Zoom sur l’Asie de la créativité trans-nationale débridée, inspirée d’occident, de Corée et d’Asie du Sud-Est chez META (1*), de la tradition singapourienne réinventée avec espièglerie, originalité et enchantement chez LABYRINTH (1*), de la perfection tutellaire, aristocratique et inégalable de l’art culinaire japonais chez KI SHO (qui mériterait 1*!).
META RESTAURANT : LORSQU’UN JEUNE CHEF CORÉEN S’AMUSE HABILEMENT AVEC LES CLASSIQUES FRANÇAIS ET REÇOIT UNE ÉTOILE.
Le décor est urbain, chic et sobre (design intérieur Pierre Tay) dans cette petite salle toute en longueur où tout se passe en “live” au comptoir : fascinantes mains expertes et visages concentrés comme si chaque assiette était une oeuvre unique.
Chef Sun Kim a la fraicheur de la trentaine épanouie et déjà, une vaste expérience internationale. Technique culinaire française apprise à Séoul, pratiquée à Sydney auprès de chefs étoilés français et italiens, complétée par un méticuleux apprentissage de la gastronomie japonaise avec Tetsuda Wakuda de Whaku Ghin… Rien que ça!
Résulat hybride, innovant, osant la ruture avec les codes établis, sans jamais choquer le palais ou les sens. Chez Meta, les pros jouent avec les ingrédients et y prennent un plaisir évident communicatif. Il y a le sourire de chef Sun et de sa jeune et talentueuse équipe dans chaque assiette. Une cuisine “du monde” : base occidentale, plutôt française, nettement imprégnée d’Asie, en particulier Japon et Corée.
Pas de carte ici. Seulement 3 menus au total, amuse-bouche et mignardises inclus systématiquement.
Un menu déjeuner à $52 (3 plats) et 2 menus dîner à $108 (5 plats) et $148 (7 plats). Que ce soit à midi ou le soir, il est question de dégustation : finesse, élégance et justesse des portions. Elles sont généreuses et parfaitement dosées.
Une spécificité du lieu : quelques plats optionnels, avec suppléments. On ne citera que la sublime huître au gingembre, citron et Gochujang, condiment coréen unique en son genre, salé/sucré/épicé (piments rouges et graines de soja fermentées, riz collant). Pas de panique : arômes puissants mais pas d’incendie buccal! L’huître est charnue au possible (provenance : Irlande ou France) et son “assaisonnement” la rend impérieusement désirable. Un “must” qui devrait compter parmi les plats signature.
Les stars du menu du moment (adaptations régulières suivant la saisonnalité des ingrédients) sont :
- Aged Shima Aji : sashimi de chinchard, maturé par le chef (traitement délicat et secret, au froid avec aération et humidification régulières pendant quelques jours), sauce légère au piment sur feuilles de shiso (sorte de coriandre japonais et coréen). Texture particulière du poisson : tendre, fondante et à peine gélatineuse.
- Butternut squash : purée de courge musquée (butternut) moulées en forme de noodles, adorablement présentée comme un petit nid, reposant sur un lit de maïs braisé bien croquant et protégeant une belle crevette royale… le tout parfumé de quelques zestes de Kaffir lime. Simple, équilibré, satisfaisant. Une certaine impression de réconfort dans ce plat.
- BBQ Quail : filet de caille grillé, purée de panais vivifiée par un semblant de pate de miso coréen et feuilles de ficoide glacial (ice plant) provenant des marées salants… Quel programme! Un franc parfum de fumé typique de la cuisson au barbecue pour une viande rarement magnifiée ainsi.
- Grouper : filet de mérou, chair cuite à la vapeur donc fort tendre puis poêlé puis passé au chalumeau coté peau. Superbe contraste de textures. Servi avec 4 sortes de champignons différents, dans un bouillon de daikon, radis blanc japonais, et algues. Quintessence de la gastronomie asiatique : le bouillon avec le poisson. Fin et léger.
- Coté viandes : elles sont toutes excellentes. Filet de canard, rumsteak de Wagyu australien grillé, filet d’agneau rosé… Maitrise parfaite des cuissons.
