Les Singapouriens l’ont affectueusement surnommée le « Durian », en référence au fruit roi dont ils raffolent, car elle en partage l’apparence extérieure. Cette institution fait aujourd’hui partie du paysage urbain, culturel et social du pays. Pourtant, elle n’a que 20 ans. Mais son inauguration a alors donné le signal d’un nouvel élan dans la vie culturelle de ce pays.
Avant les années 2000, la vie culturelle, au sens occidental, est assez limitée
Lorsque Singapour devint indépendant en 1965, la culture n’était pas le souci majeur du gouvernement. Il fallait tout d’abord trouver des emplois pour la population et l’héberger dans des conditions satisfaisantes. Les efforts ont donc été mis sur l’attraction d’investissements étrangers pour créer des emplois et sur la mise en œuvre du programme HDB. Pendant cette période, les performances artistiques étaient limitées. Le pays avait plus besoin d’ingénieurs et d’ouvriers que d’acteurs ou de musiciens.
L’intérêt pour la culture commença à poindre à la fin des années 80, avec la création en 1988 de l’« Advisory Council on Culture and Arts » (ACCA), qui est devenu en 1991 le « National Arts Council ». En 1989, cet organisme a produit un rapport déclarant l’importance des arts pour l’élargissement des points de vue, l’aiguisement de la sensibilité, la qualité de vie, la cohésion sociale, et le développement économique. Ce rapport recommandait de mettre en place des infrastructures et des institutions dans le domaine des arts.
Il est vrai que la situation n’était alors pas très brillante dans ce domaine. Après la fermeture du « National Theater » en 1984 pour faire place à une voie express, il n’y avait plus que quatre salles de spectacle à Singapour avec des capacités limitées et des équipements vieillots : Kallang Theater (2000 places), Victoria Concert Hall, Victoria Theater, Drama centre (alors situé à Fort Canning). Il n’y avait pas assez de salles de répétitions pour les quelques groupes qui existaient alors. Les Singapouriens n’étaient pas vraiment sensibilisés aux arts et à la culture, trop souvent vus comme un loisir réservé à l’élite.
L’idée était alors de faire de Singapour une société avec une vie culturelle riche s’appuyant sur son héritage multiculturel et un centre international pour les arts. Pour cela il fallait encourager les Singapouriens à assister et participer aux activités artistiques, professionnaliser le secteur artistique, y compris les activités de support, et améliorer les infrastructures artistiques et culturelles. Dans ce cadre, était recommandé la construction sur Marina Bay d’un nouveau centre des arts du spectacle, avec diverses salles pouvant accueillir différentes formes artistiques (musique, danse, théâtre) et munies d’équipements dernier cri pour pouvoir recevoir les grands ensembles de classe internationale. Ainsi est né le projet de l’Esplanade.
L’Esplanade, un bâtiment multi-usage et multisalles construit sur un terrain gagné sur la mer
On a du mal à l’imaginer aujourd’hui, mais il y a 50 ans à la place de l’Esplanade c’était la pleine mer. Beach Road, comme son nom l’indique, marquait la côte, et tout ce qui est aujourd’hui construit au Sud de cette rue a été conquis sur la mer. Pour preuve cette photo des années 70 d’Esplanade Park (alors appelé Queen Elisabeth walk) et celle de notre époque prises sous des angles similaires.
Il a fallu plus de 10 ans pour que la préconisation de 1989 aboutisse. En 1994, ont été dévoilés les plans architecturaux du centre et son nom, « Esplanade – Theatres on the Bay ». En 1996, les travaux de construction ont commencé. L’Esplanade a ouvert officiellement le 12 octobre 2002, dans le cadre d’un festival de trois semaines. Le bâtiment n’était pas destiné à ressembler à un durian, mais plutôt des lanternes illuminant la baie. Les sortes d’ « épines » qui tapissent l’extérieur du bâtiment sont en fait des petits auvents, qui n’étaient pas prévus dans les plans d’origine et qui permettent de filtrer la lumière extérieure et donc de limiter l’impact du climat tropical à l’intérieur du bâtiment, tout en ayant de la lumière naturelle.
A côté de la salle de concert de 2000 places et de la salle de théâtre de 1800 places, il y a 3 salles intérieures pour des audiences plus réduites, deux espaces pour des performances en libre accès (le « Concourse » à l’intérieur et l’ « Outdoor Theatre » à l’extérieur), des salles de répétitions, des salons et 42 vestiaires pour les artistes, des lieux d’exposition et de réception, quelques boutiques, et plus d’une vingtaine de cafés et restaurants pour tous les goûts et toutes les bourses, depuis « Labyrinth » avec son étoile au Michelin, jusqu’au hawker centre « Makansutra Gluttons Bay ». Il y a aussi une bibliothèque publique spécialisée dans les arts du spectacle. Une nouvelle salle de théâtre de 600 places, prévue dès les plans originaux et sponsorisée par Singtel, est inaugurée à l’occasion du 20ème anniversaire de l’Esplanade avec diverses œuvres originales. Divers types de visites sont organisées pour découvrir les coulisses du spectacle.
La pandémie a poussé l’Esplanade à développer une offre en ligne, qui a été maintenue pour le bénéfice de clients qui peuvent avoir du mal à se déplacer aux heures des spectacles ou qui préfèrent y assister dans le confort de leur salon. Les spectacles peuvent être retransmis en temps réel ou différé.
L’Esplanade a rempli les objectifs assignés par le rapport de 1989
Les diverses salles ont pu accueillir les spectacles les plus divers depuis de grands ensembles internationaux jusqu’à des troupes locales amateurs, qui ont ainsi l’occasion de se faire les dents à des coûts limités. Il y a des spectacles ou des expositions tous les jours et 70% d’entre eux sont gratuits, ce qui offre la possibilité à n’importe qui, quels que soient ses moyens, de se familiariser avec la culture. Certains programmes sont particulièrement destinés aux enfants, aux personnes âgées, ou aux personnes handicapées. Depuis son ouverture, il y a eu plus 50.000 spectacles pour plus de 32 millions de spectateurs.
Si la culture occidentale est présente, une grande place est réservée aux diverses cultures asiatiques, en particulier celles qui animent Singapour. En particulier, chaque année, trois festivals correspondent aux principales fêtes des trois grandes communautés de Singapour : « Hua yi », à l’occasion du nouvel an chinois, « Kalaa Utsavam », au moment de Deepavali, et « Pesta Raya », à la fin du Ramadan. Tous les types de musique sont présentes depuis la musique classique jusqu’au rap, en passant par les musiques traditionnelles. Notons également « A Tapestry of sacred Music », festival annuel qui présente diverses activités liées à de nombreuses religions et philosophies, favorisant ainsi l’harmonie intercommunautaire et l’ouverture vers d’autres spiritualités.
L’Esplanade commissionne régulièrement des œuvres aux compositeurs, directeurs ou auteurs locaux, et ainsi soutient la production d’œuvres locales. C’est notamment le cas pour célébrer ses 20 ans, avec par exemple la création de « Illuminations », une œuvre musicale composée par des artistes locaux et jouée ce samedi à la salle de concert de l’Esplanade par l’orchestre symphonique de Singapour (SSO) et ses trois chœurs.
Pour plus d’information, visitez le site internet de l’Esplanade.