Une première à l'Opéra, ce n'est pas vraiment un événement, comme un autre. Ce n'est pas non plus une première comme une autre. Parce que dans l'imaginaire collectif, l'Opéra tient une place assez particulière. Incompréhensible, suranné, élitiste voire snob pour certains, summum de la culture pour d'autre, qu'on soit d'un côté ou de l'autre, c'est aussi certainement, une réelle curiosité.
En matière de première à l'opéra, le cinéma nous a offert deux images qui reviennent en tête assez spontanément : Julia Roberts dans « Pretty Woman », en larmes après avoir vu la Traviata et Omar Sy dans Intouchables, hilare, se moquant d'un arbre qui chante en allemand.
Question arbres qui chantent en allemand, Carmen c'est assez tranquille, de ce côté là, pas de crainte. Et puis c'est en Français. Là encore, on s'évite le côté incompréhensible. Encore que... Oui, parce même en Français, avec l'accent Suédois... et des voix d'opéra...
Aller à l'Opéra c'est aussi l'occasion avant le spectacle, de découvrir le Kungliga Operan (Opéra Royal). Ce monument de Stockholm est un haut lieu de l'histoire de Suède, puisque le Roi Gustave III, qui en avait lui même initié la construction, y fut assassiné en 1792. Même si le bâtiment fut détruit puis reconstruit en 1899, dorures, fresques murales, plafonds peints, miroirs, galeries de costumes, rien ne manque pour rappeler qu'il s'agit bien d'une enceinte royale.
Tout de suite, le premier cliché tombe : pas de smoking à l'horizon. Ni de grandes robes de soirée avec parure en diamant. Si l'élégance est tout de même généralement de mise, les tenues sont simple voire "casual", le jean étant massivement représenté parmi les spectateurs. Tant pis pour le côté élitiste.
Une clochette se fait entendre, annonçant le début imminent de la représentation. L'ouvreuse au charme désuet, avec sa cape et son petit chapeau gris anthracite, invite les spectateurs à rejoindre leur place.
Les musiciens du Royal Swedish Orchestra les y attendent en accordant leurs instruments. Une cacophonie presque harmonieuse envahit la coupole de l'opéra et nous plonge dans l'ambiance de la soirée. La chef d'Orchestre (Johanna Garpe) fait son entrée sous les applaudissement de la foule, le "La" résonne une dernière fois, le rideau peut s'ouvir. Carmen commence.
Sans être un spécialiste, on remarque que la mise en scène sera moderne : Les contremaîtres de l'usine en "bomber" et "rangers" ne semblent pas sortis de l'imagination de Georges Bizet, ni de Henri Meilhac et Ludovic Halévy. L'affiche laissait sans ambiguïté sous entendre ce parti pris moderne. D'ailleurs, on ne sait pas vraiment à quelle période on se trouve dans cette adaptation. Depuis certains costumes évoquant plutôt les années 60 jusqu'à l'utilisation de téléphones portables, on se demande un peu. Hésitation coupable ou choix délibéré d'intemporalité de la part du metteur en scène, difficile à dire, mais finalement pas trop génant. Ce qu'on aime dans Carmen, c'est les grands airs."L'amour est un oiseau rebelle". Frissons. Forcément. L'opéra marque un point. L'émotion prend le dessus. C'est beau. Puis Carmen promet la liberté à Don José, l'acte II se termine, le rideau tombe, c'est l'heure de l'entracte.
Des petites tables installées dans les couloirs et les salons de l'opéra, réservées par les spectateurs chargés de divers en cas, pâtisseries, charcuterie ou fromages, verres de vin blanc ou de champagne nous rappellent que, comme absolument partout dans la ville, à l'opéra aussi, on peut venir pour manger. Avec un peu de chance, quelqu'un ne viendra pas prendre sa réservation et vous pourrez vous régaler d'une tartelette au chocolat, mais chut.
Vingt-cinq minutes plus tard, la clochette revient. Les deux derniers actes nous attendent. La mise en scène toujours aussi moderne, les chorégraphies aussi. Certains pas de danse font même rire le public. Oui, on peut faire rire avec les danses de Carmen. Après l'émotion et la joie des premiers gestes d'amour, le drame de Carmen prend forme. La jalousie et le désespoir prennent le pas sur l'enthousiasme et le sentiment de liberté. Don José ne pourra plus avoir Carmen, alors Escamillo non plus. Ni personne d'autre. Et c'est bien Carmen qui meure dans cette version.
Une première à l'Opéra, ce n'est pas un événement comme un autre. Un opéra, ce n'est pas vraiment un spectacle comme un autre. Contrairement à une idée reçue, l'Opéra n'est pas quelque chose qu'on adore ou qu'on déteste. Mais c'est un spectacle à part. Et pour une première, c'est sûrement une bonne chose que d'en choisir un qu'on connaît un peu. Mais définitivement, c'est quelque chose à faire.
Olivier Lepetit, 07 février 2019