- Desserts enfin!... La jeune chef patissière est douée, habitée par une joie de vivre et une soif de créativité captivante. Green Apple : sorbet de pomme verte peu sucré et bien acidulé, génialement agrémenté d’une petite crème au mascarpone et… fenouil, petits cubes de parmesan, le tout, arrosé de… Calvados, bien sûr! Il fallait oser; ils l’ont fait. Réussite totale. Frais, original, une caresse pour les papilles en guise de point d’orgue du repas. Tropical Summer, mangue fraiche, jus et purée de fruits de la passion et crème de coco veloutée et aérée, présentée en boule, rend un bel hommage aux saveurs locales.
Il a tout d’un grand, ce petit restaurant qui grimpe, qui grimpe… Ouvert il y a tout juste 2 ans, il s’est immédiatement intégré dans la cour de ceux qui comptent. Créativité, technique, précision …. Et totale déshinibition quant aux univers culinaires : chef Sun prend ci et là ce qui l’inspire et s’est émancipé de tout clivage national.
Ambiance décontractée; il faut aimer le bruit car la sono est puissante et les voix portent mais cela participe sans doute à l’ambiance. Rendez-vous romantique compromis…
Parfait pour déjeuner ou dîner en petit comité, délicieux et léger, tous les jours sauf dimanche et samedi midi.
META – 9, Keong Saïk road – T : 6513 0898 – Mrt Outram Park
LABYRINTH : ENVOL CRÉATIF 100% SINGAPOURIEN, BALADE CULINAIRE INÉDITE ET RÉUSSIE.
Il y a chicken rice et chicken rice…
Sans s’éloigner du plat inscrit dans l’ADN de cette nation, Labyrinth débride la créativité et propose une adaptation fantaisiste aboutie qui lui a valu sa 1ère étoile bien méritée. Il en va de même pour le menu entier : vigoureux coup de jeune dans la monotonie des classiques singapouriens, ou straits cuisine.
Chef Han est un jeune et jovial autodidacte de la cuisine.
Banquier de formation, il a exercé pendant une dizaine d’années sans jamais se départir de son “hobby” passionnel : la cuisine, acquis alors qu’il étudiait en Angleterre. “Par amour du goût, nostalgie du pays et … pour impressionner les demoiselles. Ça marchait très fort!”
Labyrinth porte la promesse du lieu : expérimenter (lab’) et surprendre le convive à chaque plat, avec l’innovation comme pilier fondateur.
Le décor est minimaliste et contemporain. Murs sombres, tableaux pop-art, lumière contenue. Parti-pris moderniste, un tantinet froid…. Pour se concentrer sans doute sur l’essentiel : l’assiette.
Pas de plats à la carte. Menus enchanteurs comprenant amuse-bouche et mignardises. Déjeuner : $48 (4 plats); dîner Classics $88 (4 plats) et Tasting $148 (7 plats). Propositions originales, judicieuses; association vin proposée intéressante et raisonnable.
Ici, la créativité est partout, y compris pour le service de table. Notre amuse-bouche arrive dans une de ces boites-repas traditionnelles rondes et en aluminium, utilisées par les travailleurs sur les chantiers. Délicieux petit Nasi Lemak Chwee Kueh, petit gâteau de riz à la noix de coco, recouvert de piment doux, pour ne citer que le plus amusant.
Bak Chor Mee ou Hokkaido scallop : hot, hot, hot! Mais fabuleusement aromatisée. La Saint Jacques est glacée au vinaigre blanc puis passée sous la torche et repose sur un coussin de pâtes de riz (mee) sauce aux anchois et purée de crevettes aux piments (shrimp paste).
Chicken rice sous forme de dumpling : synthèse minimaliste géniale du concept avec une farce abondante de tout petits morceaux de poulet et d’ail grillés à l’huile de sésame et généreusement accompagnés de coriandre. Goût acidulé et salé. “Diversion” inspirée du grand classique.
Chili crab version chaude (Classics menu) ou glacée (Tasting menu).
Nous préférons la première, devenue le plat signature du restaurant. Décor magique d’un bord de mer dans l’assiette. Tout se mange. Le crabe (à carapace molle, ou soft shell crab) est légèrement poêlé, entouré d’un fumet de crabe émulsionné (l’écume), mousseux et d’une glace sucrée/salée au piment doux! Superbe à déguster comme à admirer.
