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HOMMAGE – Pierre Schoendoerffer, la mer et la jungle

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 21 mars 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

 

Pierre Schoendoerffer, marin et soldat de l'image, reporter et photographe, écrivain et cinéaste, Alsacien de souche et Breton d'adoption, Indochinois de c?ur et Français avant tout, est mort mercredi 14 mars 2012, à 83 ans. Il a été enterré lundi 19 mars au cimetière Montparnasse. En littérature comme en cinéma, il occupait une place exceptionnelle, reflet d'une vie tout aussi exceptionnelle, dont les deux grands univers de référence furent la mer et la jungle

Schoendoerffer disait fort justement que "dans la jungle, le haut des arbres se balance doucement, comme une grande houle verte, aussi terrible et menaçante qu'une vaste étendue océanique". De fait, si son ?uvre est ancrée avant tout dans les deux grands événements historiques que sont les guerres d'Indochine et d'Algérie, elle est aussi caractérisée par l'union de deux univers résonnant l'un et l'autre comme un irrésistible appel à l'aventure : la mer et la jungle. Deux univers qu'il a, dans ses livres comme dans ses films, excellé à évoquer, se hissant ainsi à la hauteur de Joseph Conrad qui fut pour lui une constante source d'admiration et d'inspiration.

Pierre Schoendoerffer, la Sentinelle de la mémoire © Nocturnes Productions & INA

Soldat de l'image, reporter et photographe
Né en 1928, il était encore trop jeune pour participer à la Seconde Guerre mondiale en tant que combattant. Se sentant inutile, il avait vécu cette époque difficile non sans douleur. Seule la lecture des livres d'écrivains comme Conrad et Kessel lui avait apporté une forme de réconfort. Elle lui avait surtout donné l'envie de prendre le large. Aussi, une fois la guerre finie, s'était-il embarqué dans la marine marchande. Parti de Pornic, il navigua de longs mois dans l'Atlantique Nord. Toute sa vie, il évoqua l'émerveillement causé par la beauté de la première aurore boréale qu'il vit sur les mers froides.

La lecture avait aussi fait naître en lui le désir de s'exprimer. Toutefois, ne s'estimant pas capable de devenir écrivain, il s'était dit qu'il pourrait tenter de devenir cinéaste, car, dans la naïveté de ses vingt ans, cela lui paraissait plus facile. Mais à Paris, les portes du cinéma demeurèrent fermées à ce jeune homme sans formation ni réseau familial. Sa seule solution fut de s'engager au service cinématographique des armées. C'est ainsi que, rêvant de devenir cinéaste, il devint soldat.

Envoyé en Indochine armé de sa seule caméra, il fraya aussi bien avec la troupe qu'avec les généraux, avec les villageois qu'avec les rois, se liant notamment avec Norodom Sihanouk. Puis, lorsque s'engagea la bataille de Diên Biên Phù, il fut parachuté avec le corps expéditionnaire français. Filmant jusqu'au bout des 57 jours de combat, il fut capturé et passa près de cinq mois dans les camps de prisonniers, au fond de la jungle. Contrairement à des milliers de ses camarades, il survécut.

Ecrivain et cinéaste de talent
Libéré, au lieu de prendre le chemin du retour vers la France, il entreprit un tour du monde qui l'emmena d'abord à Hong Kong. C'est là qu'il rencontra Joseph Kessel lui-même. Il lui déversa alors toute son expérience indochinoise, mais aussi sa vie de marin, et son désir de faire du cinéma.

C'est Kessel qui, ayant écrit un scénario, le rappela quelque temps plus tard pour lui en proposer la réalisation. Ce premier long métrage de Schoendoerffer, La Passe du diable, fut tourné en Afghanistan. Il fut primé à Berlin en 1958. Son producteur, Georges de Beauregard, qui en était lui aussi à ses débuts, proposa alors à Schoendoerffer de continuer. Deux adaptations de Pierre Loti s'ensuivirent : Ramuntcho et surtout Pêcheur d'Islande, avec lequel Schoendoerffer renouait avec l'univers marin.

