A 25 ans, Marien Guillé a déjà un parcours artistique long comme le bras. C'est qu'il chemine généreusement à l'extérieur des cadres, sautillant gaiement d'une activité à l'autre. A la fois poète, conteur, comédien et chroniqueur, il va de l'avant, troubadour moderne, un rien provoc, toujours positif, nourrissant son imagination de chaque goutte d'expérience. Un poète passe. Après un an à Singapour, ne hisse-t-il pas déjà les voiles ? Non sans offrir en guise d'au revoir, un feu d'artifice de contes, de poésie et de théâtre, seul, avec la danseuse Syv Bruzeau, ou avec ses jeunes élèves qu'il a emmené rue Broca.
Comment est née cette passion pour la poésie et le théâtre ?
Marien Guillé - J'ai commencé le théâtre et l'écriture à l'âge de 13-14 ans. J'ai découvert l'un et l'autre par hasard, lors d'une colonie de vacances pendant laquelle nous avions monté un spectacle pour les parents. Au collège, j'ai eu plusieurs fois l'occasion de participer avec succès à des concours de poésie. Au lycée, j'ai fait l'option théâtre. Ca a été une période très intense, entre les pièces que nous allions voir et dont nous devions rendre compte par écrit et la participation à de nombreux spectacles. A cette époque, j'étais tellement passionné que j'étais sur les planches presque tous les soirs.
A 17-18 ans, j'étais aussi impliqué en politique. Mais je me suis aperçu que j'avais plus d'impact au travers de la poésie. Ce qui m'intéresse c'est le contact.
Et après le Bac ?
Entre le Bac et la Fac de lettres à Aix en Provence, j'ai suivi une formation pour animer des ateliers d'écriture. Ce qui m'intéressait c'était de faire du social : faire comprendre aux gens qu'ils ont la capacité d'écrire et de raconter.
J'ai été à cette époque très impliqué dans une association dont la production partait dans toutes les directions : ateliers , festivals, lectures. Nous avons lancé à un moment les BIP- Brigades d'Intervention Poétique-. A l'université, nous distibuions également de la poésie sur le mode de la distribution de tracts politiques.
J'ai lancé Grain De Sable, une compagnie de théâtre. Nous avons mis en scène les textes des ateliers d'écriture, avec un musicien et une danseuse. Pour moi, il y a un lien évident entre le texte, la danse et la musique. Nous nous produisions un peu partout, chez les gens, dans les galeries d'art. Dans celles-ci, nous nous attachions à tisser des liens entre les ?uvres accrochées et les textes que nous interprétions. Nous organisions une forme de promenade entre les mouvements, les notes et les mots.
Quel nom donniez-vous à cette époque à votre projet professionnel ?
Mon idée était d'être une sorte de « troubadour des mots » qui relierait théâtre, poésie, atelier d'écriture et contes. Aujourd'hui je me sens bien dans l'appellation « Poète de Proximité » car j'aime aller au plus proche des gens et leur apporter une forme de nourriture culturelle. Avec les ateliers d'écriture, j'ai croisé des gens de tous horizons. Par exemple des femmes qui suivaient un soutien psychologique. A la première séance, toutes les femmes pleuraient. Après, elles ont pris de l'autonomie. Elles avaient la volonté de faire quelque chose. Elles ont écrit un livre qui a été publié.
Tout le monde peut-il donc écrire ?
Tout le monde peut écrire . Il y a autant d'écritures qu'il y a de gens. Il y a des moments ou la résonnance est forte. C'est vraiment une question d'ouvrir la porte.
Pourquoi la poésie ?
Beaucoup de gens sont intéressés par la poésie. Il y a probablement plus de blogs de poésie que de blogs de voyage. Mais il y a aussi un traumatisme qui vient de l'école, ou l'on étudie souvent uniquement les poètes morts. Lors d'une intervention avec des enfants, ces derniers ne voulaient pas croire que je puisse être poète. Pour eux les poètes étaient, par définition, des gens morts. J'aime la poésie parce que c'est un langage qui parle de l'intime et de la magie du monde, qui parle à nos émotions.