Succulent risotto aux crevettes royales ou Pencai risotto. Le riz est cuit dans un bouillon de volaille, oyster sauce, Saint Jacques séchées.
On n’échappera pas à la déclinaison maison du Wagyu Beef… Les singapouriens en raffolent. Moon Light For Fun. Le “fun” vient du jaune d’oeuf mollet à casser et mélanger soi-même aux noodles de riz aromatisées à la seiche pour une saveur Umami originale. La viande japonaise est excellente : filet saisi saignant. On adore…
Chef Han aime les préliminaires! Il propose un pré-dessert.
Meringue Teh tarik, variation du surprenant sandwich de glace vendu à tous les coins de rue, dans de petits kiosques ambulants. Ici, la glace est au thé dit Tarik, spécialité du Sud-Est asiatique, thé noir au lait savamment mousseux (la tradition exige de verser tour à tour avec élan et hauteur d’un pot dans l’autre pour obtenir la mousse…) et le “pain” est une meringue au coco, sur petite purée de mangues fraiches : riche, crémeux mais pas écoeurant.
Enfin arrive le dessert phare : variation espiègle du mango sticky rice, ou Wah Lau My Egg… car il s’agit d’une coquille en sucre, en forme d’oeuf. Crème de coco pour signifier le blanc et purée de mangue pour signifier le jaune.
A Singapour, il n’y a pas … grand’chose, mais il y a des idées! Et une émulation créative palpable dans ce restaurant où les serveurs connaissent parfaitement les plats, les aiment et communiquent leur enthousiasme.
Au 1er étage de l’Esplanade, c’est le restaurant idéal pré-concert, mais aussi pour tout le monde, à tout moment, en toute compagnie. Une cure de jouvence par la créativité et le jeu des présentations dans les assiettes.
LABYRINTH – Esplanade Mall #02-23 – Marina Bay Promenade – 8, Raffles Ave – T : 6223 4098
KI SHO : ARTISAN CRÉATEUR DE BEAUTÉ, OU L’ART CULINAIRE JAPONAIS VERSION ARISTOCRATIQUE, DANS UNE SPLENDIDE B&W.
Ki Sho, signifie “l’artisan qui crée la beauté parfaite”.
Chef Hamamoto pourrait surgir tout droit d’un film japonais : physionomie austère peu encline au dialogue, regard perçant plein d’intelligence et de réserve, gestes précis, agiles, maitrisés, vifs et souples : une dextérité choréographique.
Comme tous les chefs japonais sérieux, il vénère l’ingrédient : perfection, excellence, pureté et rareté expriment l’hommage révérencieux porté aux saisons et à la Nature propre à la culture japonaise. Il fait partie de ceux qui font les enchères de nuit à 3h du matin pour obtenir certains poissons rares qu’il servira le jour même…
“La cuisine nourrit l’âme”, affirme Chef Hamamoto, maître du lieu.
Originaire de Kyoto, cité historique et berceau du Kaiseki, forme la plus achevée de l’art culinaire japonais, c’est un puriste formé dans les plus prestigieuses institutions culinaires qui importe de l’eau minérale d’Hokkaido pour la cuisson de certains aliments (zèle écologiquement quelque peu… excessif peut-être?) et a fait de la maturation des aliments une spécialité hautement prisée. Elle agit comme exhausteur du fameux goût Umami, cette 6ème saveur typiquement japonaise, iodée et boisée, unique (en plus des 5 dimensions organoleptiques connues : sucré, salé, amer, acide, astringeant).
À Kyoto d’abord où il excelle dans l’art du Kaiseki : à l’origine, c’est une multitude de petites bouchées servies précédant la céréméonie du thé. Par extension, kaiseki est devenu synonime de haute gastronomie japonaise offrant un assortiment de petits plats, petites portions aux saveurs et parfums subtils et variés, à la présentation ultra-soignée, recherchée, artistique, avec une vaisselle tout autant recherchée et choisie avec délicatesse et… un choix d’ingrédients les plus nobles.
