Anne Severyns expose ses ?uvres à partir du 9 décembre chez Originals. Des ?uvres fortes, minérales, surgies comme une fusion de couleurs, de transparence et de matière. De sa formation dans le graphisme, Anne Severyns a gardé une exigence des formes et des lignes. Elle vit sa recherche du beau comme une urgence, en immersion complète dans la peinture.
Sur le site qu'elle consacre à son travail, Anne Severyns cite en introduction à sa démarche une phrase de Francis Bacon : « La peinture est pour moi comme un accident. Je la conçois mais je n'arrive presque jamais à ce que j'avais prévu. Elle se transforme elle-même. En fait, je sais rarement ce que sera la toile et beaucoup de choses se produisent par accident parce que cela devient un procédé de savoir quel élément de l'accident je vais choisir de préserver ». Une clé pour déchiffrer l'intention derrière l'?uvre d'Anne Severyns ?
Comment décririez-vous votre rapport à la peinture ?
Anne Severyns - J'ai commencé par faire des études dans le domaine du graphisme et de la publicité. Nous sommes partis à l'étranger il y a 28 ans en Asie. D'abord à Singapour, puis en Thailande, en Indonésie et à Hong-Kong. Nous sommes revenus à Singapour il y a 16-17 ans. Pendant toutes ses années, nous avons beaucoup voyagé. L'art m'a chaque fois permis d'être indépendante.
Pour moi la peinture n'est pas un passe-temps. A un moment de mon parcours, les circonstances ont fait que je me suis mise à donner des cours et à produire pour gagner ma vie. Cette exigence pratique m'a conduit à m'immerger complètement dans la peinture. Quand je peins, je suis dans un état d'urgence. C'est parfois suffoquant. Je vis, je pense couleur. Je suis en permanence à la recherche du beau. J'ai l'obsession du beau.
De quel type de beau s'agit-il ?
- Mon beau à moi n'est pas agressif. Je suis très opposée à l'agression par la peinture. Regarder un tableau, c'est apprendre quelque chose de quelqu'un qui rassure, qui offre de la couleur, de la tendresse, du rêve. J'aime la gentillesse, il ne faut pas qu'un tableau crie. C'est un rapport très humain.
A mes élèves, je fais comprendre à quel point la vie serait triste sans art. Apprendre à peindre c'est apprendre à devenir quelqu'un qui aime l'art. J'essaye de montrer aux enfants que notre être profond a ce besoin vital d'art. La peinture, c'est comme une promenade dans la ville. Il y a des rues par lesquelles vous passez qui vous obligent à faire un détour mais que vous empruntez parce qu'elles sont jolies.
Comment construisez-vous ce beau ?
- Il y a des règles, ? comme celle du triangle. Dans mes tableaux, il y a toujours des lignes, une alternance entre les zones de lumière et d'ombre, qui forment un triangle. C'est cette construction qui oriente l'?il vers les points dominants. Sinon on ne sait pas où donner de la tête. J'ai retenu de ma formation de graphiste que les lignes et les formes sont faites pour être oubliées.
Ces règles valent-elles aussi bien pour l'art abstrait que pour l'art figuratif ?
- Pour faire de l'art abstrait, il faut commencer par faire beaucoup de figuratif. Sinon c'est impossible de parvenir à construire un tableau abstrait. Pour moi, l'abstraction emporte une part de douceur, de rêve. Le figuratif m'intéresse par la rigueur de ses formes mais fait de moins en moins partie de mon travail.
Je suis en permanence en recherche de la couleur, de la nuance. Dans ce qu'on croit être des taches, un peu floues, il faut qu'il y ait de la matière, de la profondeur pour que la peinture ait de la force. En ce moment, je peins avec des pigments naturels. J'aime beaucoup ce contact avec la matière. C'est important de garder le cap. Parfois je m'impatiente parce que le tableau ne fonctionne pas . C'est très dangereux, ça ne vous laisse pas tranquille, vous souffrez.
Quand savez-vous qu'un tableau est terminé ?
- Je peins un tableau à la fois. Je ne veux pas m'éparpiller. Quand le tableau est fini, je lui tourne autour. Je continue jusqu'à ce que j'aie la conviction qu'il ne lui manque plus rien. Parfois je retrouve des tableaux que j'ai réalisés il y a plusieurs années. Mais je m'interdis d'y toucher.
Il faut que le tableau dure. Quand on achète un tableau et qu'on le ramène chez soi, il ne faut pas qu'on s'en lasse. Un tableau c'est une histoire d'amour avec un acheteur.
Comment percevez-vous le regard des autres sur votre ?uvre ?
- C'est très stressant. Idéalement, quand je fais une exposition , j'aimerais m'en aller. Ne pas être là. Cependant, il faut reconnaître que c'est moins stressant en Asie où les gens communiquent moins, qu'à New York ou en Europe par exemple, où il faut tout expliquer.
Les gens qui regardent un tableau abstrait ont souvent besoin d'un titre pour leur donner une direction. Ensuite, j'estime que c'est à eux d'en faire ce qu'ils veulent. Ma démarche est « Je vous offre un tableau qui s'appelle comme cela. Votre imagination peut en faire ce qu'elle veut ».
Quelle influence le fait de vivre à Singapour a-t-il eu sur votre travail ?
- J'ai vécu une grande histoire d'amour avec Singapour. Mon deuxième enfant est né ici. Singapour c'est ma vie. Je ne sais pas si je pourrais peindre ailleurs. Il y a la lumière, une certaine quiétude. Singapour est aussi très sensible à l'esthétique. La ville est construite autour de la nature.
Travailler à Singapour est une chance parce que les gens achètent. Je constate que les Singapouriens s'intéressent de plus en plus à la peinture. En Europe, c'est plus compliqué parce que les gens vont mal. Mais les Singapouriens doivent faire attention à ne pas se perdre de vue, garder leur cap et laisser leur sensibilité s'exprimer.
Propos recueillis par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) vendredi 5 décembre 2014
Exposition Minerals ( illustration), à partir du 9 décembre, chez Originals, 896 Dunearn Road, #02-03, Sime Darby Centre (above TOTTS), Singapore 589472
Site d'Anne Severyns