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A la rencontre du journaliste et écrivain Olivier Truc 


Olivier Truc - Le dernier LaponOlivier Truc - Le dernier Lapon
Olivier Truc - Photo : Fabienne Roy
Écrit par Louisa Karmoudi
Publié le 10 juin 2021

Ancien correspondant du Monde dans les pays nordiques et les pays Baltes, écrivain à succès, nous ne le présentons plus. Le Petit Journal est parti à la rencontre d’Olivier Truc, un journaliste-reporter émérite et un auteur engagé. L’occasion de revenir sur sa vision du journalisme, son amour pour les rencontres et récits qui ont nourri son écriture.

 

Son roman noir, Le Dernier Lapon, lui a permis de s’imposer sur la scène littéraire. Un premier polar, une première aventure dans les contrées froides de la Laponie où les conflits et la révolte grondent. Expatrié français, Olivier Truc apporte un regard nouveau à la Suède sur l’Histoire, celle d’un peuple, les Samis, discriminés et enchaînés par des représentations coloniales. Comment reconnaître la différence lorsque l’intérêt collectif prime dans un monde globalisé ? La réponse figure peut-être dans le récit des oublié.es…

 

Quel a été votre premier contact avec la Suède ?

J’ai grandi en région parisienne et j’ai démarré ma carrière journalistique à Montpellier où j’y ai rencontré une suédoise. Après plusieurs allers-retours pendant deux ans, j’ai décidé de venir habiter à Stockholm. Avant de rencontrer cette personne, mon envie brûlante c’était de partir m’installer à Beyrouth en tant que correspondant. Je rêvais du Moyen-Orient et des conflits là-bas. Pour être tout à fait honnête, la Suède et tout ce qui l’entourait, c’était un gros trou noir pour moi, je ne m’y intéressais pas du tout. J’avais cette envie profonde de partir et au lieu de me retrouver à Beyrouth j’ai débarqué à Stockholm. Moi qui voulais être dans un environnement de conflits, je me suis retrouvé dans un pays en paix depuis 200 ans (rires). Sans rien connaître de la Suède, je suis venu y vivre, ce qui était une bonne chose pour moi car je n’avais aucun préjugé à propos de la culture et du pays. Avant de quitter la France, je travaillais à la fois pour des médias locaux et nationaux. En partant d’ici, j’avais la ferme intention de revenir aux fondamentaux du journalisme, ce pour quoi je suis rentré dans ce métier-là, c’est-à-dire le terrain avec la passion de rencontrer des gens, d’entendre des histoires, de les raconter. Mes modèles étaient les grands reporters qui parcouraient le monde et nous rapportaient des récits uniques. Pour moi, la définition du grand reporter correspond à celle des années 30 qui est l’âge d’or du reportage. L’image du "flâneur salarié", celui qui prend le temps d’écouter les bruissements du monde, de regarder les gens vivre.

 

Avez-vous constaté des différences au cours de votre carrière entre le journalisme suédois et français ?

Oui, bien sûr ! Une des différences essentielles, c’est l’accès à l’information. En France, on cultive de façon maladive le culte du secret pour tout et n’importe quoi. Ne serait-ce que pour obtenir un rendez-vous avec quelqu’un, c’est toute une aventure. C’est beaucoup plus sain en Suède, ce qui ne veut pas dire que c’est le pays des bisounours, ils savent très bien cacher des choses aussi.

 

Les journalistes suédois sont plus offensifs pour faire respecter des droits basiques tels que l’accès à la documentation, car c’est d’avantage ancré ici. En France, je trouve qu’il y a plus d’entre-soi entre hommes politiques et journalistes lorsque vous cherchez à accéder aux sources, aux documents administratifs. En revanche, ce qui me gêne en Suède, c’est le côté attaque en meute, car lorsqu’il y a quelqu’un dans le collimateur de la presse suédoise, il n’y a pas de survivant. En France, il y a plus d’avis divergents, on y retrouve plus un plaisir de la discussion et du débat.

 

Il y a quelques semaines, une femme Sami âgée de 68 ans a vu brûler sa tente sous ses yeux. C’est un sujet qui vous tient à cœur. Pourquoi parle-t-on si peu en 2018 de ce peuple et de son histoire ?

C’est une question que je me pose souvent, mais j’ai quelques éléments de réponse. Je pense que concernant le peuple Sami et la Laponie, il s’agit d’une indifférence de la part des Suédois. D’abord, parce qu’il y a une méconnaissance de l’Histoire et il y a surtout une réécriture de celle-ci qui dit que la Suède est un pays homogène, or, c’est faux. Pourtant, c’est ce que l’on apprend en Suède à l’école. C’est un pays avec deux peuples et c’est reconnu officiellement dans la Constitution.

