Récompensé dans trois catégories à Cannes, et élu Meilleur Film par le jury des critiques de films au festival de Stockholm (FILMKRITIKERPRISET – FIPRESCI), le dernier film de Jacques Audiard, Emilia Pérez, est déjà appelé de l’autre côté de l’Atlantique.
Le très primé Emilia Pérez
Habitué des tapis rouges, des lauriers et des statuettes, Jacques Audiard n’a peut-être pas fini sa collection de prix pour son dernier film Emilia Pérez. Élu dernièrement Meilleur Film dans la catégorie du Prix des Critiques FIPRESCI (Fédération Internationale de la Presse Cinématographique) au Festival International du Film de Stockholm, Emilia Pérez fait officiellement partie des films éligibles aux Oscars® 2025 dans la catégorie des long-métrages internationaux.
L’attention est méritée. Un film unique, Emilia Pérez est ce qu’on pourrait définir (de manière déjà réductrice) comme un thriller musical. Les protagonistes, et par extension leurs interprètes, y sont lumineuses, touchantes, puissantes. À l’image du prix d’interprétation féminine qu’elles ont raflé collectivement à Cannes, le film s’attache à leur sororité complexe dans un contexte d’ultra-violence.
Manitas (Carla Sofía Gascón), chef d’un cartel mexicain, recrute l’avocate Rita Moro (Zoe Saldaña) pour lui arranger, dans le plus grand secret et sous couvert de décès, sa transition de genre. Le personnage revient alors parmi les siens sous sa nouvelle identité, Emilia (Carla Sofía Gascón).
Mélange des genres
Récit d’une quête de rédemption et portrait complexe du Mexique, Emilia Pérez est le fruit d’une riche collaboration artistique entre son réalisateur et scénariste Jacques Audiard, ses compositeurs Clément Ducol et la chanteuse Camille, son chorégraphe Damien Jalet, sans oublier ses interprètes qui furent aussi force de proposition, comme par exemple l’actrice espagnole Carla Sofía Gascón qui a insisté auprès d’Audiard pour qu’il lui confie le double rôle Manitas / Emilia¹.
¹Carla Sofía Gascón lors de la conférence de presse d’Emilia Pérez au festival de Cannes -
À propos de la dimension musicale du film, Audiard confie lors de la conférence de presse d’Emilia Pérez au Festival de Cannes avoir été inspiré par le roman Écoute de Boris Razon, et avoir d’abord imaginé une adaptation sous forme d’opéra. Son mélange unique des genres (thriller, social, comédie musicale) a demandé une recherche artistique particulière, comme en témoigne Clément Ducol, co-compositeur aux côtés de la chanteuse Camille : « on est plus en train de plaquer une musique sur une image, ce sont des aller-retours permanents entre les deux ». Le chorégraphe Damien Jalet évoque de même un long travail de réflexion sur ce que « serait le code [...] [le] langage [...] quelque chose qui émane du jeu et qui fasse progresser l’histoire ».
En effet, les transitions entre passages chantés et chorégraphiés sont souvent poreuses, alternant paroles parlées, rappées, chantées ou fredonnées et gestes mécaniques, naturels, dansés. Dans leur élément, la chanteuse Selena Gomez et les actrices Zoe Saldaña et Adriana Paz, également danseuses, crèvent l’écran. Plus novice, comme elle en rit lors de la conférence de presse à Cannes², Gascón n’en est pas moins touchante.
²Carla Sofía Gascón lors de la conférence de presse d’Emilia Pérez au festival de Cannes -
Autre question de genre, la transidentité, qui est dans le film moins un sujet qu’un outil narratif. Pour le personnage interprété par Gascón, sa transition médicale est pour plusieurs raisons une question de vie ou de mort : Manitas est un chef de cartel menacé par ses rivaux mais aussi par son propre mal-être. « C’est mon seul espoir de pouvoir vivre ma vie », dit Manitas à l’avocate Rita Moro en lui demandant d’orchestrer sa disparition et d’organiser ses procédures chirurgicales. Devenue Emilia, elle peut espérer racheter les crimes de son passé. Gascón voit dans le film avant tout un message d’espoir et de rédemption, et appuie que le fait d’être trans devrait être « anecdotique » : « une personne trans c’est une personne qui vit une transition. Une fois qu’elle a traversé cette transition, elle est ce qu’elle est, elle est ce qu’elle a voulu être ».
Mexique : portrait(s)
« Quitte à faire une comédie, autant le faire à partir d’une tragédie ». Tels sont les mots de Jacques Audiard à propos de son choix d’aborder les questions de l’insécurité, des disparitions et féminicides au Mexique. Prenant tour à tour la parole, les actrices et acteurs du film soulignent la justesse du portrait que fait le film du Mexique, qui prend en compte à la fois ses côtés sombres mais aussi « sa beauté et son potentiel artistique », selon les mots de Saldaña. La situation ambivalente du pays se retrouve ainsi parfaitement reflétée dans le parti-pris artistique du film, selon Adriana Paz (Epifanía) pour qui la réussite du film est de « faire une comédie musicale tout en faisant sentir cette douleur, la nature mexicaine, la passion ».
L’ambivalence de la société mexicaine, pour l’acteur Edgar Ramirez (Gustavo),
s’apparente à un « inxil », un « exil intérieur », l’idée d’un décalage entre réalités intérieure et extérieures, l’impression d’être « piégé dans un monde qu’on ne reconnaît plus ». Ramirez voit d’ailleurs dans le personnage de Manitas / Emilia un reflet de ce paradoxe, cette idée de se sentir étranger à soi-même, piégé dans son propre corps. C’est donc un film aux couches narratives multiples que vous pourrez découvrir dans les bio (cinémas suédois) à partir du 10 janvier 2025. Que vous en sortiez émerveillés, perturbés ou dubitatifs, Emilia Pérez vous hantera (presque) sans doute même une fois sortis des salles obscures... et il vous viendra peut-être à l’idée (qui sait !) de réécouter « Les Passantes » de Georges Brassens à l’issue de la séance.
Informations pratiques
Où : Dans les cinémas indépendants (Folketsbio) ou les multiplexes (Filmstaden)
Dates : À partir du 10 janvier 2025
Bande-annonce Emilia Pérez