Comment fait-on lorsqu'on a porté en soi le rêve de devenir artiste et que l'enchainement des premières expériences a fait de vous une directrice du marketing dans une multinationale ? L'une des réponses que pourrait donner Nathalie Ribette, fondatrice en 2006 de la compagnie Sing'theatre, pourrait être : « on vient à Singapour », comme elle l'a fait il y a 20 ans. Mais la réponse serait un peu courte tant le parcours de l'intéressée montre que la chance est venue à celle qui a travaillé d'arrache-pied pour en favoriser l'occurrence, construisant son projet avec détermination et générosité, digérant les échecs et les succès, se remettant en cause à chaque étape pour repousser un peu plus loin les limites de ce qu'elle veut réaliser.
La scène se passe à Singapour, un samedi à Raffles city. Une chanteuse à la voix puissante interprète If you go away de Jacques Brel devant un public médusé qui découvre l'artiste francophone dans une version anglaise revisitée par un autre chanteur et poète, Mort Shuman, dans les années 70. Sur le visage des passants, se superpose en noir et blanc celui de Jacques Brel, dont ils ont fait un masque avec lequel ils s'amusent, réinventant, en jouant, les mille personnages ? le rebelle, le révolutionnaire, le romantique ?- auxquels les textes du chanteur-poète belge n'ont cessé, depuis plus de 50 ans, d'insuffler le même indémodable souffle de vie.
L'initiative est signée Sing'theatre. Associée à un concours de photo lancé sur Facebook où les gens sont invités à envoyer des selfies révélant leur Jacques Brel intime, la démarche s'inscrit dans une campagne de communication qui relève de la persuasion c?ur à c?ur, pour promouvoir le dernier spectacle de la compagnie. Le spectacle en question ? un petit bijou signé Georges Chan, qui commence par un si pieux mensonge : Jacques Brel is alive and well, living in Paris, qu'on aurait mauvaise grâce à ne pas aller vérifier sur place, un soir de spectacle, du 26 mai au 4 juin, s'il n'y aurait pas là une part de vérité.
L'inventivité de la campagne est à l'image du chemin parcouru par la compagnie Sing'theatre et par sa fondatrice Nathalie Ribette depuis qu'en 1998, elle a eu l'opportunité de rejoindre la troupe d'amateurs qui montait Starmania à Singapour. Depuis, Nathalie Ribette s'est tour à tour réinventée artiste, puis metteur en scène, productrice et enfin directrice de la compagnie de théâtre, Sing'theatre. Depuis 2006, Sing'theatre s'est imposée comme un acteur incontournable de la scène culturelle singapourienne par l'excellence de ses spectacles.
Quand la chance de devenir une artiste frappe à sa porte, Nathalie Ribette, ex-Directrice du Marketing direct chez Siemens, devenue entrepreneuse quand elle s'est installée à Singapour pour y accompagner son mari, ne peut se targuer d'aucune formation artistique particulière. Certes, elle a fait beaucoup de danse et s'est rêvée en danseuse étoile, dans le lac des cygnes. Elle a fait du chant choral, joue 3-4 accords à la guitare... Il faut du cran dans de telles circonstances pour saisir l'opportunité qu'un autre parieur, un metteur en scène qui croit en vous malgré votre inexpérience, vous offre de monter sur scène. Du cran, Nathalie Ribette n'en manque pas, quitte à « mourir de trouille à chaque fois que je montais sur scène » comme elle en fait la confidence 18 ans plus tard. Elle est immédiatement séduite par l'esprit d'équipe et par « le bonheur de transmettre de l'émotion à un public », sa carrière artistique est lancée.
Notre Dame de Paris
Après le succès de Starmania, Nathalie Ribette rejoint une troupe de danseurs, puis Stage Club. « Cela fait partie, se souvient-elle, de mes plus belles années. Je réalisais mon rêve d'enfant. Lorsque j'ai touché mon premier cachet de danseuse. Je me suis dit Ouah ! C'était vraiment un rêve d'enfant devenu réalité ». Arrive 2002, Nathalie Ribette quitte le confort du stage club, pour s'attaquer à un monument : Notre Dame de Paris. « c'était de la complète inconscience, avoue-t-elle. D'un seul coup, je m'improvisais à la fois producteur et metteur en scène. C'était de la folie. A l'époque j'avais 2 projets : celui d'avoir un 3ème enfant et la production de Notre Dame de Paris. A partir du moment où je suis tombée enceinte je me suis sentie portée. Ce projet était vraiment la démonstration qu'à Singapour tout est possible. J'ai réussi à convaincre les sponsors avec une facilité étonnante. L'un deux m'a confié par la suite que c'était de la folie que de faire confiance à quelqu'un comme moi qui n'avait aucune expérience, mais qu'il avait eu l'intuition qu'il pouvait le faire, et qu'il ne l'avait jamais regretté ».