 

De plus, les Samis représentent une minorité, ils sont invisibles et méconnus par les Suédois. Il y a une mauvaise conscience par rapport au passé colonial que l’immense majorité ne reconnaîtra jamais. Ils ne se voient pas comme des coloniaux, car il y a une continuité territoriale entre Stockholm et Kiruna. On n’a pas été planter un drapeau, ni pris le bateau pour s’y rendre et il n’y a pas cette perception que la Laponie c’est le territoire d’un autre peuple qui vivait là avant que la Suède ne soit un État. Ils représentent l’unique peuple aborigène en Europe mais pour les Suédois ce n’est pas le cas et il y a tout un tas de mythes qui circulent à propos d’eux. Il faut rappeler que la Suède c’est un pays champion des droits de l’homme, ils ont fait beaucoup de choses dans ce domaine, mais c’est aussi un pays qui au nom de l’intérêt collectif est capable de faire beaucoup de mal à des individus. Malgré tout, l’histoire de ce peuple commence à émerger. Il suffit de regarder la sortie du film Sameblod (Sami blood) qui a permis d’ouvrir les yeux sur leur situation et puis il y a également toute la nouvelle génération, composée de jeunes artistes qui est très militante et active.

 

Sameblod Suède

 

Quelle est la position des autorités suédoises à l’égard de ce peuple ?

 Les autorités actuelles restent dans une position de nonchalance, révélatrice de ce qui s’est passé depuis un siècle. Ils signeront toutes les déclarations qu’ils veulent, ils sont les rois du marketing politique. Ils sont capables des plus belles déclarations, de donner naissance à des diplomates géniaux qui vont aller se battre pour tous les malheurs du monde, mais ils oublient qu’ils ont sur leur propre territoire une minorité qui est discriminée. Pourquoi cet aveuglement ? Parce que si on veut régler le problème, il faut aller se battre contre des lobbies surpuissants (industrie minière, forestière, etc.) et ils ne veulent pas relever le combat.

 

Revenons sur votre parcours d’écrivain. Comment avez-vous envisagé et ressenti le passage de l’écriture journalistique à l’écriture romanesque ?

Au départ, lorsque j’ai écrit mon premier roman (Le Dernier Lapon), je l’avais envisagé comme un livre de reportage puis ça a dérapé en polar. Par la suite, je me suis retrouvé face à un problème, je n’étais pas un lecteur de polar. J’ai commencé à en lire quelques-uns, accompagné d’un stylo rouge pour les décortiquer. Et puis après, je me suis lancé en me disant : "allons-y, n’ayons pas peur et prenons du plaisir". Ce qui m’a sans doute porté, c’est de me dire que je n’étais pas un lecteur de romans policiers donc j’ai essayé de ne pas écrire un roman policier traditionnel, au risque de me perdre et de produire quelque chose d’artificiel.

 

Mes deux personnages principaux sont des policiers, c’est ce qui en fait un roman policier d’une certaine manière, mais la procédure policière en elle-même ne m’intéresse pas. Alors attention, j’ai suivi des membres de la police des rennes pendant deux mois, je ne suis pas parti de rien. Ce que j’ai fait, c’est que j’ai raconté l’histoire que je voulais raconter en jouant avec les codes.

 

Vous abordez dans ce roman les luttes et les différents acteurs des conflits politiques qui subsistent sur ce territoire. En quoi était-ce important pour vous de nous parler du peuple Sami et de son histoire ?

J’avais envie de raconter une histoire et on en revient à mes fondamentaux de journaliste. L’idée était de faire découvrir des récits qui ne sont pas connus, des gens qui n’ont pas accès à la parole et de donner vie à ça. Le Dernier Lapon est né au départ d’une volonté de raconter les coulisses de la vie du grand nord. Ce qui m’a aussi poussé à écrire, c’est la vision tronquée de la représentation des Samis dans les reportages. C’était toujours l’image de la grande épopée du peuple nomade et ça passait à côté des discriminations, de leur combat.

