Rencontre avec Florence Régnier, tisserande, artisan, artiste-créatrice, inventrice et femme habitée par une envoûtante ?préscience?: Florence fabrique un tissu exclusif issu d'un procédé unique qu'elle a breveté et qui s'est révélé à elle dans un rêve? Sa marque Azajil représente ses créations textiles Nephilart®.
Comment définissez-vous votre activité ?
Florence Régnier: Je crée des produits textiles, simultanément des tissus et des pièces d'habillement, d'ameublement ou de décoration intérieure. Je compose le tissu en même temps que je forme et fabrique une pièce textile: vêtement (veste, étole?), jeté de lit, abat-jour, tableau? La pièce textile obtenue est ajourée; c'est très important pour moi de laisser circuler la lumière symboliquement et réellement par les ajours du tissu. Elle est aussi très légère, fluide, aérienne et sensuelle? et, détail pratique: totalement réversible et lavable en machine. Enfin, chaque article est unique.
Du fil et un métier à tisser ?
- Non! C'est ce qui est propre et unique à mon procédé: il n y a pas de métier à tisser, pas de machine? Tout est fait à la main. C'est long et minutieux. Tout se passe entre la bobine, mes doigts et le jaillissement de l'instant qui relève du spontané après une émotion, une vision, un ressenti. Le procédé m'offre une grande liberté de création car il n'est soumis à aucune contrainte technique.
L'utilisation de chaque création est sans limite : horizontale, verticale, de biais, de trois-quarts, réversible? Et il n'y a aucune perte de matière première. Pas de déchet, zéro gaspillage : toute chute de fil est toujours intégralement utilisée. Je me sens particulièrement concernée par le devenir de la planète. C'est ma contribution de citoyenne du monde éco-responsable.
Ce fil, c'est tout un symbole pour vous ?
- Néphilart® exprime l'essence de ce qui me porte dans mes créations : La Néphile est une araignée qui tisse le fil le plus long du monde, l?un des plus solides. L'art de Néphile ou ? art né du fil! La genèse du fil, c'est le point, la cellule puis comme dans toute création vient l'axe ou la ligne qui relie deux points, puis de multiples points, telle une aire de connexion multidirectionnelle, l'aire/ère de mes rêves d'une humanité plus ouverte, plus tolérante à l'autre, à la différence? C'est la naissance du fil, le point de départ de la Vie, de la Création?
Racontez-nous la genèse de cette passion pour le fil et la matière textile.
- Fille d'enseignants, née au Maroc, mon univers est constellé de lumière, de couleurs, d'odeurs et? d'échanges quotidiens avec la communauté locale. A 4 ans, en vacances en France, je suis fascinée par le travail au crochet d'une femme agée. Je demande à apprendre. Une marotte infantile, pensèrent mes parents? Mais je me souviens encore de l'émotion que j'éprouvais en admirant la chevelure blanche immaculée qui faisait ressortir le regard profond de ses yeux bleus azur. J'avais alors instinctivement compris que la lumière et la beauté étaient essentielles à mon harmonie. Je trouvais magique de pouvoir transformer un morceau de fil quelconque et sans vie en un bout de tissu qui glissait de ses mains comme une cascade et qui avait une fonction, une forme, une texture et beaucoup d'allure!
Depuis, c'est ce qui guide mon travail: la transformation de la matière brute, naturelle, que ce soit le métal, la papier, la terre, la teinture, le fil pour laisser la lumière couler?
Du fil au crochet puis au tissage: quelles furent les passerelles ?
- J'avais 9 ans. Dans un village de l'Atlas au Maroc, en voyage. L'artisanat local présentait de nombreux travaux de tissages, sur des métiers à tisser. J'ai exigé d'apprendre! Une pulsion. Mes parents, bien qu'effrayés par cette impérieuse exigence, inhabituelle pour une petite fille de cet âge, m'ont trouvé un cours de tapisserie (travail du fil en volume) auprès d'une artiste. Passionnée, j'ai appris vite. Très vite. Tellement vite que mes ?oeuvres? furent exposées par décision collégiale. Je pense que le fondement de ma passion du fil et de la matière textile était alors posé, mais je ne le savais pas encore.
De l'apprentissage de la tapisserie au Maroc à Néphilart®, il y a eu plusieurs étapes importantes ?