Le spectacle Notre Dame de Paris, monté à l'Alliance Française, est un succès. Il donne à sa productrice l'envie d'aller plus loin et de se donner les moyens de devenir une artiste professionnelle. Elle est embauchée par la compagnie Wild Rice où elle travaille avec Selena Tan, aujourd'hui directrice de Dream academy. « Il s'agissait, raconte-t-elle, de remplacer une fille qui jouait le rôle d'une norvégienne. Mais il y avait un problème : si j'avais un très bel accent français, j'étais incapable de prendre l'accent norvégien. Le metteur en scène a accepté de transformer le script pour que la norvégienne devienne une routarde française. Cela m'a fait réaliser qu'on pouvait avoir un impact. Jusques là on me disait que c'était de la folie, compte tenu de mon profil très français, que de vouloir faire carrière dans le théâtre à Singapour, car je ne trouverais jamais de rôle me correspondant. Cette expérience démontrait le contraire à savoir que les rôles pouvaient être adaptés pour intégrer ce que je pouvais apporter ».
No regrets, a tribute to Piaf
En 2003 Selena Tan lui suggère de monter un spectacle sur Edith Piaf. Nathalie Ribette se dit : « pourquoi pas ? ». « Un an après (en 2004), je montais le spectacle à l'Alliance Française avec des artistes exceptionnels comme Hossan Leong et Emma Yong. On m'a fait une confiance incroyable, peut-être simplement parce que j'étais française, ce qui avait valeur de passeport culturel ».
No regrets, a tribute to Piaf est un succès. Mais il a failli ne pas rencontrer son public. « Le problème, raconte Nathalie Ribette, est que Piaf n'intéressait a priori personne. Ni les Singapouriens qui ne la connaissaient pas, ni les Français qui ne voyaient pas l'intérêt d'écouter des Singapouriens interpréter en anglais les ?uvres de la chanteuse française. Le 1er jour du spectacle a été une énorme déception car il n'y avait personne dans la salle. La Directrice de l'Alliance Française a alors pris une décision. Elle a fait venir au spectacle tous les élèves des classes de français. Ensuite, le bouche à oreille a fonctionné et le spectacle s'est transformé en immense succès. C'est Tommy Koh (ex Ambassadeur de Singapour à l'ONU) qui s'est levé à la fin du spectacle et qui a entrainé l'ensemble du public dans une standing ovation qui, des années après, me donne encore la chair de poule ».
"Je ne pourrai jamais faire aussi bien"
Le succès du spectacle A tribute to Piaf aurait dû donner des ailes à celle qui l'avait produit et mis en scène. Pourtant c'est l'inverse qui se produit. « Ce succès m'a fait peur. Je me suis dit que je ne pourrais jamais faire aussi bien que ça ; que ça avait été un coup de chance. Je n'ai pas remonté de spectacle pendant plusieurs années. A posteriori, je réalise que j'avais besoin de temps pour me réapproprier ce succès et pour comprendre que, si j'avais réussi à trouver les gens et à les mettre sur mon chemin, cela avait à voir avec certaines capacités que j'avais moi ».
Les années Singtheatre
Nathalie Ribette prend le temps. De cette réflexion naît Sing'theatre en 2006 et, dans la foulée, une série de succès ? reprise de A Tribute to Piaf, Brel is alive and well, ?- qui ont pour point commun de jeter un pont entre la culture française et les Singapouriens ; une constante des spectacles de Nathalie Ribette depuis son expérience de Starmania.
