Si les Français n’ont pas été associés, autant que les Anglais, à la construction de la cité du lion, certains y ont laissé une trace en donnant leur nom à une rue. Dans cet hommage de Singapour à ceux qui ont participé à son histoire ou à l’Histoire tout court, particulièrement celle de la première guerre mondiale, certains choix font polémique. Le visiteur qui partirait à la recherche de ces rues de Singapour qui portent un nom français devra aussi éviter les faux amis.
Carrefour de la 1ere guerre mondiale
Au cœur de Little India, à l’écart du tumulte de Tekka Market et de Serangoon Road, dans le quartier de Jalan Besar (Grande Rue), un carrefour calme surprend : rue de Verdun, rue des Flandres, avenue Foch, … Lire sur des panneaux signalétiques, si loin des nos campagnes mornes du Nord de la France, des noms évoquant des moments de notre histoire nationale, étonne. Verdun fait face à la Somme, l’illustre Foch regarde en perpendiculaire. Non loin de ce carrefour, la rue Pétain avec ses magnifiques Terrace Houses porte un nom qui surprend et souvent même choque les Français. Certes, on comprend vite que l’hommage est ici rendu historiquement au « héros de Verdun » et non au « chef de l’État français » de Vichy. En effet, ces rues commémoratives prennent leur nom en octobre 1928, rendant hommage aux héros de la Grande Guerre et aux batailles célèbres. A cette époque, l’Administration de Singapour était anglaise. Il s’agissait de glorifier le courage de ses généraux et de ses alliés français. Pourquoi néanmoins cette rue n’a-t-elle pas été débaptisée par les autorités britanniques après la fin de l’Occupation japonaise de Singapour ? Toujours est-il que l’Ambassadeur singapourien Tommy Koh a pris parti publiquement pour un changement de nom de la rue avec un article dans le Straits Times datant de 2012. D’autres démarches auraient été entreprises depuis par des Singapouriens ou par des Français.
Hommage au Tigre
Ailleurs, c’est une longue avenue d’environ 3 km qui est baptisée du nom de Georges Clemenceau. Venu effectuer une visite de 6 jours à Singapour en octobre 1920, libre de tout mandat – il avait quitté le pouvoir en janvier de cette même année, celui que l’on a surnommé le « Tigre » était sans doute destiné à imprégner cette ville. L’avenue traverse Singapour à partir de Newton Circus, Clemenceau Avenue North, jusqu’à la rivière de Singapour. C’est par le Port que Georges Clemenceau découvre Singapour qui lui apparaît comme « une merveille »[1]. Il est accueilli comme un chef d’Etat (qu’il n’est plus), auréolé par la Victoire et son rôle dans la paix. Le représentant des Français de Singapour de l’époque, Monsieur Durnerin, l’accueille ému et précise dans son élogieux discours, qu’il est le précurseur de « l’Entente Cordiale entre les différentes communautés que vous pouvez voir en action ici ». Au delà du rôle d’ordonnateur de paix de Clémenceau, n’est-ce pas aussi ces valeurs de rapprochement des communautés qu’a voulu célébrer le comité municipal de Singapour en nommant ainsi cette si longue avenue ? La première au monde à porter son nom ! Et c’est ici, à Singapour. Cette grande première a d’ailleurs été célébrée en sa présence. Plus tard, un pont prolongera cette avenue.
Gare aux Faux amis
Et parfois, au gré des déambulations, on tombe sur des noms qui prêtent à confusion. French Road rend-elle hommage à la dynamique communauté française de Singapour ? Non, mais plutôt à John FRENCH, vicomte Ypres en Belgique, maréchal de l’armée britannique. Holland Road a-t-elle un lien avec notre ancien Président ? Là aussi, c’est un faux ami. Cette rue rend hommage à l’architecte Hugh Holland, un des premiers résidents de Singapour. Ce nom apparaît pour la première fois dans la topographie de la cité-Etat en 1898 ! Bernard Road, rend elle hommage aux « Bernard » français ? Malheureusement, n’en déplaise aux porteurs de ce sympathique prénom, cette rue fait référence à Francis James Bernard, propriétaire du premier Journal de Singapour, Singapore Chronicle et beau-fils du célèbre gouverneur William Farquhar, dont on peut aujourd’hui admirer la collection botaniste au National Museum.
Parcourir Singapour est, comme dans de nombreuses villes, ouvrir un manuel d’Histoire à l’air libre avec ses personnages illustres, ses faits historiques, ses changements topographiques et ses moments parfois plus sombres. Un nom sur une rue ou sur un bâtiment permet de se souvenir des populations qui ont imprégné le lieu que l’on habite, un passé présent et passionnant à chaque pas qui nous guide.
[1] Voyage décrit dans l’ouvrage de Maxime Pilon et Danièle Weiler, Les Français à Singapour, de 1819 à nos jours, les éditions du Pacifique, 2011