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L’ikebana à l’atelier Reiwa, l’art de prendre son temps

Au cœur de Singapour, dans le rythme effréné de la ville, se trouve un lieu où le temps est suspendu. L’atelier Reiwa, fondé par Sophie Personeni, professeur d’ikebana, invite à la contemplation. Derrière ce mot japonais signifiant « harmonie et beauté », se cache une quête plus profonde : celle du lien intime entre la nature et l’humain.

Sophie Personeni, fondatrice de l'atelier Reiwa à Singapour.Sophie Personeni, fondatrice de l'atelier Reiwa à Singapour.
Sophie Personeni, fondatrice de l'atelier Reiwa à Singapour.
Écrit par Karen Attal
Publié le 6 juin 2025, mis à jour le 20 juin 2025

 

C’est avec une tasse de thé, des mangues séchées et des biscuits que Sophie ouvre les portes de son atelier, vaste espace baigné de lumière et regorgeant de vases et matériaux délicatement sélectionnés. Le rituel est simple mais essentiel : il vient du Japon, où elle a appris à débuter chaque cours d’ikebana de manière conviviale et apaisante. Car créer, c’est d’abord être à l’écoute. « L’ikebana est quelque chose qui se ressent », dit-elle. Un art où le silence est une matière, la sérénité un prérequis, la lenteur une méthodologie.

 

Sophie Personeni, une passion née à Tokyo

Sophie n’est pas fleuriste, elle est artiste dans l’âme. C’est lors de son séjour au Japon en 2011 qu’elle découvre l’ikebana, cet art de l’arrangement floral codifié. Là-bas, l’ikebana est partout : dans les hôtels comme dans le métro ou les toilettes d'autoroute ! C’est pour elle d’abord une curiosité, puis une échappée du quotidien, un rendez-vous hebdomadaire avec elle-même. Et très vite, ce passe-temps devient une révélation. Là où d’autres voient un bouquet, elle perçoit une respiration, un équilibre dans l’asymétrie des lignes.

Formée auprès de maîtres japonais de l’école Sogetsu, l’une des plus renommées au Japon, elle apprend la rigueur du geste, l’importance du vide, l’humilité face à la nature. De certificat en certificat, Sophie gravit les échelons de cet art ancestral jusqu’à pouvoir l’enseigner à son tour. « Il m’a fallu du temps avant de me sentir légitime. Il fallait d’abord que je m’imprègne de la philosophie japonaise, me l’approprie, avant d’y faire ressortir mes propres origines ».

 

créations atelier reiwa singapour

 

Un art pour découvrir son chemin de vie

Hérité des moines bouddhistes, pratiqué ensuite par les samouraïs, l’ikebana a pris toute son ampleur à l’apparition de la cérémonie du thé. L’ikebana n’est ni un art décoratif, ni un loisir féminin, mais un cheminement spirituel. Chaque composition repose sur trois axes symboliques qui forment un triangle invisible et symbolisent le ciel (shin), la dimension divine ou l’aspiration spirituelle, l’homme (soe) sans qui il n’y a pas d’art floral ni de dialogue entre le divin et la matière, et la terre (hikae) où grandit la composition et qui est la base de notre existence.

Minimaliste, l’ikebana s’oppose à la profusion de l’art floral occidental. Le bouquet européen est pensé pour être vu de face, dans toute son abondance. L’ikebana, qui se contemple sous tous les angles, recherche l’équilibre entre les éléments mis en valeur, mais aussi la valorisation de l’espace entre les formes. Même le vide est essentiel car c’est un silence visuel qui nous permet de respirer et de faire vivre la composition. La fleur n'est pas l'élément principal du travail. Elle est là pour apporter de la beauté et de la couleur. On peut aussi composer avec des matériaux moins éphémères (minéraux, branches séchées, tissu) ou surprendre en choisissant une fleur fanée plutôt qu’un jeune bourgeon frais pour accentuer la beauté fragile de la nature.

Sophie insiste sur la dimension spirituelle de cette pratique. L’ikebana est une forme de méditation en action. Dans un monde où les symboles sont souvent trop pesants, l’ikebana brise le carcan et apporte de la fraîcheur. Loin d’être un simple arrangement floral, l’ikebana repose sur le principe de la communion avec la nature, une voie des fleurs qui amène naturellement à s’interroger sur son chemin de vie pour qui accepte de se prêter au jeu. 

 

atelier reiwa à singapour

 

Reiwa : un atelier pour transmettre à Singapour 

Sophie a fondé Atelier Reiwa pour transmettre tout ce que l’ikebana lui a apporté. Son superbe studio créatif, aussi lumineux qu’inspirant, accueille aussi bien des passionnés d’esthétique japonaise que des citadins en quête de sérénité. Les apprentissages s'adressent à tout le monde. Pas besoin d’avoir la main verte, il faut juste apprendre à regarder.

