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BLOG - Vivre au temps du Coronavirus : le retour à Shanghai

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Crédit Caroline Boudehen
Écrit par Caroline Boudehen
Publié le 19 mars 2020, mis à jour le 18 février 2021

Le grand, le tant attendu (un mois et demi quand même), le « courageux » (comme certains l’avait qualifié, avant – ils ont désormais changé d’avis), « l’irresponsable » (comme d’autres l’avaient jugé, avant…) bref, le long (probablement le qualificatif le plus objectif) retour à la maison s’est enfin concrétisé. A la maison, c’est-à-dire, oui, en Chine, à Shanghai. Venir à Paris, au moment des vacances du Nouvel An Chinois, ce n’était pas vraiment une fuite à l’annonce de l’éclosion d’un étrange virus – dont les légendes quant à sa naissance et sa propagation allaient pourtant déjà bon train – mais plutôt d’un hasard.

Grand Arbre, mon tendre époux, avait à faire en Europe pour un mois, et de mon côté j’y allais juste pour la semaine de vacances officielles, histoire de me sortir un peu des histoires de chauves-souris, de pangolins, de il-parait-qu-« ils »-vont-désinfecter-la-ville-de-Shanghai-en-pulvérisant-des »produits »-par-avions-ne-sortez-pas-de-chez-vous. Bref, je n’avais pas vu l’ampleur du phénomène se profiler, et je partais donc, toujours convaincue, pour une seule semaine. Parce qu’aussi, le côté retour en France quinze jours après Noël, où j’avais déjà bullé un certain temps, ça n’avait rien d’urgent (ceci est une litote).

En ce flamboyant début d’année, j’étais lancée, projets pro et perso en veux-tu en voilà, des idées à pleines brassées… 2020 démarrait tambour battant ! Bon, ben ça ne s’est pas exactement passé comme prévu. Nous sommes arrivés en France in extremis avec les derniers vols programmés, et bien sûr, notre chance fut louée comme une grâce divine. « Ohlala, c’était moins une quand même ! » « Vous devez être soulagés d’avoir pu partir », « Y’en a qui sont bloqués, vous avez vraiment eu du bol », etc., etc. Mais, tout de même, dans ces moments de liesse, je remarquai des sourcils se froncer imperceptiblement… Une pointe d’inquiétude peut-être, rapport au pays d’expédition de nos bonnes âmes ? « C’est super que vous soyez rentrés… Mais… sinon, quand même ça va, je veux dire, vous n’avez pas de symptôme ? » « Vous êtes sûrs, vous avez été testés ? » Du coup, au début, on a passé un peu de temps à donner des cours de géo avec des schémas – non Wuhan c’est pas Shanghai, non c’est pas pareil, la Chine c’est un peu plus grand que la France, si si ça change vraiment la donne. Enfin, les gens étaient quand même contents, limites envieux… « Trop bien les vacances obligatoires ! » Moui, enfin non. En fait, j’ai des trucs à faire.

Bref, entre ce moment et le retour surréaliste (cet adjectif-là aussi caractérise bien le retour en question), il s’est passé un mois et demi de déambulations agacées, tribulations moroses, heureusement ponctuées par des moments ultra-cool… Tout en suivant forcément l’évolution de la situation en Chine. De quoi vous faire devenir psychotique pour de bon, définitivement survivaliste et expert en collapsologie, cette nouvelle reconversion tendance.

Mais après moult protestations et tergiversations – Doit-on ou non rentrer maintenant à Shanghai, attendre encore, mais allez où – on a finalement pris cet unique vol quotidien Paris-Shanghai le 7 mars. Et bien j’ai envie de dire – d’ailleurs je le braille tous les jours un nombre incalculable de fois – « ON A BIEN FAIT (bordel), J’AI EU LE NEZ FIN SUR CE COUP-LA ». Ce qui me confère une nouvelle autorité à la maison, ainsi qu’une aura décuplée. Pas que je n’ai pas envie d’être solidaire avec l’Europe ou la France en particulier, mais bon, ç’aurait été ballot d’y être confinés, alors qu’on est partis exactement pour les raisons inverses. Enfin… pour une fois, j’ai suivi mon instinct, cette petite voix qui est toujours là et à laquelle je n’accorde que trop peu souvent de crédit. Il n’y avait aucun argument rationnel à ce retour d’ailleurs. C’est pourquoi Grand Arbre, lui, rechignait à revenir en Chine… Allez parler d’instinct ou de feeling à un cartésien… Je vous passe les détails, mais quelques menaces plus tard, et tout le monde était dans l’avion.