Comment un poète parvient-il à « faire son trou » à Singapour?
A Singapour, j'ai fait beaucoup de choses qui, chaque fois, m'ont ouvert des portes. Il faut accepter de se laisser porter. Avant de partir, j'ai fait des recherches sur Facebook et j'ai envoyé des messages à toutes les personnes que j'avais identifiées. Cest ainsi que j'ai été en contact avec Nathalie Ribette, qui m'a elle-même mis en contact avec Quentin Bernard dont elle savait qu'il recherchait quelqu'un. C'est amusant car le recrutement s'est fait de manière extrêmement simple et rapide. J'avais peaufiné mon CV et je m'étais préparé pour l'interview. A l'arrivée, l'échange a été très informel. Quentin Bernard m'a tout de suite proposé de travailler pour la Fun House.C'est le propre du domaine de l'art et particulièrement de la poésie : Il y a peu de concurrence. On est choisi sur des critères qui n'ont rien de rationnel. Il faut savoir prendre des chemins de traverse et multiplier les activités. J'avais publié un livre de poésie en France « éclats de vers ». Je viens d'en publier un autre « Lettres de Singapour ». Lepetitjournal a aussi été un nouveau terrain de jeu, qui m'a poussé à l'écriture en me donnant la contrainte de fournir chaque semaine la chronique du mercredi.
En quoi le séjour à Singapour aura-t-il nourri votre parcours d'artiste ?
Ce que je retiens de mon passage à Singapour: plus d'audace. C'est propre à Singapour. Cela permet d'ouvrir des portes. Singapour de prime abord paraît anti-poétique, mais quand on met la poésie au milieu, elle attire les connections.
L'autre enseignement de Singapour, c'est la simplification, pour moi, du rapport entre l'art et l'argent. En France il y a une grande hypocrisie. On apprécie l'art, mais on considère qu'il devrait être gratuit. A Singapour, l'art occupe toute sa place en tant que business. Les choses sont beaucoup plus claires.
Vous repartez bientôt en France, mais avant cela, vous vous produisez avec Syv Bruneau et organisez le 15 juin à The Substation un spectacle « rendez-vous rue Broca » réalisé avec les enfants qui participaient à votre classe de théâtre.
Le livre « Lettres de Singapour » fournit la matière de mon spectacle à Singapour avec Syv Bruzeau. C'est un duo, où les mots et le mouvement se croisent pour raconter la découverte et la vie quotidienne de Singapour à travers un regard poétique, décalé et fantaisiste. On se produit chez l'habitant, chez des francophones, pour l'AFS, chez des Singapouriens (en anglais) dans les shophouses et les HDB. On devrait se produire fin juin à Artistry.
Le spectacle avec les enfants, « Rendez-vous rue Broca » est réalisé avec les enfants, de 6 à 10 ans, dont j'ai animé la classe de théâtre cette année pour la Fun House. C'est un voyage dans l'imaginaire. Le spectacle est ouvert à un large jeune public et il n'est surtout pas limité aux parents des jeunes comédiens (dimanche 15 Juin. 16 :00 ? The Substation)
Propos recueillis par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) mardi 10 juin 2014
« Lettres de Singapour » - le livre- est disponible à The French Bookshop, 55 Tiong Bahru Road.
Illustration: élèves de la classe de théâtre Funhouse. Ils se produisent le 15 juin dans "rendez-vous rue Broca" à The Substation.
A noter que LE POETE DE PROXIMITE continuera d'accompagner les lecteurs du petitjournal.com Singapour après son départ puisqu'il nous enverra des chroniques de voyage pendant son périple en Asie puis des chroniques de retour en France quand il sera de retour à Paris ou dans le sud de la France. Il assurera ensuite la responsabilité de correspondant à l'étranger, basé en France, du petitjournal Singapour.