Les Français (de France) tout comme ceux qui s’installent à Singapour ont bien souvent une vision tronquée et critique de la cité-État et arrivent emplis de préjugés sur l’« État policier », voire la « dictature », que représenterait Singapour. Au fond, qu’en sait-on vraiment ? Le livre de Murat Lama "Lee Kwan Yew, Singapour et le renouveau de la Chine" apporte un éclairage assez fouillé et permet d’y voir beaucoup plus clair.
Certes on parle peu de Singapour en France, en tout cas de son système politique, ou alors seul le sujet de l’Etat policier est évoqué, quand les plus « érudits» s’engagent parfois dans des discours pointant du doigt le paternalisme voire le népotisme du système politique de la cité du Lion. Je suis certaine aussi que la première mise en garde que l’on vous a faite en vous installant à Singapour fut : « il-ne-faut-surtout-pas-jeter-de-chewing-gum-dans-la-rue,-sous-peine-de-recevoir-des-coups-de-bâton ». Bon.
Vous en conviendrez, c’est un peu court. On a surtout envie de comprendre et d’en savoir plus. Car la première chose qui frappe c’est que tout fonctionne, comme une partition bien réglée et que l’on croise bien moins de policiers dans les rues singapouriennes qu’à Paris... Ce système discipliné et qui ne se cache pas d’être autoritaire chiffonne sans doute notre sens critique, notre côté latin et notre bonne conscience occidentale. On devine que ces premières impressions ont leur explication. On apprend vite, par exemple, que Singapour dispose du système de vidéo surveillance le plus sophistiqué au monde qui lui permet de s’affranchir de patrouilles policières en uniforme. Mais quel a été véritablement le cheminement politique de la cité-État ? Quelles réflexions philosophiques, économiques, culturelles ont-elles guidé la transformation si rapide de ce pays ?
Quel est donc le secret singapourien ?
C’est ce mystère de la « réussite » de Singapour que j’ai voulu comprendre en achetant ce livre. Je n’ai pas été déçue. Cet ouvrage riche est à la fois une biographie (celle de Lee Kwan Yew) et un essai, puisque chaque étape de la vie du père fondateur de Singapour est matière à réflexion et permet de dégager un thème dominant : ses années de formation et la méritocratie ; son combat anticolonialiste et anticommuniste et l’invention d’un « socialisme qui marche » ; l’échec de l’intégration avec la Malaisie : le communautarisme malaisien versus la laïcité singapourienne ; l’invention d’un nouveau modèle de développement et l’impératif de discipline ; son combat pour la culture d’origine et la refondation du confucianisme, etc.
Même si le style est didactique, le livre n’est jamais ennuyeux, il est surtout très bien étayé et si bien structuré que l’on peut même se payer le luxe de « sauter » certains chapitres, s’il le faut. On l’aura compris, l’auteur se range plutôt du côté des admirateurs de Lee Kwan Yew, dont il parvient très bien à traduire la vision et à expliquer le déroulement de sa politique, pensée et conduite durant 40 ans au travers de principes simples : méritocratie, discipline sociale, lutte contre la corruption, laïcité souple, apport des valeurs du confucianisme. Peu, voire aucune critique du système, l’auteur s’attachant méthodiquement à démontrer les ajustements pragmatiques qui ont été apportés par le père fondateur et son souhait de ne pas être dogmatique, à l’inverse des pays en voie de développement de l’époque qui n’ont d’ailleurs pas connu le même succès.
Aussi, si vous souhaitez mieux connaître les réponses singapouriennes apportées aux problèmes rencontrés par tous les gouvernements du monde : comment obtenir le plein emploi ? Comment maintenir l’économie compétitive ? Comment faire vivre ensemble des communautés différentes ? Comment lutter contre la pauvreté et l’échec scolaire ? Comment lutter efficacement contre la corruption ? etc.. Lisez ce livre bourré d’anecdotes.
Quant à l’injonction souvent entendue : « on ne peut pas comparer ! Singapour est un petit pays… », Murat Lama va même jusqu’à démontrer que la cité-État fut un modèle pour la Chine de Deng Xiaoping de même que pour Dubaï… Pas vraiment la même la géographie ni les mêmes populations.
À lire donc, tout en conservant bien entendu votre esprit critique.
Lee Kwan Yew, Singapour et le renouveau de la Chine
Murat Lama
Manitoba / Les belles lettres.
Paris, 2016. 357 pages.