Marie Kretz Di Meglio est Lauréate du Trophée Social et Humanitaire des Français de l’ASEAN 2025. Une grande fierté pour cette parisienne diplômée de l’Essec qui a fondé Uplifters, une ONG visant à aider ces migrantes à surmonter de multiples défis - vivre dans un environnement loin de la famille, exécuter des tâches, se trouver à la merci d’employeurs qui peuvent en abuser… Lepetitjournal.com la félicite pour ce prix et revient avec elle sur son parcours et sur son ONG.


Marie, qu’est-ce qui vous a amenée à Singapour ?
En fait, c’est mon troisième séjour à Singapour. J’y suis venu pour la première fois dans le cadre de ma scolarité à l’ESSEC à la fin des années 2000 : j’ai alors passé six mois au campus de l’école dans ce pays. Puis, j’ai commencé à travailler en France dans une entreprise de formation en ligne, où je m’occupais notamment de formations dans le domaine de la coiffure et de l’esthétique.
Ensuite, j’ai suivi mon mari, qui travaille dans les assurances, dans ses affectations successives à l’étranger. C’est ainsi que je suis revenue à Singapour en 2014, puis partie à Hong Kong en 2016, puis revenue de nouveau à Singapour en 2022.

Comment vous est venue l’idée d’Uplifters ?
Quand nous avons eu notre premier enfant à Hong Kong en 2016, nous avons fait le choix comme beaucoup de familles d’embaucher une employée de maison philippine car il n’y avait pas réellement de solution de garde alternative. Yvonne a travaillé pour notre famille pendant 9 ans, a déménagé avec nous à Singapour et était comme une seconde maman pour nos trois enfants. Elle est rentrée vivre aux Philippines cette année, nous avons hâte d’aller la voir, elle fait partie de la famille.
Elles sont 308.000 « foreign domestic workers » (FDW) à Singapour, qui contribuent silencieusement, mais de façon cruciale à l’économie de la cité-État, en particulier en s’occupant des tâches de soin à la personne (enfants et personnes âgées) et donc en permettant à plus de personnes, essentiellement des femmes, de travailler.
Elles souffrent de la séparation avec leurs proches et surtout leurs enfants.
Comme beaucoup de Français, j’ai été très peinée de voir les sacrifices auxquels elles devaient consentir et les difficultés auxquelles elles faisaient face. Elles quittent leurs foyers par nécessité financière pour travailler à l'étranger, dans des conditions souvent précaires. Selon l'Organisation Internationale du Travail, elles font partie des migrantes les plus vulnérables. Elles sont loin de leurs familles, vivent au domicile de leurs employeurs et même quand elles sont victimes d’abus, il est difficile pour elles de partir à cause des dettes souvent contractées pour obtenir leur emploi. Elles envoient l’essentiel de leur salaire à leurs familles et se trouvent ainsi dans une situation financière fragile, qui peut les amener à emprunter de l’argent à des usuriers peu scrupuleux et ainsi tomber dans une cercle vicieux d’endettement sans fin ; elles ne connaissent pas les codes, voire le langage, de leur pays d’accueil et ne sachent pas vers qui se tourner quand elles se trouvent en difficulté ; et elles souffrent de la séparation avec leurs proches et surtout leurs enfants, car elles ne retournent dans leur pays d’origine pour certaines que tous les deux ans ou moins et ne peuvent donc pas voir leurs enfants grandir.
Mon employée de maison, Yvonne, avait une licence en finances, mais n’avait pas pu trouver de travail bien payé aux Philippines. La seule différence entre nous deux, c’est que j’avais eu la chance de naître en France et d’avoir eu accès à des opportunités qu’elle n’avait pas eues. Elle n’avait aucune épargne, envoyait tout son salaire à sa famille et était ainsi à la merci du moindre aléa. Cette réalité m’a frappée : si une femme comme Yvonne n’avait rien mis de côté pour son avenir malgré des années à l’étranger, alors combien d'autres devaient être confrontées à des situations similaires ou pires ?

Je me suis alors dit qu’il y avait quelque chose à faire pour améliorer la vie de ces femmes. Lors de mon second séjour à Singapour, j’avais travaillé chez Aidha, organisation à but non lucratif qui offre des formations en présentiel aux employées de maison étrangères. J’étais responsable d’un campus qui accueillait 700 nouvelles élèves chaque année, ce qui comprenait la gestion des équipes et des équipements du campus, l’organisation des activités…
À travers mes échanges avec Yvonne, j’ai eu un déclic.
À travers mes échanges avec Yvonne, j’ai eu un déclic, il était possible d’être complémentaire d’organisations comme Aidha en offrant des formations en ligne, et gratuites, donc accessibles au plus grand nombre. En effet, une formation en présentiel suppose une certaine disponibilité de leur part : or, beaucoup d’entre elles ne peuvent quitter que très rarement le domicile de leurs employeurs. D’autre part, toutes les employées de maison n’ont pas la chance que leurs employeurs subventionnent leurs formations.
C’est pour pallier ces deux problèmes que j’ai fondé Uplifters en 2018 à Hong Kong, où j’ai vu que les employées de maison étrangères y étaient exposées aux mêmes difficultés. En 2024, j’ai ouvert une antenne à Singapour.

