En flânant à la recherche de documents anciens sur la présence française en Chine, je suis tombé sur un guide d'escale de Shanghai des Compagnies Maritimes de 1939. La lecture fait l'effet d'une machine à remonter le temps. Jugez plutôt.
Au temps des paquebots à Shanghai
Comme beaucoup de passionnés d'Histoire de la Chine, j'ai fini par me rendre à la Librairie Indosiam, alors située sur Hollywood Road à Hong Kong. Parmi les trésors assemblés par le propriétaire, je suis tombé sur le "Guide d'escale de Changhai des Messageries Maritimes 1939". Les Messageries Maritimes existent à Shanghai depuis 1862, à la suite de l'aventure coloniale de l'Empire Français qui avait besoin, outre le transport des troupes, d'assurer l'approvisionnement de celles-ci et les services postaux. Puis la demande pour le transport de passagers conduit à lancer un service paquebots de luxe.
Les passagers de première classe bénéficiaient d'un confort exceptionnel, room service et cuisine gastronomique sur les ponts supérieurs. Les deux autres classes, par contre, n'avaient rien de comparable, quand on sait, par exemple, que c'est au fond des soutes de la même compagnie que sont partis pour le front de la Grande Guerre quelque 20000 travailleurs chinois pour creuser les tranchées en Europe.
Shanghai, une escale à risque
Dans "Les Français de Shanghai 1849-1949", Guy Brossolet nous apprend que les classes de luxe étaient interdites aux "filles soumises pourvues du passeport spécial qui les fait connaître comme telles", afin d'éviter que celles-ci n'importunent les passagers de marque. Aucun effort ne doit être épargné pour garantir la sécurité et le bien-être des premières catégories. Les animaux doivent être tenus en laisse et confiés aux soins du personnel de bord. Pour ces raisons, les riches Européens préfèrent souvent les Messageries Maritimes à leur concurrent japonais la N.Y.K. Line.
En 1939, c'est Jean Cochet qui dirige le bureau de Shanghai. C'est un notable de la Concession Française, à la fois Président de la Chambre de Commerce et du prestigieux Cercle Sportif Français (aujourd'hui Okura Garden Hotel). Il a donc tout intérêt à ce que le passage à Shanghai se déroule du mieux possible. Or depuis fin 1937, les Japonais ont envahi le Nord de la ville et occupent également la campagne et les faubourgs autour des Concessions Etrangères, faisant de Shanghai une escale à haut risque pour la compagnie.
Escale dans la Chine en guerre
Du fait du contrôle d'une grande partie de la ville par les troupes de l'Empire du Soleil Levant et le gouvernement de collaboration de Wang Jingwei, la circulation des touristes dans les secteurs de Chabei (Zhabei) ou Hunjao (Hongqiao) est devenue quasi impossible. Le guide d'escale de Shanghai explique donc que le passage vers le Nord de la rivière Suzhou ne peut se faire qu'avec un taxi muni d'un laissez-passer spécial délivré par les autorités japonaises. Quant à la visite du Civic Center de Kiangouan (Jiangwan), ancien siège de la municipalité chinoise du "Plus Grand Changhai", celle-ci est interdite suite à son bombardement et sa prise par l'armée japonaise.
Le guide recommande donc des endroits sécurisés et luxueux comme le Cercle Sportif Français, proche de l'Avenue Joffre (Huahai Road Central aujourd'hui), ce qui est un conseil bien normal venant de son président. On trouve aussi sur le dos du livret d'escale, une publicité en français pour les hôtels de Sir Victor Sassoon : Le Cathay Hotel (Peace Hotel aujourd'hui), le Cathay Mansions et le Metropole. Il est clair que le célèbre homme d'affaire avait tout intérêt à capter la clientèle de luxe des Messageries Maritimes pour ses hôtels de première classe. Enfin, et ce détail n'est pas des moindres, un plan avec une sélection de rues à visiter figure en bonne place dans ce guide et nous donne une bonne indication de l'attention de la compagnie portée à la sécurité de ses clients.
L'allée du sang à Shanghai
Si comme moi, vous aimez les histoires croustillantes qui ont émaillé le passé du Paris de l'Orient, allez donc faire un tour sur le site de la Société d'histoire des Français de Chine dont le président David Maurizot a été récompensé en septembre par notre journal par l'un des deux Prix Education des Trophées des Français d'Asie de l'Est. Les conférences à thèmes et intervenants vous feront encore mieux que moi voyager dans le temps à la découverte de cette ville vicéralement cosmopolite et multiculturelle.