Allier la France à Singapour à travers des événements : tel était le défi des organisateurs des programmes du festival Voilah! Côté gastronomie, il a été relevé avec brio par Stéphanie Rigourd, sommelière de Vintage, avec un dîner accord mets singapouriens avec vins français ou encore une masterclass « Wine Apprentice » organisée par le seul « Master of Wine » singapourien et la sommelière française. Nous avons profité du festival Voilah! pour rencontrer Stéphanie Rigourd qui nous livre son expérience dans la Cité du lion.
Lepetitjournal.com : Quel cursus avez-vous suivi et est-ce que celui-ci vous a amené à exercer cette profession ?
Stéphanie Rigourd : Il n’y a pas de formation classique pour être formé à cette profession en France. Il y a des mentions complémentaires en sommellerie qui viennent en complémentarité d’un diplôme dans l’hôtellerie restauration. C’est une formation sur un ou deux ans selon l’école choisie. Pour ma part j’avais un CAP de service. L’entrée dans ces écoles se fait sur concours et j’ai suivi celle de Tain l’Hermitage. Durant les deux ans de formation, l’étudiant fait des stages dans des hôtels/restaurants mais surtout il commence par un mois de stage de vendanges et vinification qui est déjà très formateur. Le diplôme reçu à la fin de cette formation n’est malheureusement pas très bien reconnu à l’étranger. Etant arrivée à Singapour il y a 10 ans ça ne m’a pas trop posé de problèmes mais aujourd’hui ce serait plus compliqué.
Pour quels établissements avez-vous travaillé ?
Je suis arrivée é Singapour il y a 10 ans après avoir été sommelière dans des beaux établissements en France. Ici j’ai travaillé pour le groupe Hilton, Conrad avec notamment des missions en Indonésie et Malaisie, puis en parallèle pour le groupe HPL pour Mr Ong ben Seng. Puis pour Le Raffles Hôtel Singapour avant de rejoindre Vintage l'an passé.
Quelles sont les qualités à avoir pour être une bonne sommelière ? C’est un milieu plus « masculin », comment se fait-on une place ?
Être sommelière est une force car on en voit peu en effet mais aujourd’hui de plus en plus de femmes travaillent dans ce domaine. Mon jeune âge a suscité parfois quelques réflexions mais pas le fait que je sois une femme.
Quels sont les avantages de travailler chez un fournisseur plutôt que dans un restaurant ?
A 28 ans j’étais directrice des vins au Raffles Hôtel donc quand on a fait ça, qu’est-ce qu’on fait après ? Quand Vintage m’a approchée alors que je venais de quitter le Raffles, j’ai sauté sur cette opportunité de travailler autrement. Les portes qui s’ouvrent à moi aujourd’hui sont beaucoup plus importantes, j’ai plus d’opportunités. Lorsque l’on se cantonne au métier pur de sommellerie on passe sa vie à servir du vin dans un restaurant. L’avantage de Singapour c’est que ce métier est encore relativement nouveau et nous avons plus de possibilités de le pratiquer « à notre sauce ».
Vintage est une compagnie assez jeune, quelle est son histoire ?
En 2014, trois français, Antonin, Christophe et Gilles, avec trois styles complètements différents mais complémentaires se sont rencontrés à Singapour. Issus du milieu du vin mais dans des domaines différents, ils décident d’allier leurs forces et fondent Vintage. Lorsqu’ils m’ont approché une première fois au début de leur aventure pour me vendre du vin j’ai pensé « encore une boite de vin dans ce marché déjà saturé ». Par la force de leur catalogue de vins très complet je n’ai pas eu d’autre choix, comme bien d'autres sommeliers, de leur acheter du vin.
En quoi ils se démarquent des autres ?
Ce sont des bons business men ! En l’espace de 6 ans ils ont su s’intégrer dans le marché avec un style complètement différent. Singapour est un marché très compétitif et ils mettent un point d’honneur à être au meilleur niveau en termes de qualité. La chaine du froid est respectée tout au long du processus d’importation ce qui n’est pas toujours le cas. Ils ont un contact avec le client qui est très familial, celui-ci n’hésite pas à passer à l’entrepôt directement pour venir chercher son carton. Il peut recevoir des conseils par les professionnels sur place ce qui n’est pas toujours le cas chez d’autres fournisseurs. Il y a une belle dynamique, beaucoup de passion et une bonne organisation de vrais business men. Aujourd’hui nous sommes une douzaine de personnes à travailler à Vintage alors que nous étions 6 quand j’ai commencé.
En quoi consiste votre profession chez Vintage ?
Vintage est partagé en quatre entités : Vintage Singapore qui s’occupe des ventes aux particuliers à Singapour, Vintage Trade Singapore qui s’occupe des ventes aux hôtels et restaurants à Singapour, Vintage Hong Kong dont Antonin, basé à Hong Kong, s’occupe et nous avons également Vintage Collector qui s’occupe d’aider nos clients à construire leur cave d’investissement, pas seulement financier mais pour le plaisir de boire des vins dans 10 ou 15 ans. Mon rôle en tant que sommelière, est d’organiser des évènements, des dégustations pour les clients particuliers, de donner des conseils dans l’achat de vins, qu’ils soient Collector ou pas.
