Diplômé de NUS, de Cornell et de Harvard, Kevyn Yong a été professeur à HEC en France, avant de rejoindre L'ESSEC dont il est aujourd'hui le doyen académique du campus Asie-Pacifique, en charge des questions académiques. Fin connaisseur des systèmes éducatifs et spécialiste des questions de créativité et d'innovation, il propose une perspective nouvelle sur ce que seraient, dans ce domaine, les forces et faiblesses de Singapour, de la France et du modèle anglo-saxon pour stimuler la créativité.
Quel souvenir gardez-vous de votre scolarité à Singapour ?
J'ai réalisé l'essentiel de ma scolarité à Saint Joseph's Institution, puis au Hwa Chong Junior College, et ensuite à NUS (National University of Singapore) où j'ai étudié la psychologie et la philosophie. Saint Joseph Institution est l'une des trois plus anciennes écoles de Singapour, avec la Raffles Institution et l'Anglo-Chinese School. Dans ce type d'école, il y a une sorte de transmission familiale : j'ai étudié dans la même école que mon père, et que trois de mes neveux, qui y sont élèves actuellement. Ces écoles ont une identité très marquée. Saint Joseph estune école catholique, respectueuse de toutes les religions, qui transmet de fortes valeurs. Il s'agit de donner aux jeunes les moyens de s'adapter aux enjeux de la société.
Qu'est-ce qui vous a poussé à aller étudier à l'étranger ?
Quatre ans avant mon diplôme, je souhaitais m'orienter vers la psychologie clinique chez les enfants. Ce qui m'intéressait, c'était d'explorer les ressorts du cerveau et notamment ceux de la créativité humaine. Comment un être humain est-il capable de créer ? L'un de mes professeurs m'a suggéré de poursuivre mes études aux Etats-Unis. J'ai fait un master à Harvard et un PhD en management à Cornell University.
Quelles sont d'après vous les différences entre le système universitaire français et le système universitaire singapourien ?
En fait, je crois qu'il a plus de similitudes qu'on veut bien le croire. En general, les Français et les Singapouriens sont, par exemple, très similaires dans la manière dont ils contribuent aux discussions en classe. Les eleves ont tendance à s'exprimer seulement quand ils sont à même de produire un discours structuré et argumenté qui apporte une véritable contribution au débat. Par comparaison, l'environnement anglo-saxon encourage davantage les interactions et les étudiants s'expriment plus spontanément.
Et les différences?
Les différences se situent plus dans le contenu des enseignements que dans le système éducatif lui-même, notamment en ce qui concerne la philosophie, l'histoire et la littérature . Dans le système français, ces enseignements sont introduits plus tôt, dès les petites classes et sont pris très au sérieux. C'est moins le cas à Singapour. Selon moi, l'enjeu majeur d'un système éducatif aujourd'hui est d'apporter à ses étudiants la capacité d'être créatif. Mais la créativité n'est pas l'apanage d'une discipline. Elle peut être développée aussi bien avec les mathématiques qu'au travers des arts et de la philosophie.
Pensez-vous que cette créativité est suffisamment mise en valeur dans les programmes éducatifs singapouriens ?
Dans le système français, la créativité est implicite. Ce n'est pas forcément vrai à Singapour mais cela change. Depuis 10 ans, le système singapourien tente, dès l'école primaire, de pousser ses élèves à être plus créatifs et moins scolaires. Cela crée beaucoup de débats. Le système singapourien essaie en permanence de se réformer et de s'adapter aux enjeux qui se pose à lui. Selon moi, il y réussit plutôt bien.
Comment le système éducatif peut-il évoluer pour favoriser davantage le développement de la créativité ?
Je ne crois pas qu'une culture soit plus créative qu'une autre. Je crois par contre qu'une culture s'enrichit, quand sans abandonner ce qui fait sa spécificité, elle est capable de saisir certains des éléments qui font la force des autres. L'Asie n'est pas moins créative que le monde occidental. Elle l'est différemment, dans un environnement oriental qui accorde, par exemple, davantage d'importance aux exigences d'efficacité (faire en sorte que la solution trouvée soit vraiment une réponse effective au problème posé), alors qu'en occident on pourra être plus sensible au caractère « vraiment unique/ distinctif » de la solution. On voit bien à quel point il s'agit essentiellement d'une différence de perspective : pour un Américain, le développement de la créativité passera par davantage de travail collectif ; pour un Singapourien ce sera, à l'inverse, en l'incitant à s'affirmer davantage dans le groupe. Entre les deux, la France constitue une forme intermédiaire.
Comment l'ESSEC peut-elle participer à cet enrichissement mutuel entre la France et Singapour ?
Le concept de « Learning by doing » traduit bien la démarche de l'ESSEC qui consiste à préserver l'approche à la française en la poussant un peu plus loin, au contact d'autres cultures et d'autres pédagogies. Le fait pour l'ESSEC de s'installer à Singapour est une façon de s'imprégner d'autres manières de penser. L'étudiant qui vient à Singapour bénéficie d'une forme de collaboration entre l'école et le pays, qui lui permet d'apprendre non seulement du professeur mais aussi de l'environnement dans lequel il est amené à vivre.
Parmi les 7 centres d'excellence de l'ESSEC, il y en a 3 ? l'entreprenariat (Impact Entrepreneurship), le numérique(Digital Business), l'économie/vie intelligente (Smart Life and Smart Economy) ? qui sont en forte résonnance avec les pôles d'excellence de Singapour comme smart nation. C'est un bon match qui doit permettre aux deux partenaires d'apprendre l'un de l'autre.
Clémentine de Beaupuy (www.lepetitjournal.com/singapour) mardi 26 avril 2016 (article publié dans le magazine Singapour)
Dans le numéro 6 du magazine Singapour: un dossier sur l'Education (Le prix de l'excellence) - Lire en ligne sur Issuu/ Liste des points de distribution du magazine à Singapour