Sophie propose des cours hebdomadaires mêlant structure rigoureuse et liberté créative. Les élèves apprennent à manipuler avec soin et à composer avec l'imperfection. Chaque tige coupée, chaque branche inclinée est le fruit d’une intention. Parallèlement aux cours, des ateliers créatifs ponctuels sont offerts pour les entreprises, les anniversaires etc. L’objectif est de créer un moment d’échange et de partage entre collègues, amis ou entre les membres d’une même famille, par le biais d’une composition à deux, sur le thème de la fleur tropicale par exemple.

Les deux formations ont en commun d’inciter à repenser l’art floral. En observant les matériaux et en réfléchissant en termes de ligne, de masse, de mouvement, d’espace, on est amené à ralentir, créer et vivre un moment pour soi.

 

créations ateliers reiwa

            

« L’ikebana n’a d’autre choix que d’épouser un lieu ou de l’ignorer »

 

Quelques mots sur l’association Sogetsu

Il existe 3.000 écoles différentes d’ikebana. Sogetsu, l’une des plus reconnues, a été créée au Japon en 1927 par Sofu Teshigahara. Très avant-gardiste, celui qu’on appelait le Picasso des fleurs a souhaité étendre son art à l’étranger. « Le monde de l’ikebana n’a pas de frontière » disait-il. L’ikebana doit s’adapter à des intérieurs très divers, pas uniquement les traditionnels tatamis, puisqu’il nous représente. « L’ikebana n’a d’autre choix que d’épouser un lieu ou de l’ignorer ».

Sogetsu Singapour compte environ 200 membres. Chaque année, au mois de septembre, l’association organise un gala caritatif au Shangri-la, en présence de l’ambassadeur du Japon, avec une grande exposition d’ikebana et des démonstrations par un grand maître, suivi d’une semaine d’ateliers et d’une exposition à Takashiyama. C’est l’occasion de découvrir cet art et de se plonger dans l’univers de l’ikebana à Singapour.

 

« Ne créez pas avec votre tête, créez avec votre cœur. »

 

Créer, exposer, émouvoir, soigner

 

Si l’enseignement anime Sophie Personeni, l’exposition est son véritable moteur. Le sourire aux lèvres, elle se souvient de sa première à Tokyo, pleine d’enseignements, à tenter de garder une eau propre dans un vase transparent tout le temps de l’exposition ! Mais aussi de cette commande bouleversante pour le décès d’un entraîneur de football : un ballon transformé en vase et des choix faits dans le respect des codes culturels chinois, pour un ikebana à visée tant esthétique qu’humaine.

 

sophie atelier reiwa

 

Pratiquer l’ikebana, c’est aussi développer sa sensibilité. Apprendre à contempler, à ralentir, à accepter l’imperfection, à faire confiance à son instinct. « Je dis toujours à mes élèves : ne créez pas avec votre tête, créez avec votre cœur ». À Singapour, Sophie observe ses élèves venus de cultures diverses s’approprier les règles pour mieux les transformer. « Quelqu’un m’a dit un jour ‘Tu m’apprends à regarder !’. C’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire »

L’expérience qui consiste à laisser aller sa créativité est unique. C’est un processus émotionnel où l’on accepte de faire confiance à ce que l’on ressent. On écoute ce que les végétaux nous disent et on se déconnecte du monde grâce à la concentration et à la création. L’ikebana a le pouvoir de créer une liberté intérieure aux effets thérapeutiques.

 

Quelle est votre fleur préférée ? « Quand on s’initie à l’ikebana, on apprend à travailler avec toutes les fleurs, mais aussi tous les éléments de la nature, que ce soit des fruits, des légumes, des feuilles, des branches. Je n’ai donc pas vraiment de fleur préférée. Par contre, si je dois donner un élément qui me convient bien, c'est la branche. J'aime la branche parce qu’elle me représente un peu. Elle est droite, structurée, claire. Elle manque un peu de souplesse mais ça me parle. La branche donne l'espace, fait le mouvement, désigne la ligne. Bien sûr, je l'aime accompagnée de fleurs et de couleurs. »

 

Dans un monde saturé de bruit et de vitesse, l’ikebana apparaît comme une parenthèse de lenteur et d’écoute. « Ce n’est pas un art de performance, c’est un art de bien-être. » Et si, comme le dit la devise de Sogetsu, l’ikebana peut être pratiqué par « n’importe qui, n’importe où, n’importe quand », il faut tout de même, pour bien commencer, un peu de thé, quelques fruits séchés… et beaucoup de cœur.

 

Cours d’ikebana à l’Atelier Reiwa, à East Coast (forfait de 8 leçons) : 

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