Qu’est-ce qui caractérise Uplifters ?
Tout d’abord, Uplifters offre des formations en ligne, ce qui contourne le problème de la disponibilité des personnes. Les modules de formation peuvent être activés à n’importe quel moment sur mobile, via les réseaux sociaux. Mon début de carrière en France m’avait évidemment préparée à ce type de service. Mais Uplifters offre aussi la possibilité d’échanges avec d’autres étudiantes, ce qui crée un esprit de communauté, des liens d’amitié et des partages d’expériences, propres à augmenter l’impact des formations et à briser le cercle de solitude dans lequel beaucoup se trouvent.
Ensuite, grâce à des donations, les formations sont gratuites, à la condition que les étudiantes suivent d’abord le module « Dare to dream », qui couvre la gestion de l’argent, le développement personnel et bien-être mental. En effet, un des principaux pièges qui guettent ces employées de maison étrangères est l’absence d’épargne locale, qui les amène à recourir à des usuriers en cas de besoins urgents, et ainsi tomber dans un puits sans fond où elles doivent demander un prêt pour en rembourser un autre. Elles ont aussi du mal à refuser des demandes de leurs enfants, vis-à-vis desquelles elles se sentent coupables, et ainsi se mettent en difficulté financière. En fin de compte, beaucoup doivent revenir dans leurs pays dans une situation pire que celle qu’elles avaient quand elles l’avaient quitté, en contradiction avec le but même de leur migration. Mais il y a aussi des formations pour les aider dans leur rôle d’employée de maison, dont une formation pour s’occuper des enfants. Nous avons aussi des formations pour les employeurs, pour les aider à avoir une relation de travail positive avec leur employée de maison et leur donner les outils pour la former si besoin.
Enfin, un module « peer coaching » permet aux anciennes étudiantes, de participer à la conception des programmes et à la formation des nouvelles. En effet, rien de tel que l’expérience de personnes ayant traversé les mêmes chemins pour trouver la bonne manière de faire passer les messages.
Uplifters est ainsi une ONG pour les employées de maison et par les employées de maison.
Uplifters est ainsi une ONG pour les employées de maison et par les employées de maison. Elle a contribué à bâtir une communauté solidaire et autosuffisante pour des femmes qui ont des parcours de vie difficiles. Plus de 10.000 femmes ont bénéficié de nos formations et nous avons plus de 50% de réussite sur nos programmes longs comme Dare to Dream (25 heures de formation sur 3 semaines). Plus de 50 femmes ont donné de leur temps pour soutenir leurs pairs. Plus de 80% des femmes qui ont bénéficié d'Uplifters déclarent que cela a eu un impact majeur dans leur vie.

Quelles sont vos activités au-delà d'Uplifters ?
Ma vie quotidienne est bien remplie entre Uplifters, qui est mon travail à temps plein, et mes trois jeunes enfants. À titre personnel, je fais une semaine de randonnée avec une amie par an pour un vrai reset mental et physique.
J’aime aussi beaucoup courir, je me prépare en ce moment à courir mon premier marathon pour Uplifters en janvier à Hong Kong. Nous avons eu 30 dossards pour Uplifters, pour lever des fonds et accroître la visibilité de l’importance des domestic workers dans nos sociétés. Nous sommes 3 membres du staff à courir et 9 élèves, domestic workers, font également partie de l’équipe Uplifters. C’est un gros défi pour nous toutes. Vous pouvez suivre ma campagne de fundraising ici, tout soutien même de quelques dollars est le bienvenu, toutes les donations iront au financement de nos formations en ligne gratuites.

Et les 3 finalistes du Trophée ASEAN Social et Humanitaire 2025 sont…
En décembre 2025, vous avez reçu le Prix Social et Humanitaire lors de la cérémonie des Trophées des Français de l’ASEAN 2025. Qu’est-ce qu’une telle récompense représente pour vous ?
Cela me touche profondément, car cette reconnaissance est avant tout celle des femmes que nous accompagnons. Le travail domestique est un travail essentiel, mais trop souvent dévalorisé — qu’il soit réalisé par des mères dans leur propre foyer ou confié à des nounous, des aides à domicile, des femmes de ménage. Récemment, une de nos élèves m’a confié : « Ici, nous sommes des nobody, nous n’existons pas. Mais grâce à Uplifters, nous pouvons changer cela. Nous pouvons réaliser nos rêves. »
Cette phrase ne me quitte pas.
J’ai démarré Uplifters, mais je le construis avec elles. Nous sommes une organisation menée pour et par la communauté que nous servons. Notre impact est le leur. Alors ce trophée, je suis fière de le recevoir pour elles — parce qu’il dit une chose essentielle : elles comptent, leur travail compte, et elles méritent toute cette reconnaissance.
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