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Les maths à Singapour, une méthode miracle ?

Methode Singapour-Mathématiques, 2018Methode Singapour-Mathématiques, 2018
Écrit par Clémentine de Beaupuy
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 22 février 2018

La remise du rapport Villani au Ministre de l’Education nationale Mr. Blanquer préconisant 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques en France, a mis à l’honneur, par ricochet et par voix de presse, la méthode de Singapour pour l’apprentissage des maths. 


Face au constat alarmant du niveau en mathématiques des jeunes Français, il était temps pour Jean-Michel Blanquer de remettre les méthodes françaises en question et de s’inspirer de ce qui marche si bien ailleurs. Et les résultats de la cité-Etat en la matière sont éloquents : les études internationales comme le TIMMS- Trends in International Mathematics and Sciences Studies ou PISA, confirment l’excellent niveau des élèves de Singapour toujours en tête de classement. Comment font ces jeunes Singapouriens pour être si forts en maths ? La méthode de Singapour est-elle la recette miracle tant attendue ? 

La « méthode » de Singapour … 

Tout d’abord la méthode de Singapour, mise en place dans les années 80, n’est pas vraiment une « méthode » à proprement parler mais une synthèse de plusieurs recherches pédagogiques qui ont fait leurs preuves dans d’autres systèmes éducatifs. 

Le jeune Etat singapourien, comme dans beaucoup d’autres domaines, a donc fait la synthèse des pédagogies qui marchent afin de remplir ses objectifs de performance. 

Il s’est inspiré notamment des travaux de l’Américain Jérôme S. Bruner, dont les théories sur la perception, le développement de l'enfant et l'apprentissage ont contribué à lancer l'étude moderne de la résolution créative des problèmes, connue sous le nom de révolution cognitive. Ses recherches ont contribué à mettre en avant la connaissance à travers des actions et une approche dite en « spirale ». 

Autre inspiration : les travaux de l’Australien John Sweller sur la charge cognitive, ont mis en évidence plusieurs points pour faciliter l’apprentissage : 

  • la charge cognitive imposée par de nombreuses stratégies de résolution des problèmes, tout en n’empêchant pas d’atteindre la solution du problème, gêne l'apprentissage. 
  • Beaucoup de techniques didactiques exigent des apprenants qu’ils traitent les sources d'information multiples ce qui impose une charge cognitive lourde qui gêne l’apprentissage.
  • Quelques configurations d'information redondante imposent également une charge cognitive lourde ayant un résultat négatif.
  • Le matériel didactique entraînant un effet de "dédoublement de l’attention" peut être amélioré en présentant une certaine partie de ce matériel sous forme auditive. 

En résumé, il faut alléger les manuels et les visuels pour concentrer les élèves sur l’apprentissage. 
Cette méthode est donc plus une synthèse singapourienne, appliquée avec discernement et produisant apparemment de très bons résultats.


Les différentes étapes

Plus précisément, cette méthode se décompose en 3 étapes et introduit une étape supplémentaire par rapport aux méthodes traditionnelles. 

1- L'étape concrète : les élèves apprennent à dénombrer en manipulant des objets.
2- L’étape imagée : elle est propre à cette méthode. Les nombres sont remplacés par des barres ou rectangles de la taille du nombre. Par exemple, le nombre 3 sera représenté par un rectangle de 3 centimètres de long. Les élèves sont encouragés à dessiner la représentation visuelle du problème et incités à trouver la solution par eux-mêmes. 
3-  L'étape abstraite : une fois les 2 premières étapes bien intégrées et appréhendées, les élèves passent enfin à l'étape abstraite avec les chiffres et symboles.
Mais ce n’est pas tout. Cette méthode s’épanouit dans un contexte de classe réfléchi. 
Les séquences sont découpées pour respecter le rythme d’apprentissage de l’enfant, qui est placé au coeur de son apprentissage. 
Une place primordiale est donnée à la résolution de problèmes et les professeurs insistent sur la verbalisation de leurs résolutions. Une sorte de système de classe inversée est instauré pour permettre aux élèves cette verbalisation et l’entraide. 

… dans un contexte éducatif bien différent de la France 

Mais, au delà de la structuration même de la classe et de cette synthèse pédagogique efficace, les élèves singapouriens évoluent dans dans un système éducatif résolument différent du nôtre. 
Mis en place pour Lee Kuan Yew et le ministre de l’Education Goh Kween Swee, ce système scolaire est fondée sur quelques éléments clefs : 

  • l’importance accordée au recrutement, à la formation, à la rémunération et à la carrière des enseignants, ce qui semble être un des points faibles en France. 

Une des conclusions du rapport remis à notre ministre de l’Education nationale précisait en effet "à quel point l'encadrement humain est déficient en la matière". Très peu d'enseignants des écoles se sentent à l'aise avec les mathématiques et c'est normal au vu de leur parcours et de leur formation, beaucoup d'enseignants étant issus de filières littéraires.

  • La méritocratie : les bons élèves sont repérés et soutenus par le gouvernement singapourien notamment par des systèmes de bourses. 
  •  la différenciation des apprentissages en fonction des enfants et de leur niveau, notamment au sein d’une même classe. 
  • une véritable priorité est donnée à l’Education Nationale : plus de 11 milliards de SGD de dépenses y sont consacrées. 
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Mais, bien entendu "l’excellence ne va pas sans son lot de critiques" (voir l'article le prix de l’Excellence, SINGAPOUR n°6, avril 2016) . 

  • la pression à laquelle sont soumis les élèves, notamment avec l’examen de fin de primaire le PSLE, Primary School Leaving Examination et qui détermine une grande partie de la suite de la scolarité de l’enfant. Cet examen, gage de méritocratie, est aujourd’hui sous le feu des critiques et le gouvernement singapourien essaie d’adoucir ses conséquences. 

Cette pression aux examens a aussi entrainé la multiplication pour les enfants des cours de soutien. Une étude publiée en 2016 dans le Straits Times montrait que 8 enfants sur 10 suivaient des cours de soutien. Et ces cours commencent dès la crèche… 

  • l’importance de la  notion de Kiasu , mot chinois pour définir la "peur de perdre" ou "de ne pas être le meilleur" implique cette exigence scolaire, relayée par des parents très impliqués. 

 

Singapour a pris conscience de ces faiblesses. Au delà des ces très bons résultats, les élèves ne réussissent pas forcément plus brillamment dans leur carrière. Il est important aujourd’hui d’apporter d’autres compétences à la cité-Etat. Un nouveau plan éducatif a été lancé pour adapter leur système au contexte actuel et relâcher la pression sur les enfants. 

Cette méthode singapourienne s’épanouit donc dans un contexte éducatif bien différent du nôtre. Les enfants singapouriens seraient- ils aussi forts que ça sans ces cours particuliers et cette notion de Kiasu induite par leurs parents ? La question mérite d’être posée avant de s’enflammer pour une méthode qui a fait ses preuves certes, mais dans un certain contexte de développement d’un pays. Singapour a réussi là où elle souhaitait réussir, et plutôt brillamment. 

 

 

Et si s’inspirer de Singapour ne serait-il pas déjà de confier la réflexion sur l‘apprentissage des maths à un médaillé Fields ? 
Ou d' adopter pour notre pays une vision, une ambition sur le long terme : c’est-à-dire penser notre éducation nationale sur une génération en fonction d’objectifs concrets, en réévaluant régulièrement ce « master plan » en toute sincérité et sans idéologie juste pour le bien de nos enfants... 

 

 

 

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