Quels sont les prochains évènements organisés par Vintage ?
Un gros évènement a lieu cette semaine avec une dégustation dans le cadre du Festival Voilah! Le défi était d’organiser un évènement qui allie la France à Singapour. Comme j’aime beaucoup la cuisine singapourienne, j’avais déjà organisé des « accords mets et vins » avec des plats locaux et j’ai pensé à mon ami Tan Ying Hsien qui est le seul « Master of Wine » singapourien. Il m’a vu grandir à Singapour, et Vintage a eu l’idée de proposer cette dégustation menée par un « Master of Wine » singapourien, qui n’a rien à voir avec la sommellerie, et une sommelière française femme. Nous allons revoir les bases de « qu’est-ce que la Champagne, comment fait-on le champagne, avec quels cépages et pourquoi » et nous allons faire des dégustations à l’aveugle.
Le 17 janvier 2020, nous organisons la « Paulée de Singapour » au Grand Hyatt. Ce mot vient du mot pelle, la dernière pelle de raisins du décuvage. C’est un mot pour parler de la fin des vendanges et de la vinification. C’est un terme spécifique à la Bourgogne et chaque région viticole a son propre terme. En Bourgogne c’est connu car à cette occasion les plus grands collectionneurs sont invités et les plus grosses bouteilles sont ouvertes. Ici à Singapour nous aurons une dizaine de vignerons qui viendront de France et nous organisons un énorme tasting avec des vins très jeunes, pas encore mis en bouteille pour la plupart, afin de les faire goûter en exclusivité aux clients. Il y aura plus de 40 vins en dégustation pendant deux heures, suivi par un diner. Le concept de la paulée c’est que chacun apporte sa bouteille pour la partager.
Au mois de juin nous aurons la 5ème édition du Bordeaux Gala Dinner avec dégustations des vins Primeurs de l'année. Ces vins sont mis en bouteille directement depuis la barrique (pas encore fini et pas mis officiellement en bouteilles, donc instables. Ce sont des « échantillons » de vins) et quand ils arrivent à Singapour ils doivent être dégustés dans les trois semaines car après ce délai, comme le vin n’est pas stabilisé il y a un risque que le processus de fermentation recommence. C’est le concept des « vins primeurs ». Cette dégustation sera suivie d'un diner ou tous les grands crus de Bordeaux sont servis en magnum sur les plus beaux Millésimes. L'an dernier Pichon Comtesse de Lalande 2010 avait remporté tous les suffrages.
A cette occasion, une vingtaine de vignerons feront le déplacement.
Nous aurons 180 personnes qui pourront participer à chacun de ces deux gros évènements.
Quelle approche auriez-vous pour faire apprécier le champagne ou le vin a une personne qui ne boit pas ?
Quand je parle de vin il y a quelque chose qui se passe en moi et ça se voit. Je n’ai pas de pouvoirs magiques mais je sais en parler avec tout mon cœur, toute mon âme et toute ma passion. Si en plus il s’agit d’un vigneron que j’apprécie particulièrement je vais en parler encore mieux. Après chacun est libre d’aimer ou ne pas aimer un vin. C’est très personnel.
La clé avant tout c’est d’écouter le client, comprendre pourquoi il n’aime pas, quelle est l’expérience qu’il a eu qui fait qu’il n’aime pas. On pose les bonnes questions mais on n’impose pas, il faut que ça reste du plaisir.
Avez-vous des conseils pour ceux qui voudraient s’orienter dans cette profession ?
Il faut choisir son cursus scolaire en fonction de ce qu’on veut vraiment faire dans le vin.
Si on parle du métier de sommelier, il ne faut pas oublier que c’est l’hôtellerie et la restauration, c’est le travail les week-ends, Noël, le jour de l’an. C’est un métier qui est dur avec beaucoup de sacrifices.
Si on aime la fabrication du vin il vaut mieux s’orienter dans les vendanges et la vinification. Il y a des tas de possibilités de stage en Australie pendant la période des vendanges et c’est une bonne occasion de se frotter au métier de vigneron.
Si on aime le business du vin, il y a des masters en « Vin et Spiritueux ».
Je vous laisse le mot de la fin, voulez-vous ajouter quelque chose ?
Oui ! Chaque samedi, de 9.00 à 17.00, l’entrepôt est ouvert au public avec un setup différent. On organise des grandes tables avec des promotions de vins que nous avons sélectionnés la veille. On a une barrique avec une trentaine de vins qui sont prêts à la dégustation. A cette occasion on a un véritable contact avec les clients, on les connait et c’est ce qui manque à Singapour. On peut facilement commander sa bouteille sur un site internet mais il n’y a pas le conseil personnalisé.
On peut acheter le vin à l’unité mais le prix est plus attractif si l’on achète 6 bouteilles. L’idée c’est d’offrir aux clients la possibilité de profiter des promotions chaque samedi. Samedi prochain nous aurons le « Champagne Day », avec les meilleurs prix sur la place de Singapour et c’est un des deux seuls moments de l’année ou on fait goûter tous nos champagnes. On a un très beau portfolio de petites et grandes maisons.