En juillet 2024, Caroline Yadan est élue députée de la 8e circonscription des Français de l’étranger avec 52 % des voix. Dans un entretien pour lepetitjournal.com, elle revient sur la nomination de Michel Barnier en tant que Premier ministre, sur la situation des écoles françaises en Turquie, mais aussi sur ses axes de travail : “Je veux que l'enseignement de la langue française soit favorisé.”
Michel Barnier a été nommé Premier ministre il y a quelques jours, quel est votre opinion sur cette nomination et qu’attendez-vous du nouveau gouvernement ?
J'adhère à la nomination de Michel Barnier. C’est quelqu’un de posé, sérieux et doté d’une véritable expérience politique qui lui permettra de prendre du recul et de réfléchir à la meilleure manière dont nous pourrions faire avancer le pays. Il est clair que nous avons assisté, ces dernières semaines, à une litanie d'affirmations péremptoires au sujet d’un présumé déni de démocratie. Ce n'est pas du tout le cas, puisqu'il y a une Assemblée nationale où le NFP n'a pas la majorité. Le défi à venir du Premier ministre est de trouver 289 députés qui ne décident pas de voter une motion de censure. La coexistence de trois blocs minoritaires à l’Assemblée nationale est une nouvelle configuration nécessitant un changement de culture politique. Désormais, il est impératif de réfléchir ensemble, de se rassembler.
Le 10 août 2024, la Turquie a annoncé que les nouvelles inscriptions d'élèves turc sont interdites dans les écoles françaises du pays, où en sont les négociations ?
J'ai été saisie de cette problématique il y a un mois. La situation a été très difficile à gérer pour les parents, notamment ceux ayant un enfant entrant en CP, compte tenu du fait qu’ils ont été prévenus seulement trois semaines avant la rentrée scolaire. Il a fallu qu'ils s’organisent dans un délai très court pour trouver une solution de substitution. On dénombre actuellement 4 catégories de parents touchés par cette décision. Certains ont fait le choix de quitter la Turquie pour rentrer en France. D’autres ont choisi de quitter la Turquie pour s’installer dans un pays où est implanté un établissement relevant de l'AEFE ou homologué : Grèce, Italie, Chypre, etc. À ce sujet, je reviens d’Italie, où j’ai eu l’occasion de visiter l'Institut Saint-Dominique de Rome. J’invite les familles françaises et turques à se rapprocher de cette structure qui propose d’accueillir dans son internat des élèves à la recherche d’un établissement de substitution hors de Turquie.
Les nouveaux inscrits turcs interdits dans les écoles françaises en Turquie
Parmi les parents ayant fait le choix de rester en Turquie, beaucoup ont inscrit leurs enfants dans des écoles privées avec un enseignement du français. Lorsque celui-ci est dispensé à hauteur de 50 %, les classes concernées peuvent être homologuées, ce qui permet aux élèves de percevoir des bourses. Nous attendons de voir si ces classes vont être homologuées. D’autres parents ont trouvé une solution via le CNED. Enfin, il y a malheureusement des familles dont nous n'avons plus de nouvelles.
Vous revenez d’un déplacement à Turin puis à Rome. Peut-on en savoir plus ?
Tout d’abord, je tiens à souligner que je conçois vraiment ma fonction comme celle d’une députée de proximité, c'est-à-dire un rôle qui m'amène à rencontrer les habitants des pays de ma circonscription pour qu'ils me nourrissent et me fassent surtout part de leurs préoccupations afin que je puisse me rendre utile. Je ne dis pas que je trouverai une solution à chaque problème. Mais j’essaye d'être le plus proche possible des expatriés français. Ces deux dernières semaines, je suis allée à Chypre, Turin puis Rome. À chaque déplacement, je propose une inscription pour prendre un café avec moi, seul à seul. L’objectif est d’être à l’écoute, de discuter mais aussi d’en savoir plus sur une situation que l’on souhaite m’exposer.