- Oui, bien sûr. Mais il y a surtout eu un fil conducteur. Nomade, française d'ailleurs pendant plus de la moitié de ma vie, je me nourris de la beauté de ce qui m'entoure au quotidien et lors de mes nombreux voyages: coups de coeur de paysages, formes, objets, individus? dont la lumière intérieure est d'autant plus puissante que leurs émotions sont justes et sincères.
Nomade géographique, mais ancrée dans la lumière et dans la perception de l'essence de l'autre, je me suis naturellement tournée vers l'enseignement et l'art! L'enseignement, pour partager, donner, transmettre de mon humanité aux autres; l'art pour sublimer ce partage et exalter ce qu'il y a de meilleur en chacun: ses émotions! J'ai été professeur des écoles m'appuyant sur l'art comme canal de transmission du savoir, puis professeur particulier d'arts plastiques.
Enfin, j'ai eu la chance d'épouser un homme qui a supporté, encouragé et facilité mon parcours académique, dirais-je, en matière d'art: Manufacture des Gobelins, Ecole Boulle, le Centre des Textiles contemporain de Montréal ...
Est-ce à Montréal que vous avez conçu votre procédé de fabrication ?
- Non. Juste après Montréal. Je vivais aux Emirats Arabes Unis. J'étais à mon métier à tisser; j'avais un cône d'échantillonage unique d'une texture d'un champ de fleurs d'été d'un superbe camaieu de rose orangé. Hélas, que faire avec un seul cône? J'étais frustrée. Soudainement, je me suis sentie reconnectée à ma jeunesse militante lorsque je suis partie au Chili soutenir le processus démocratique. J'avais 20 ans. J'avais rencontré une femme admirable qui gagnait 2 dollars par jour pour nourrir seule ses 15 enfants? et qui m'accueillait les bras ouverts, essayant de trouver des solutions de fortune afin de gagner un peu de temps d'électricité gratuite, fabriquer des petits objets utiles à vendre ... Et je suis devenue à vie, allergique au gaspillage. Une marque indélébile.
Saine phobie du gaspillage ! En refusant de perdre ce bout de fil isolé rose orangé, qu'avez-vous obtenu ?
- Ce fut un appel irrépressible à créer entre peinture, matière et tissu. Quelques jours plus tard, j'ai fait un rêve, entre mer et désert. Il y avait beaucoup de lumière et de chaleur aussi. Je voyais des tissus ajourés et légers? laissant deviner, sans compètement dévoiler, pour mieux révéler l'essence d'un être ou d'un espace. J'ai vu ensuite distinctement dans mon rêve un petit haut féminin dans ce camaieu et la technique totalement innovante pour le créer.
Du rêve à la réalité, il y a souvent un monde. Pour vous, le rêve fut l'amorce de la réalité, n'est-ce pas ?
- Oui, absolument! On a du mal à me croire, mais c'est exactement ce qui s'est passé: le procédé m'a été révélé dans mon rêve: il s'est imposé à moi. Le lendemain, au réveil, je l'ai immédiatement essayé et?. cela marchait parfaitement, naturellement. Une évidence?
Qu'avez-vous fait avec ce procédé révolutionnaire ?
- Révolutionnaire, ... et secret ! Mes proches m'ont encouragée à faire des recherches à L'I.N.P.I. à Paris: rien de similaire n'existait alors. Au milieu des années 2000, je l'ai fait breveter au niveau mondial. Je ne peux vous en dire plus car c'est la valeur de mon brevet.
Concrètement, quel objet textile pouvez-vous créer ?
- Un gilet, une jupe, un débardeur, une robe de mariée, un jeté de lit ou de canapé, une étole, un abat-jour, une création murale, ? tout ce qui vous chante, sur mesure, avec les fils de votre choix.
Qui sont vos clients?
- Les particuliers, les collectionneurs d'oeuvres d'art et les entreprises, hôtels, collectivités souhaitant personnaliser leur style et leur espace avec une création unique et originale.
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Azajil par Florence Régnier, artiste-créatrice, tisserande, plasticienne, designer. azajil.nephilart@gmail.com
- Où trouver Florence Régnier à Singapour?
Florence n'a pas de lieu de vente, elle se déplace chez ses clients pour donner des conseils de design intérieur, d'agencement de styles, d'associations de couleurs..
- Les prix varient selon le nombre d'heures de travail (40 à 60 heures pour une belle étole en soie, multicolore), la qualité et la quantité de fil (fil de haute couture exclusivement). exemples 100 euros pour une colerette-bijou, 200 euros pour un petit débardeur court (crop top), 400 euros pour un cache-coeur en soie, Etoles en soie pure à partir de 520 euros.