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VOIX & SAVEURS DE FEMMES D’ISRAËL : Ora COSTER, « un jeu, c’est un petit morceau de vie dans une boîte »

Ora COSTEROra COSTER
Écrit par Lepetitjournal Tel Aviv
Publié le 29 novembre 2020

L'oeil vif, le regard pétillant, Ora a conservé à 85 ans son c?ur d'enfant. La raison ? Elle a imaginé plus de 170 jeux de société vendus à plusieurs millions d'exemplaires dans le monde entier ! Ora nous reçoit un mercredi matin à 9 heures, une cigarette et un verre de Riesling à la main?

Ora voit le jour en 1931 à Degania Bet, au bord de la mer de Galilée, dans le premier Kibboutz d'Israël où elle restera plus de vingt ans. Sa mère, grande féministe, n'a révélé à son compagnon l'existence de leur fille que trois mois après sa naissance. Son père cumule les fonctions de responsable du kibboutz et de passeur aidant les nouveaux immigrants à entrer en Israël, à l'abri du regard des Britanniques. Accompagnée de ses deux s?urs, Ora vit des jours heureux au kibboutz, la vie communautaire est joyeuse et festive, les parents et les enfants évoluant chacun dans un bâtiment attitré. Très tôt, la petite fille se dévoile espiègle et intrépide : amatrice d'alcool dès son plus jeune âge, elle se souvient, à 6 ans, avoir englouti la fiole de liqueur de son père puis la remplir de terre et d'eau, et ce, juste avant la visite d'officiers anglais pour l'apéritif ! Ora tenta également de confectionner un vin maison à partir de feuilles d'eucalyptus, un épisode presqu'aussi concluant que la cuisson d'un poulet dans une bouilloire électrique au kibboutz !

A 20 ans, la jeune fille part étudier l'art à Londres mais le climat et le comportement des garçons là-bas ne lui plaisent guère. Le soleil et l'esprit chaleureux israélien lui manquent terriblement? Au bout d'un an, elle fait ses valises et rentre au pays où elle exercera en tant que professeur d'arts plastiques.

Quand construire une famille rime avec jeux d'enfant

En 1955, Ora rencontre en Terre Sainte Théo, un touriste hollandais, ancien camarade de classe d'Anne Frank*. Elle l'épouse en 1957. Parlant guère l'hébreu, les tourtereaux conversent dans la langue de Shakespeare et partageront très vite une passion folle pour le bridge ; on leur propose même d'intégrer l'équipe nationale de compétition. Quelques années plus tard, Ora donne naissance à Boaz. Pendant sa deuxième grossesse, le petit garçon, alors âgé de 5 ans, demande à sa maman alitée, où se situe Jérusalem. Sur son lit transformé en aire de jeux, la jeune femme dessine une carte du pays pour indiquer à son fils la Ville Sainte. Vient alors une idée à Ora : puisque Théo travaille dans le pétrole, pourquoi ne pas proposer à toutes les stations-service des petits cadeaux de fidélité sous forme de carte ? Etincelle et coup de génie, Théo et Ora se lancent alors dans leur petite entreprise à la recherche d'idées cadeaux pour fidéliser les clients. L'ambition est réelle, mais le business se révèle peu lucratif. Il faut donc trouver autre chose. Forte de sa créativité, il ne faudra pas longtemps à Ora pour imaginer des jeux de société à la fois simples, malins et ergonomiques.

« Inventer, c'est important mais l'essentiel reste la chance »

Le couple continue ses investigations et le succès se fait connaître sans attendre. Comme la réussite vient rarement sans un peu de chance, c'est lors d'une foire du jouet à New York en 1969 que la vie d'Ora et de Théo prend un nouveau tournant. Ce jour-là, leur agent se retrouve bloqué dans un ascenseur avec l'un des plus gros producteurs de glaces du moment, l'industriel Borden. Flairant l'aubaine, l'agent en profite pour présenter les « Icetix » du couple Coster. Il s'agit d'un bâtonnet de glace qui, une fois consommé, peut être conservé et collectionné par les enfants pour réaliser toutes sortes de combinaisons et constructions possibles. Un contrat est signé dans la foulée et le succès au rendez-vous : ces bâtonnets malins se vendront à plus de 12 milliards de pièces en onze ans ! Le couple gagne ainsi un peu d'argent, mais surtout de quoi financer ses prochaines créations de jeux.

Inspiration, invention, mais surtout associations

Comme Ora aime à le répéter, l'inspiration en tant que telle n'existe pas, la clé de la bonne idée et du succès, c'est avant tout de parvenir à faire des associations inédites. Selon elle, tout existe ou presque. Son talent, répète-elle, un don qu'elle a reçu du Ciel, c'est de savoir donner vie à des choses non imaginées auparavant. Meublée de pièces ludiques,  la maison d'Ora est à l'image de ce couple à la créativité insatiable : des pieds de chaises portant des chaussures, une orange au sourire maïs ou encore un porte rouleau Sopalin à l'effigie du pays?