Pour revenir à mon déplacement en Italie, j’ai eu vent de points évidemment importants comme le fameux problème de la « double imposition » des retraités français résidant en Italie. Il s’agit d’une vraie problématique fiscale. Depuis l’instauration du prélèvement à la source, il y a eu un transfert de données de pays à pays. L’État italien s'est rendu compte que des retraités français – qui percevaient leurs revenus en France – avaient déclaré ces derniers au fisc français mais n'avaient pas fait de déclaration en Italie. Or, ils auraient dû faire cette déclaration, ce qu'ils ne savaient pas. Ces retraités se sont retrouvés à devoir payer des sommes astronomiques à cause de pénalités de retard, qui n'ont absolument rien à voir avec les 10 % que nous payons en France. Leur bonne foi n'est pas prise en considération. Alors qu'ils bénéficient de 2.500 ou 3.000 euros de retraite, certains d’entre eux ont dû vendre leurs biens car ils se sont retrouvés dans l’obligation de rembourser des montants de 60.000, 80.000 euros... Cela a créé des situations extrêmement compliquées, pour ne pas dire injustes et intolérables. Je vais me pencher sur ce sujet-là et voir comment je peux agir, notamment avec Bercy.
Autre problème fiscal qui figure sur ma feuille de route – mais qui ne concerne plus l’Italie –, celui de l’exonération de la CSG-CRDS pour les non-résidents fiscaux hors UE. Contrairement à leurs homologues résidant dans un pays de l'UE, de l'Espace économique européen ou en Suisse, et affiliés à un autre régime de sécurité sociale, les « hors UE » percevant des revenus fonciers doivent payer la CSG et la CRDS quand bien même ils ne bénéficieraient pas de la sécurité sociale en France. Par le passé, la Cour de Justice de l’Union Européenne avait tranché en faveur des non-résidents fiscaux de l’UE, jugeant qu’ils ne pouvaient être soumis à la CSG et la CRDS. Aujourd’hui, ce n'est pas le cas pour des pays comme Israël ou la Turquie.
D’une manière plus générale, dans la perspective du prochain budget, je souhaite sécuriser la ligne budgétaire consacrée à l'enseignement des Français à l'étranger. Parmi mes chantiers prioritaires, je veux également que l'enseignement de la langue française soit favorisé. J’ai prévu une rencontre en Israël avec la responsable du programme Flam. Enfin, je réfléchis à un projet culturel pour rapprocher l'ensemble des pays de la circonscription. L'idée est de faire une exposition itinérante dans les différents lieux culturels des différents pays avec des artistes choisis dans chacun d'entre eux.
Vous avez été élue en juillet 2024, et avez mentionné comme priorité la justice sociale de la famille, notamment des textes dédiés aux familles monoparentales, au mariage et à la justice restaurative. Où en sont ces réflexions ?
Nous n’avons pas encore fait de rentrée parlementaire. Pour l’instant, il n’y a pas beaucoup d’activités législatives réelles. Concernant la justice restaurative, j'ai créé un groupe de travail dédié à cet enjeu important lors de la précédente mandature. À l’issue de nos travaux, plusieurs propositions ont été faites au garde des Sceaux de l’époque. J'attends avec impatience la position de son successeur pour voir dans quelle mesure nous pourrions faire évoluer cette justice restaurative et la démocratiser afin qu'elle permette une prise de conscience sur les auteurs des faits délictueux mais aussi une réparation au niveau des victimes. Je suis toujours très attachée à ce dossier.
Je travaille par ailleurs main dans la main avec une fondation qui s'appelle Fonds Femmes et Avenir sur le sujet des familles monoparentales. J'envisage une évolution de la loi pour aider les familles monoparentales à faire face à des difficultés d'ordre matériel, psychologique et financier. Je suis aussi très attachée à tous les enjeux touchant aux mineurs et aux femmes, qu’il s’agisse de leurs droits, de leur protection face aux violences dont ils sont victimes. Nous travaillons main dans la main avec le Conseil national des barreaux pour essayer de faire avancer les choses.
Comment s’est passée votre rentrée consulaire ?
J'ai été très bien reçue par les consuls. Depuis mon élection, j'ai participé aux cérémonies du 14 juillet en Italie et en Israël. J'ai vraiment été accueillie chaleureusement, que ce soit à Chypre, Turin ou Rome. Il s'agit d’une grande satisfaction. À Rome comme à Chypre, j'ai organisé une grande réunion en présence d’associations et d’acteurs qui comptent. Les personnes que je rencontre sont très heureuses d'avoir enfin une députée qui vienne les voir pour réellement essayer d'améliorer leur situation. Tout cela est très nouveau pour eux.