Jusqu’au 16 novembre 2025, le Singapore Art Museum présente « How to Dream Worlds », la seconde édition de cette plateforme biennale destinée à encourager de nouvelles formes de l’art singapourien. Six artistes y présentent chacun une installation originale dans sa forme, évoquant des thèmes à la fois personnels et spécifiques au monde singapourien.


SAM contemporaries est une initiative du SAM visant à permettre à de nouveaux artistes d’approfondir leur recherche artistique et de développer de nouvelles œuvres à travers un dialogue continu avec les conservateurs du musée. Pour cette seconde édition, le SAM a commandé des œuvres à six jeunes artistes en laissant libre cours à leur créativité. Cela a débouché sur six installations associant diverses techniques et amenant à des réflexions profondes sur des sujets d’actualité tenant les artistes à cœur. Le titre de l’exposition, « How to Dream Worlds », évoque une certaine évasion ou relecture de la réalité, qu’il s’agisse du présent, du futur ou du passé.
Les mauvaises herbes, symbole de la résistance à l’ordre établi
L’installation comprend trois massifs de lalang, cette mauvaise herbe très répandue à Singapour. On a beau l’arracher, elle revient toujours, envahissant jardins, parcs et bords de route, au grand dam des jardiniers et des gardiens de l’ordre dans ce Singapour si policé. Ces herbes, que l’artiste, Lee Pheng Guan, a ramassées dans son quartier, puis enserrées dans des cadres métalliques, représentent nos rêves souvent contrariés par la pression sociale, mais toujours prêts à s’épanouir à la moindre occasion. Au-dessus des trois massifs, il y a une lampe qui s’allume périodiquement montrant des fleurs de lalang volant dans un doux ronronnement. Ce son et lumière sont complétés par l’odeur de paille émanant des herbes sèches. Pour la petite histoire, Lalang est aussi le nom d’une opération montée par la police malaisienne en 1987 pour mettre fin à une contestation menée par des activistes, étudiants, ONG, politiciens, artistes contre la politique du gouvernement d’alors.

La cuisine comme instrument de diplomatie et d’harmonie sociale
Au centre d’une table de conférence, une réduction de celle des grandes rencontres diplomatiques, voire du Conseil de sécurité de l’ONU, émergent des plants de riz mûrs. Le riz est l’aliment de base de la plupart des pays d’Asie et le riz frit (fried rice en anglais, chǎo fàn en chinois, ou nasi goreng en malais) est un des plats les plus communs dans la région. Mais il en existe autant de recettes que de pays, de communautés, voire de familles. Pour illustrer cela, l’artiste, Chu Hao Pei, a enregistré 4 vidéos, visibles sur les écrans de la table, où des ménagères de diverses origines échangent sur leurs recettes respectives, leurs conversations finissant par diverger sur des sujets sociaux plus délicats. Malgré nos différences, notre fond commun devrait toujours nous permettre de cohabiter pacifiquement et le repas devrait être un moment de communion. L’installation comporte aussi des brochures de recettes de nasi goreng, auxquelles vous pouvez ajouter la vôtre, et elle est surmontée d’un dais constitué de plusieurs dizaines d’emballages de riz de divers pays et de diverses marques.

Le rappel permanent des souvenirs désagréables de l’enfance
Pénétrer dans cette pièce donne immédiatement une sensation de malaise. Cela ressemble à une chambre traditionnelle confortable, mais plusieurs choses choquent et lui donnent un aspect cauchemardesque : la lumière rouge envoûtante qui inonde la pièce comme dans une chambre noire ; le lit qui n’a pas de matelas comme dans une maison abandonnée depuis longtemps ; ces portraits fantomatiques qui décorent la pièce. Mais surtout, il y a ces formes sombres qui courent un peu partout comme des serpents. À moins que ce soient des racines, comme celles qui envahissent les ruines anciennes dans les régions équatoriales. L’artiste, Masuri Mazlan, a voulu montrer que le foyer familial n’est pas toujours le havre de paix et de bonheur qu’il devrait être et que les mauvais souvenirs de l’enfance laissent des cicatrices permanentes et reviennent toujours vous hanter.

Les montagnes artificielles de Singapour
Comment faire de l’alpinisme dans un pays où le point culminant naturel est de 164 m ? En montant dans les immeubles, qui dominent la ville de plus haut. C’est ce à quoi nous invite l’artiste, Syahrui Anuar, à travers une installation essentiellement vidéographique qui montre des vues de Singapour depuis les passerelles d’observation qui surmontent certains immeubles. Mais c’est aussi l’occasion de réfléchir sur l’évolution rapide du paysage qui détruit progressivement les lieux qui ont marqué notre passé pour les laisser à l’état de souvenirs, qui eux-mêmes se brouillent avec le temps.

Les détournements de l’archéologie
L’archéologie devrait être une science nous permettant de mieux comprendre nos origines. Hélas, elle est souvent un alibi pour reconstruire un passé en accord avec les idées de ceux qui l’exploitent. C’est ce qu’a voulu montrer l’artiste, NEO_ARTEFACT, à travers cette installation visuelle comprenant de très nombreux éléments. L’installation évoque un site de fouille archéologique, avec les outils du parfait archéologue jonchant un bac à sable et un campement tout autour. Mais n’est-ce pas le chapeau d’Indiana Jones qui pend à ce portemanteau et le collier de Lara Croft qui gît sur cette table ? Les références à de nombreux films de science-fiction abondent au point de se demander si on est toujours dans le domaine de l’archéologie. D’une manière plus générale, cette installation renvoie au sujet des fake news et de la réécriture de l’histoire : quelle est la frontière entre la réalité et la fiction ? La présence d’une caméra et d’un clap de cinéma ajoute à la confusion.

Vers un monde de moins en moins compréhensible
C’est sans doute l’installation la plus ésotérique des six. Des formes pendent du plafond comme des carcasses dans un abattoir. Une pellicule de silicone et de nylon enveloppe des squelettes faits de composants électroniques. Certaines de ces formes sont animées comme des corps humains et des vidéos complètent l’installation. L’artiste, Chok Si Xuan, cherche à communiquer divers messages : l’invasion de notre monde par une technologie qui finit par modifier nos comportements ; la difficulté de comprendre ce monde de plus en plus complexe ; l’analogie entre la technologie du silicone, l’électronique, (d’où le titre de l’installation) et nos propres corps, dont le mode de fonctionnement est tout aussi difficile à comprendre.

Il y aurait bien d’autres choses à dire sur ces six installations : chacun pourra y voir des choses différentes, mais nul ne pourra y être indifférent. L’exposition est ouverte jusqu’au 16 novembre 2025 au Singapore Art Museum, le musée d’art moderne de Singapour, tous les jours de 10h à 19h. Vous pouvez aussi vous inscrire à des sessions qui vous permettront d’approfondir tout ou partie de l’exposition :
- Le samedi 11 octobre de 15h à 16h, une lecture de poésies illustrera l’installation de Masuri Mazlan ;
- Le samedi 8 novembre de 16h à 17h30, Syahrui Anuar vous invite à une promenade autour de Tanjong Pagar pour voir comment le paysage de Singapour a changé au fil du temps ;
- Le samedi 15 novembre de 15h à 16h, le coordinateur de l’exposition vous en fera faire le tour en la commentant.

Profitez de votre passage au SAM pour faire un tour à la Learning Gallery récemment rénovée. Destinée tout aussi bien aux enfants qu’aux adultes, elle est une introduction à l’art sous toutes ses formes.
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