5 années passent. Nathalie Ribette éprouve à nouveau le besoin de faire le point. « J'ai fait un break d'un an. Je me suis fait coachée. On a fait une remise à zéro pour comprendre les fondamentaux de ma motivation : faire des choses différentes, apprendre et transmettre. On s'est trouvé finalement face à 2 solutions : soit arrêter, soit passer une vitesse en organisant plus de spectacles chaque année, en développant un programme de musique dans les hôpitaux et en créant un axe éducation. On a obtenu le statut d'Institution of Public Character (IPC), un statut qui permet, sur le plan fiscal, de donner la possibilité aux donateurs de déduire de leur revenu fiscal, 2,5 fois le montant de leurs dons. Cela nous a permis de demander à nos sponsors de nous donner 2,5 fois plus sans que ça leur coûte davantage. Ils ont tous joué le jeu. On a monté 8 women, qui a valu à Serene Chan d'être récompensée en 2014 au titre de la best supporting actress, puis French kiss et A Singaporean in Paris, qui a été un énorme succès ».
Améliorer la société par la musique et le théâtre
Sing'theatre s'apprête bientôt à fêter ses 10 ans, en Octobre prochain. Elle réserve à cette occasion plusieurs surprises pour les saisons 2017 et à venir. A découvrir: de nouveaux spectacles encore tenus secrets mais qui vont apporter des nouveautés sur la scène Singapourienne. Tout cela sera bientôt dévoilé après les vacances d'été. « Beaucoup de nouveaux projets passionnants à venir pour cet anniversaire, nous sommes actuellement en train de travailler dessus pour l'annoncer prochainement à nos partenaires » explique Nathalie Ribette.
« Améliorer la société par la musique et le théâtre », Singtheatre le fait désormais autour de 3 axes : « la musique dans les hôpitaux, l'éducation, pour contribuer à former l'audience de demain, et la production de spectacles pour faire rire et réfléchir ». En 2014, la compagnie a créé la Singtheatre academy. Depuis 2012, elle organise MusicFest au Singapore General Hospital une fois par an. Depuis 2015, les artistes associés à Singtheatre se produisent chaque semaine dans les services du National University Hospital (NUH). Singtheatre est en discussion avec Tan Tock Seng Hospital où la compagnie devrait intervenir à partir de janvier. Coté spectacles, la compagnie travaille sur 2 grands thèmes : « la mère » en 2017 et « la vieillesse » l'année suivante. En attendant, elle reste concentré sur le grand sujet du moment : aider chacun à trouver le Jacques Brel qu'il a en lui.
Bertrand Fouquoire. Crédit photo : Anne Valluy
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Brel is alive and well and living in Paris
A l'affiche du SOTA Drama Centre, du 26 mai au 4 juin, dans le cadre du festival Voilah !
On a tous en soi une part de Jacques Brel, c'est le pari que fait Singtheatre en revisitant un spectacle, créé en 1968 par Mort Shuman, qui avait été un succès à Singapour en 2008.
Comédien, chanteur, metteur en scène et chorégraphe, Georges Chan a fait le choix de la sobriété : un décor tout blanc en référence à la simplicité des spectacles de Jacques Brel, chantant tout seul devant son micro. Sur scène, 2 hommes et 2 femmes vivent intensément la chanson qu'ils interprètent. Chaque chanson, parmi les 23 du spectacle ? Le moribond, Quand on n'a que l'amour, ?-, crée son propre univers. L'utilisation de projections habille le décor de tonalités particulières. Certains objets, utilisés de manière différente, tissent d'une scène à l'autre, une histoire de vies qui ont une actualité étonnante .
« Mort Shuman, explique Nathalie Ribette, a travaillé avec Brel. Il voulait vraiment le faire connaître aux Américains. Il n'a pas fait une traduction littérale mais a fait une réécriture des textes qui en conserve l'idée essentielle, même quand l'histoire change. Ainsi « Une valse à mille temps » devient-elle le carrousel, avec ses barbes à papa et le manège, comme la vie, qui tourne de plus en plus vite. Les timides deviennent la timide Frieda, si timide qu'elle se laisse abuser?On est dans la poésie. Pour les gens qui connaissent Brel, cette transposition par Mort Shuman est extraordinaire. »
Jacques Brel is alive & well and living in Paris
Du 26 mai au 4 juin SOTA Drama CentreMardi à Jeudi : 20H
Samedi et Dimanche : 16H et 20HToutes les informations dans l'Agenda