L'écrivain suédois vient de s'éteindre à l'âge de 67 ans. Auteur de la série de romans policiers aux enquêtes menées par l'inspecteur Kurt Wallander, Henning Mankell avait également écrit plusieurs pièces de théâtre, livres de jeunesse et romans. C'est ce biais que lepetitjournal.com/stockholm vous propose de découvrir un bout de son ?uvre, en commençant par Daisy Sisters, son premier roman, publié pour la première fois en Suède en 1982.
Daisy Sisters, c'est l'histoire de deux jeunes Suédoises issues de milieux modestes et qui, au début de la Seconde Guerre mondiale, démarrent une correspondance qui durera trois ans. D'un côté, il y a Elna, fille d'un social-démocrate, embauchée à la fin de l'école près de Gävle comme bonne à tout faire dans la villa d'un ingénieur marié à une femme de tendance nazie. Et de l'autre, il y a Vivi, la fille de communiste, employée comme femme de chambre au Grand Hôtel de Landskrona, en Scanie. Vivi veut parcourir le monde, Elna rêve de travailler dans un bureau à Stockholm.
Ces deux jeunes femmes, tout juste sortie de l'adolescence, partagent leurs rêves. Cette amitié épistolaire aboutit à une première rencontre en juin 1941, en Dalécarlie. Mais le voyage qu'elles entreprennent alors jusqu'à la frontière norvégienne tourne mal. Elna, violée par un soldat, se retrouve enceinte à l'âge de dix-sept ans. De retour dans la région de Gävle, seule pour vivre ce traumatisme, étouffée par les tabous ainsi que par une tentative inaboutie d'avortement clandestin, la jeune femme n'a plus que Vivi à qui se confier. De neuf mois de douleur et de honte naîtra une fille, Eivor, qui grandira en même temps que se reconstruira un continent ravagé par la guerre. En quête de liberté, en rupture avec sa mère, l'enfant luttera pour s'imposer dans l'univers familial comme dans la société.
Ce roman a beau être le début d'un quarantaine d'ouvrages, il n'en est pas moins révélateur d'un style et de l'esprit combatif et engagé d'Henning Mankell, profond humaniste, pacifiste, s'intéressant de près aux dérives xénophobes, identitaires ou individualistes de la société, en Suède mais aussi en Afrique, où il a passé une partie de sa vie. Ce roman plonge au coeur du quotidien de familles modestes. Le romancier utilise des mots crus, le langage de ces milieux modestes, et laisse le lecteur appréhender cet environnement. Il s'intéresse aux tabous familiaux, à la condition féminine, avec pour fond une société suédoise marquée par la morale protestante et tourmentée par la position ambiguë du pays pendant la guerre, tiraillée entre l'idéologie nazie qui se déploie aussi en Scandinavie et la tradition social-démocrate.
Référence : Daisy Sisters, Henning Mankell, Seuil, 22,50?.
Mathilde LELIEVRE