Toutefois, on ne savait pas exactement dans quoi on allait mettre les pieds ici. Les Chinois sont toujours obscurs en matière d’éclaircissement : faire une quarantaine, peut-être, mais où, ça dépend, les activités ont-elles reprises, peut-être ça dépend lesquelles. Depuis la nuit des temps la vie en Chine dépend d’une instance supérieure impénétrable, ce n’est pas un virus qui va changer ça.

Après nous avoir gardés 4h dans l’avion après l’atterrissage – on ne saura jamais pourquoi – on a pu passer les contrôles sécu-sanitaires (2h), l’ensemble de l’épopée gérée par les Hommes en Blanc. Et finalement, après un surflicage en règle – là, s’il y avait des données qu’on avait pu garder encore un peu pour nous, clairement, ce n’est plus le cas. On est désormais à poil (c’est une image, je précise, on sait à quelle vitesse les fake news se propagent…). Mais, bon, « c’est pour notre sécurité et celle des autres ». Sans commentaire.

 

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Quoiqu’il en soit, 7h plus tard on rentrait avec soulagement chez nous, avec tous nos QR codes au vert : tamponnés « en bonne santé », nous étions considérés officiellement aptes à nous mêler à la communauté.

Je n’ai pas eu de quarantaine imposée donc, Grand Arbre si, une gentille, par sa boite, pour 14 jours, à la maison. Il faut savoir que, 2-3 jours plus tard, la France passait en pays à « haut risque », et que depuis c’est quarantaine en centres spéciaux obligatoires à l’arrivée. Du coup, j’ai pu aller prendre la température du quartier, pas encore en pleine conscience de ce à quoi on avait échappé…

Je pensais arriver dans une ville fantôme, et bien non, pas du tout, c’était un Paris jour d’essai de quarantaine (avant la vraie). Tout le monde dehors, à papoter et s’agglutiner.

 

 

Vous me direz, après 45 jours de confinement imposé, les gens sont heureux de se retrouver. Je me suis baladée, entre checkpoints de prise de température intempestive – et imposée à chaque coin de rue ou entrée de commerces – avertissements placardés sur les vitrines – et gens heureux.

 

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Avant le retour à la semi-normalité, l’ingéniosité chinoise a tout de même encore eu le temps de frapper. Exemple chez les restaurateurs…

 

 

mais aussi chez les coiffeurs.

 

 

Allez courage les Français ! Si les latins d’Asie ont passé l’épreuve, vous pouvez le faire ! Et pour celles et ceux qui auraient des déplacements impératifs à prévoir, vous pourrez toujours vous inspirer de leur expérience dans le domaine. Dans l’adversité, le ridicule n’existe pas.

 

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Et puis, il y a le point positif dans cette histoire. Hormis « apprendre à accueillir douleur et frustration », « ralentir », « se réinventer », tout ça – ce qui est très bien hein – les gens vont vraiment se laver les mains plusieurs fois par jour – moi ça me rassure. Mais surtout, on va arrêter de se claquer la bise. C’est très personnel, mais franchement, c’est un traumatisme depuis l’enfance. Quand tu es une meuf, combien de milliers de millions de fois as-tu été obligée de coller la peau de ton visage sur celle, rebutante, d’un autre ? Et pour le côté collectif, dire qu’on a « une vie de cinglé et qu’on a le temps de rien » est une excuse qui va tomber en profonde désuétude, au moins pour un temps – et ça aussi, c’est pas mal. Bref, plus de raison d’être sous l’eau, mais plein de bonnes d’avoir les pieds bien sur Terre.

J’allais oublier, pourquoi une histoire d’épinards dans le titre ? Parce qu’à Shanghai, il n’y a pas de pénurie de PQ. Par contre, j’ai arpenté plusieurs commerces, échoppes, supermarchés en dur et en ligne, et… impossible de trouver des épinards frais. Pas qu’à la base j’en voulusse absolument, mais c’est devenu une sorte d’obsession, à partir du moment où je n’en trouvais pas. Et puis on m’a dit : « Ah non, mais laisse tomber, il n’y a plus d’épinards à Shanghai, plus du tout » . Ce qui ne semblait pas étonner cette personne. Pourquoi une pénurie d’épinards? Je ne sais pas. Les mystères de Chine, sans exception, restent entiers. Mais les Etats-Unis savent peut-être quelque chose.

 

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Les tribulations de Caro

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Coups de cœur et coups de gueule : Les Carnets de Shanghai vous immergent avec humour dans l’Empire du Milieu. Un blog inspiré de l’actualité en Chine, et de la vie quotidienne de Caroline Boudehen - auteure, reporter et critique d’art expatriée depuis 2016 à Shanghai.

 

Caroline Boudehen Le Petit Journal Shanghai
Publié le 19 mars 2020, mis à jour le 18 février 2021

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