Puis, il voulut enfin raconter un ce qu'il avait vécu. Ce fut La 317e Section, histoire d'une section française à la dérive dans la jungle indochinoise. Ne pouvant immédiatement transformer son scénario en film, il en fit un livre, paru en 1963. C'est ainsi que la littérature le rattrapa enfin pour de bon. Ce fut un véritable succès d'édition, à tel point que Georges de Beauregard revint vers lui pour l'aider à le réaliser. Le film, prix du meilleur scénario à Cannes en 1965, est aujourd'hui encore considéré comme l'un des plus beaux et des plus justes films de guerre du cinéma non seulement français mais aussi international.

En 1966, Schoendoerffer repartit au front, cette fois-ci pour couvrir la guerre du Vietnam menée par les Américains. Avec seulement un chef opérateur et un ingénieur du son, il passa deux mois avec une section américaine, ramenant un documentaire remarquable, La Section Anderson (en anglais, The Anderson Platoon, du nom du lieutenant noir commandant cette section). Le film obtint, parmi bien d'autres prix, l'Oscar du meilleur documentaire. Plus tard, il influencera des réalisateurs américains comme Oliver Stone et son Platoon. Schoendoerffer est ainsi le seul cinéaste à avoir filmé et la guerre d'indochine, et la guerre du Vietnam.

Les livres et les films s'enchaînèrent avec succès. L'Adieu au roi, son roman peut-être le plus conradien, remporta le Prix Interallié en 1969. Schoendoerffer passa le début des années 1970 à tenter de l'adapter à l'écran. Ses repérages l'amenèrent à Singapour et à Bornéo. Mais en vain. L'Adieu au roi eu toutefois une influence considérable sur Apocalypse Now, film co-écrit par Francis Ford Coppola et John Milius. Ce cernier était un grand fan du livre, et c'est finalement lui qui l'adapta au cinéma en 1989, sous le titre Farewell to the King.

La consécration fut totale avec Le Crabe-Tambour qui en tant que roman remporta le Grand Prix de l'Académie française en 1976, et en tant que film trois Césars en 1978. L'Honneur d'un capitaine en 1982 reçut le Grand Prix de l'Académie nationale de cinéma, mais fut accueilli de manière mitigée, faisant grand débat parmi le public et les critiques. La guerre d'Algérie était une plaie encore non refermée.

En 1992, il tourna Diên Biên Phù, dans lequel il livrait enfin sa version cinématographique de la fameuse bataille, bouclant ainsi la boucle. Servie par un magnifique concerto de George Delerue, cette ?uvre élégiaque est sans doute le film que se devait de faire Schoendoerffer. Car si quelque chose le caractérisa toute sa vie, ce fut bien la fidélité à ce qu'il avait vécu, et surtout à ceux avec qui il l'avait vécu.

Il fut même fidèle aux soldats américains de La Section Anderson, puisque vingt-deux ans après, en 1989, il partit aux États-Unis à la recherche des survivants, livrant avec Réminiscence un des plus émouvants  documentaires sur les séquelles d'une guerre.

La sentinelle de la mémoire
"J'avais rencontré Pierre Schoendoerffer à Singapour en 2005, dans le cadre du festival du film français. Ce déplacement était son dernier grand voyage en Asie. Le personnage m'ayant marqué par sa grande qualité morale, j'ai souhaité lui consacrer un documentaire, et il m'a fait, fin 2010 l'honneur et l'amitié d'y participer. Le titre en est Pierre Schoendoerffer, la sentinelle de la mémoire, car c'est le rôle qu'il avait peu à peu endossé, le conduisant à construire une ?uvre d'une grande constance et d'une grande cohérence.
Aujourd'hui, alors que Pierre Schoendoerffer poursuit seul son voyage au c?ur des ténèbres, c'est à la mémoire de la sentinelle de l'écrit et de l'image qu'il sut être que ce texte rend hommage
".

Raphaël Millet (www.lepetitjournal.com-Singapour) mercredi 21 mars 2012



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Publié le 21 mars 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

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