Il veut compléter son savoir-faire et se rend à Tokyo où il apprend l’art du sushi. À Singapour, il valide son expertise avec Tetsuya Wakuda de Waku Ghin.
Il nous reçoit avec ses menus Omakase (le choix du chef) autour d’un intimiste comptoir de bois blond pour 12 convives dans un décor minimaliste Zen de ryokan kyotoite (demeure typiquement japonaise, dont les plus anciennes sont à Kyoto). Calme, sérieux, serein. Zen…
Et là, devant nos yeux, à 50 cm de nos couverts, la magie se déroule. En live. On en oublie parfois de… manger, ou de prendre des photos tellement c’est envoûtant. Techniquement autant qu’esthétiquement.
Les menus Omakase offrent tous une expérience de gastronomie japonaise de haute volée. 2 menus déjeuner Rosan/Oribe $150 et Taihaku $250, 2 menus dîner Aoi $300 et Kai $450. Choix de saké sérieux : le dernier étage de cette charmante B&W sur Scott’s road abrite le bar à Saké Ki sho, réputé.
Présentation des principales saillies gastronomiques :
Hassun : petit coffret en bois, carré, contenant une composition de saison superbement, délicatement et sobrement arrangée et décorée. Au centre, coquille nacrée contenant un dashi léger (bouillon de bonito, qualité supérieure de thon, le “Wagyu” du thon, nous dit-on!), dans lequel se niche une belle crevette impériale coiffée d’oursins d’Hokkaido (uni), oeufs de saumon (Ikura ou Roes en anglais), gelée de vinaigre, petits légumes de saison (pour la texture croquante), zestes de yuzu et une pincée de confettis dorés (comestibles), touche ultime de raffinement. Accompagnement de Tara Shirako (intestins de cabillaud) à la texture crémeuse et au parfum subtil de gingembre (marination préalable).
Plusieurs sashimis dont :
Wara Grass Bonito (thon), amené à maturation pendant 2 semaines (procédé secret du chef) génialement fumé “sous cloche” devant nous à la paille de riz pendant 40 secondes et recouvert au pinceau de Shoyu maison (sauce soja fermentée par le chef)… Magnifique à voir, divin à déguster.
Hirame (limande spéciale), 10 jours de maturation spéciale, recouvert d’une pellicule de sauce aux Saint Jacques et truffes (blanches d’Alba! C’est de saison) et copeaux de truffe grattés devant nous par le chef. La truffe est toujours prisée par les japonais, considérée comme un exhausteur de goût Umami.
Et des sushis roulés devant nous, mélange de 4 riz différents choisis par le chef, racine de wasabi gratée fraichement pour chaque sushi, présentant en vedettes : l’inmanquable otoro (ou toro), partie grasse du thon, comble du raffinement gustatif japonais, le Sawara (maquereau) 2 semaines de maturation, le Wara Grass (sea bream ou dorade) de 3 semaines de maturation, fumé à la paille de riz.
Le plus original et fameux sushi ici est devenu un mets “signature” : Hida Wagyu Beef grillé au chalumeau 30 secondes recouvrant en le bordant bien tout le riz pour l’imprégner parfaitement de son “bon” gras, petit dé d’uni (oeufs d’oursins) et jaune d’oeuf spécialement cuit par marination (secret maison…).
Même le dessert est une ode à l’élégance tout en finesse : arrangement harmonieux de melon vert extra-doux, parfumé et juteux, sorbet de melon, mini macaron (monaka) de thé vert Hojicha, larme de purée de riz collant et dragée de chocolat blanc au thé matcha.
Le cérémonial fait partie de l’expérience. La préparation est un spectacle fascinant. L’ambiance feutrée apaise l’esprit. Et la simplicité apparente d’un bouillon, d’un sashimi ou d’un sushi nous transporte dans un monde à part, extrêmement codé, sophistiqué, exigeant, d’une harmomie esthétique bouleversante de pureté.
Oser le “lachâge” budgétaire” pour un voyage éclair au coeur de la noble gastronomie nipponne.
KI SHO : 29, Scott’s Road – T : 6733 5251 - Mrt : Orchard