Aux côtés du célébrissime jeu Qui est-ce ?, Zingo compte parmi les grandes inventions d'Ora. L'idée lui est venue en observant les machines de cartes bleues? Le principe du jeu est d'insérer et de glisser une carte pour obtenir deux lettres qui seront respectivement la première et la dernière d'un mot à deviner. Le premier joueur qui trouve un mot remporte les cartes, et ainsi de suite jusqu'à épuisement du paquet. Le gagnant est bien évidemment celui qui a accumulé le plus de lettres. Ora est à l'origine du concept tandis que Théo réalise son prototype en plastique : le jeu est aussitôt vendu à la compagnie américaine Think Fun. Un succès immédiat.

Autre jeu phare du couple star, Le petit bac, plus connu à l'étranger sous le nom de Magimixer, une invention dont Ora aime à répéter qu'elle restera sa plus grande fierté. Pour elle, si le concept, la simplicité et l'ingéniosité d'un jeu sont essentiels, l'ergonomie est un aspect fondamental : le contact et le toucher sont primordiaux. L'idée de ce jeu lui vient dans sa cuisine alors qu'elle joue avec deux règles et un dé qui se coince entre les deux. Elle remarque que ce dé reste mobile mais qu'il ne peut s'échapper. Elle s'en inspire et, pour la première fois, c'est elle qui réalisera le prototype, sous le regard attentif de Théo. Le jeu est aussitôt cédé à Hasbro et le concept de dés qui roulent vendu à plusieurs millions d'exemplaires.

Famille, poésie et philosophie?

Sans mauvais jeu de mots, inutile de dire que dans la famille chacun s'est pris au jeu : enfants et petits-enfants ont eux aussi développé leur créativité au contact de cette famille d'âmes originales. Boaz et Gideon, les deux fils, assurent aujourd'hui la prospection, la promotion et les négociations commerciales, tandis que Dan réfléchit déjà avec sa grand-mère à un nouveau concept. La tribu accompagne également le joyeux duo lors des foires annuelles du jeu, les plus importantes étant celles de New York et de Nuremberg en février. 

L'actualité chaude d'Ora, c'est le suivi de Last mouse lost, un jeu qu'elle a inventé il y a 40 ans mais qui n'est commercialisé que depuis trois ans par la compagnie Fox Mind. A ses heures perdues, la jeune octogénaire est également poète ; elle compose chaque matin quelques lignes inspirées. Malgré sa forme vaillante, consciente du temps qui passe, elle prépare avec une apparente sérénité son départ vers l'au-delà. « Quand je quitterai cette terre, ma plus grande joie sera d'avoir rendu des millions d'enfants plus heureux ici-bas. Avoir le sentiment d'avoir contribué à éveiller les sens, la curiosité et la vivacité des petits, de leur avoir donné des idées, tout en les invitant à la réflexion ».

Philosophe, Ora confie avoir été maintes fois copiée. Elle n'a pour autant jamais eu recours à la justice. « Non seulement cela prouve que l'idée était bonne, je pense aussi que les Ersatz ne sont finalement jamais aussi réussis que la version originale. Et quelque part, ces copies m'aident aussi indirectement à promouvoir mes jeux. Cela permet surtout à des enfants défavorisés de s'offrir une version moins onéreuse que l'originale. J'ai ainsi quelque part participé à rendre encore plus de petits heureux, au moins le temps d'une partie ! »

En attendant, elle continue de rêver, d'explorer et d'imaginer, un verre de Riesling à la main en clamant à qui veut l'entendre que l'eau? c'est pour les plantes ou les poissons !

*Théo est artiste, il vend ses ?uvres aux municipalités d'Israël. Il est également auteur d'un documentaire télévisé et d'un livre écrit en 2009 sur les camarades de classe d'Anne Frank. Ce livre - En classe avec Anne Frank, aux éditions JC Lattès ? fut traduit et vendu dans 12 pays et a rencontré un franc succès. 

LA RECETTE D'ORA : passiflore & dessert passion

Ingrédients : un fruit de la passion par personne

Préparation : prédécouper les fruits de la passion en deux et les placer au congélateur plusieurs heures avant le repas.

Au moment de servir, sortir les fruits, y verser un peu de vodka ou une liqueur sucrée et mélanger.

Présenter sur un plat et décorer avec des feuilles de fraises ou tout autre feuillage vert.

Anecdote : comme Ora ne manque ni d'idée ni d'audace, elle s'est permise de présenter cette création au célèbre chef 3 étoiles Alain Passard en mai 2014? avec l'espoir secret que l'artiste l'intègre à sa carte de mets raffinés? !

 

Crédit photo : Raphaëlle CHOËL

 

 

 

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