 

Ce qui m’a aussi poussé à écrire ce roman, c’était de raconter la vraie histoire, plus nuancée. Ce n’est pas seulement les méchants Suédois contre les gentils Samis, c’est plus complexe que ça. Quand on présente les faits ainsi, on ne les reconnaît pas dans leur identité. C’est entretenir une forme de racisme en pensant bien faire. Ils ont été victimes pendant un siècle d’une politique de biologie raciale disant qu’un Lapon c’est un Lapon avec des rennes, n’y touchons pas, c’est un peuple amené à disparaître, etc. C’est se moquer du monde, c’est ne pas les voir comme des êtres humains à part entière. On est assez adulte pour comprendre que les Samis sont un peuple très moderne, ils ont accès aux mêmes écoles et universités que le reste de la Suède, ils sont entrepreneurs, etc. J’ai découvert en partant à leur rencontre un peuple très vivant qui se pose beaucoup de questions, qui est très ouvert sur l’évolution de la société et qui a une identité culturelle très forte.

 

Le dernier Lapon - Olivier Truc

 

Vous vous êtes imprégné dans ce premier roman d’une base de documentation, de vos propres recherches et reportages en Laponie ainsi que de récits que l’on vous a racontés. Pourquoi avoir fait ce choix narratif ?

J’ai beaucoup travaillé la partie documentation et terrain car ce sont mes deux amours. Le Dernier Lapon, c’est très incarné, car j’ai travaillé comme je le faisais pour un reportage. Dans un reportage, on va sur un lieu et on cherche des gens qui vont incarner un conflit social par exemple. On donne à manger et à boire au lecteur en lui donnant des sons, des odeurs et des bruits. J’ai emporté ça dans mon processus d’écriture. Je suis parti pour tous mes bouquins avec des thématiques qui sont très fortes, des problématiques que je veux aborder.

 

Je me pose toujours la question : comment est-ce qu’on incarne une thématique ? On va essayer de trouver des personnages qui sans tomber dans la caricature vont incarner ces problématiques. Après, il faut les faire vivre. Quand deux personnages se rencontrent, il se passe des choses, il y a des regards, des comportements et de ça nait l’action. Je sais où je veux emporter mon lecteur quand je veux écrire et c’est aussi le cas quand on fait un reportage en général. Mon expérience de journaliste nourrit beaucoup mon écriture. Mes romans, je les construis comme dans un documentaire, par séquences, problématiques, personnages, etc.

 

Après la parution de votre trilogie (Le Détroit Du loup et La Montagne Rouge), quelles ont été les réactions de la population locale ?

Les Suédois ont été assez étonnés parce que je suis un étranger qui est venu mettre son nez dans les affaires de leur pays. Je pense que les pays nordiques ont été surpris de ne pas voir un amas de clichés, mais de vraies connaissances. La plupart des Suédois qui ont lu le bouquin m’ont dit qu’ils ne connaissaient pas toute cette Histoire, ce qui ne m’a pas étonné, car je sais qu’ils ne s’y intéressent pas en temps normal. 90 % de mes amis suédois n’ont jamais mis les pieds dans le nord. À ma grande surprise, il y a eu peu de polémique mais je constate que l’intérêt est bien plus présent en France, en Italie et dans d’autres pays qu’ici. Mais je vois qu’il y a tout de même un début de prise de conscience même s’ils ne savent pas très bien comment gérer cette situation. 


Aujourd’hui vous êtes plutôt journaliste ou écrivain ?

Actuellement je  suis dans la période de réécriture de mon prochain roman, j’y ai mis un point final la semaine dernière, vous avez un scoop (rires). Je suis beaucoup moins journaliste, j’ai passé le relais de la correspondance du Monde il y a un an à ma collègue Anne-Françoise Hivert, mais je continue de collaborer avec le journal sur certains sujets. C’est quand même beaucoup le côté écrivain qui monte en puissance et c’est pour ça que j’ai confié la suite à ma collègue. Je respecte beaucoup le travail de correspondant qui nécessite d’être sur le terrain et je n’ai plus autant de temps qu’avant pour m’y rendre. Pour bien le faire, il faut voyager beaucoup, il faut rencontrer des gens, sentir. Un correspondant doit être nourri de la région dans laquelle il vit, de ses atmosphères et odeurs.

 

Quels sont vos futurs projets ?

En plus de ma carrière de journaliste et écrivain, je suis scénariste de bande dessinée et je travaille avec Sylvain Runberg, sur plusieurs projets qui sont en cours. Je collabore aussi avec d’autres personnes sur des projets d’écriture de série télé et puis des projets de reportage. Il y a aussi le prochain roman que j’ai évoqué juste avant. Ça sera un roman historique qui se déroule au 17ème siècle et qui raconte l’histoire d’un cartographe basque qui va être témoin et acteur de la colonisation de la Laponie par les suédois.

 

Louisa Karmoudi et Fabienne Roy, 15 mai 2018.

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