux. Depuis, je suis revenue ici, j’ai exposé au Japon, en Europe, et il y a des projets ailleurs.
LPJ : Est-ce particulier d’exposer en Asie plutôt qu’en France ?
C.K.M. : À partir du moment où j’ai compris que je m’adressais à tout le monde et pas à l’élite de l’art, je me suis dit que je devais garder mon cap, rester proche de ce que je cherchais à dire, non pas répondre à la demande des gens qui regardent ou qui achètent. Il y a bien sûr des différences culturelles en fonction des nations et des continents. On n’a pas été influencé par les mêmes choses, les mêmes histoires, les mêmes religions. J’ai commencé à lire des choses sur la Thaïlande et son histoire. J’ai voulu une rencontre entre ma culture et ce que je perçois de la culture thaïlandaise. Il y a, par exemple, un quadriptique dans cette exposition que j’ai réalisé à partir d’un mythe qui parle à tout le monde ici mais ne serait sans doute pas compris à Paris.

LPJ : Puisque vous commencez à parler de « Sea Voices », présentez-nous cette exposition.
C.K.M. : Elle a été pensée il y a quelques mois. Elle est le fruit d’une réflexion commune entre l’hôtel, Laurent Macaluso et moi, J’y ai mis ma personnalité, mon homosexualité, mon engagement personnel. C’est pour cela qu’elle a commencé début juin, pendant le mois de la Pride. On m’a demandé de créer une exposition qui réponde à la double thématique du Pride month et de la mer. J’ai donc choisi des couleurs flash mais en exploitant la même palette de couleurs qu’à mon habitude. Le projet de biennale est venu ensuite. Je reste donc pour créer des sculptures spécialement pour cet événement.
LPJ : Vous évoquez votre homosexualité qui a un rôle dans votre art. Vous dites que votre surdité partielle aussi. Pourquoi ?
C.K.M. : On a découvert, lorsque j’avais sept ans, que, depuis la naissance, je n’entendais pas les aigus. Ça joue dans mon processus artistique parce que ça joue un rôle dans ma vie. Ça a joué un rôle dans le fait que je sois queer. Être atteinte de ce handicap m’a fait développer une suppléance par la vue. Lorsque, dans une classe, vingt-quatre élèves sur vingt-cinq sont normaux et qu’il y a moi qui n’entends pas tout, ça crée une sensibilité différente. J’ai encore des réflexes de lecture labiale que j’ai développés enfant. Je n’ai compris qu’à 22 ans que je pouvais être artiste. L’art est un support à l’identité pour tous les artistes. Il peut y avoir une écriture commune mais chacun est unique.

LPJ : Pourquoi l’omniprésence de pieds et de mains de personnages un peu désarticulés ?
C.K.M. : C’est mon écriture. Il y a là une logique que je ne suis pas en capacité d’expliquer. Je peins parce que je n’ai aucune réponse. J’ai des choses à dire. J’essaie. Je n’ai pas la vérité. Je suis là pour questionner et tenter des ouvertures.
LPJ : Qu’est-ce que cela vous apporte d’exposer ici ?
C.K.M. : C’est au fond à peu près la même chose que d’exposer à Paris. Un jour, un mécène parisien m’a présenté des gens, nous avons bâti un projet et j’ai été exposée au Carrousel du Louvre. L’histoire est à peu près la même ici. Il faut que les non-spécialistes comprennent que notre cote est linéaire et internationale. C’est important pour nous les artistes d’avoir des marchands qui s’occupent de nous. Vendre est important parce qu’on a besoin de vivre mais c’est à un tiers de faire son métier. Le nôtre est de créer. L’histoire est évidemment plus ancienne en France et je viens ici la développer. Mais j’ai la chance, une fois de plus, de vendre presque tous les tableaux que j’expose, où que ce soit.

LPJ : Un dernier mot concernant les dîners que vous co-créez avec l’un des chefs de l’hôtel.
C.K.M. : Nous avons en effet collaboré avec le chef Nok, du restaurant Tamarind, pour réaliser un dîner artistique. J’adore les projets. Je veux sortir du tableau et de la sculpture. C’est Laurent Macaluso qui a proposé cette collaboration pour réaliser un dîner à quatre mains. Le chef a créé un menu de cinq plats. J’ai retravaillé la dimension esthétique. Chaque plat a un sens, un titre. Il y a une dimension de couleur, de cheminement. Les thématiques de l’environnement et de la pride sont évidemment présentes, pour prolonger les tableaux dans l’assiette. L’endroit-même sera une œuvre à part entière. Et les gens repartiront avec une œuvre qui leur sera offerte. Six dîners sont prévus en ma présence, les 26, 27 et 28 juin, puis les 4, 5 et 6 juillet. L’expérience perdurera sûrement.
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