Depuis 2 ans on avait l’impression, nous Français de Chine, d’habiter une autre planète. Un voyage hors de Chine pour retrouver nos proches, c’est aussi périlleux et coûteux qu’un tour en Space X d’Elon Musk, avec les cosmonautes en Hazmut comme seul contact humain au retour pendant les 14 à 21 jours de quarantaine. Maintenant que la pandémie est officiellement terminée (selon le souhait des dirigeants Occidentaux lors d’un sommet prévu cette semaine), on va encore s’éloigner d’une année lumière... Nouvel éclairage de l’équipe bénévole Solidarité Covid – Français de Chine.
Un sommet international “post Covid” est appelé pour sonner la fin de la pandémie et mieux anticiper les suivantes… Avant cela, on aura un énième variant d’Omicron qui viendra, 6 mois après le pic de Janvier toucher des personnes dont l’immunité acquise par l’infection précédente (+ les vaccins) serait affaiblie. Or soit, Omicron est moins létal pour les personnes vaccinées, mais comme il est beaucoup plus contagieux, on se retrouve avec plus de décès au final, en tout cas dans les pays Occidentaux où le reporting Covid a été maintenu.
Les décès Omicron vs les décès Delta : 3 catégories de pays où les décès Omicron sont plus élevés que les décès Delta : 1) Les pays peu immunisés par les vagues précédentes (Océanie, Corée du Sud), 2) Hong Kong sans aucune immunité infectieuse et mal vacciné de surcroît seule dans sa catégorie, 3) les pays Occidentaux qui ont maintenu un reporting covid acceptable. Ailleurs c’est silence radio…
L’Afrique du Sud qui a été touchée en premier par Omicron dès la fin novembre 2012, est touchée maintenant par BA.5 en premier, avec sa population déjà très immuno-déprimée par le Sida (13% de la population, tendance baissière).
On ne peut pas généraliser ce qui se passe actuellement en Afrique du Sud au reste du monde (prévalence Sida, faible vaccination), mais ce qui est sûr, c’est que les ré-infections iront croissantes à distance de la première infection, car certains gardent une immunité pendant 1 à 2 ans, d’autres l’ont déjà attrapé 3 fois en 2 ans.
Vivons heureux, vivons cachés
La pandémie est devenue endémique, mais tel un cosmonaute accroché à sa bouteille d’oxygène, il va falloir procéder à une vaccination régulière pour protéger les personnes fragiles. La Chine ayant les moyens logistiques / digitaux de sa stratégie zéro-Covid et n’ayant aucune envie de se retrouver dans ce cycle infernal des vagues, elle va laisser les Pythies prévoir l’ampleur de la prochaine vague, regarder passer la vague, et devrait poursuivre son objectif Zéro-Covid, avant et après le congrès d’Octobre.
Qui sera touché en premier et quelle ampleur ? Cela dépendra de la circulation du virus au moment où l’immunité infectieuse sera affaiblie et donc de l’antériorité du pic Omicron. A partir de notre base de données Globale (issue de Worldometer), les pays de plus de 2 millions d’habitants ont été classés par date du pic Omicron. Avec un pic avant décembre 2021, il y a déjà une quarantaine de pays qui n’ont pas connu de pic Omicron : les Emirats avec leur politique de dépistage permanent instaurée à l’occasion de l’Exposition Universelle, le Maroc qui a fermé son ciel aérien jusqu’à mi-février, et une multitude de pays qui ont arrêté tout reporting après avoir atteint leur objectif de vaccination.
17 pays Africains en tête de la chronologie des pics Omicron. Ensuite vient la Grèce et le UK (où Omicron est probablement né dans un contexte de forte circulation du Delta depuis juillet et le Freedom day…, donc mélangé à Delta et avec une immunité plus élevée qu’en Afrique du Sud pendant plusieurs semaines). Sur ces 17pays, seule l’Afrique du Sud a un reporting Covid régulier et un niveau de tests décelable.
Fin du classement. Après les 17 pays africains avec pic en décembre, on trouve 99 territoires avec pic en Janvier, principalement des pays Occidentaux avec reporting conséquent. Viennent après les pays touchés plus tardivement par Delta (Japon, Indonésie, Corée du Sud) et qui ont été touchés par Omicron avec un décalage lié à leur immunité Delta, et la Grande Chine.
Le langage des extra-terrestres
On l’a déjà dit, la dynamique de la pandémie et son analyse est complètement différente dans un contexte de stratégie zéro covid que partout ailleurs et donc on n’analyse par les mêmes indicateurs. Avec les méga foyers de Shanghai et Jilin, on a pu commenter néanmoins pour la première fois depuis Wuhan les mêmes indicateurs que ceux de nos analyses globales, à savoir :
- l’incidence vs Population (respectivement 1078 au pic pour Shanghai et 243 pour Jilin city /Changchun),
- léthalité (0.091% pour Shanghai, ce qui la place en 6ème position des léthalités les plus basses au monde),
- part des cas de cas sévères (0.59% au pic des cas sévères à Shanghai, 0.43% à Jilin ).
La définition des cas sévères que nous collectons dans Worldometer varie de réanimation à Intubation selon les pays. Avec 0.59% de cas sévères au pic, on constate que Shanghai non saturé en réanimation est plutôt prévenant pour les patients à risque par rapport aux pays ayant connu de très fortes incidences.
Malgré ceci, l’incompréhension reste totale au sujet de plusieurs indicateurs pour les analystes des organisations internationales.
En premier, les asymptomatiques souvent présentés comme non comptabilisés dans les chiffres officiels alors qu’ils ont toujours été annoncés au moins au niveau national par la Health Commission, y compris ceux qui devenaient confirmés. Du coup avec la masse de cas dits « asymptomatiques » rapportée dans les méga foyers (ce ne sont pas vraiment des asymptomatiques, mais des cas positifs non encore examinés), les chercheurs s’y sont intéressés. Worldometer, notre source de données Globale, est restée sur la définition cas confirmés (et nous l’ajustons pour intégrer ces asymptomatiques, séparer les cas importés des cas locaux), mais John Hopkins University, la référence mondiale s’y est tentée, et là on reste bouche bée devant l’écart entre leur courbe et la nôtre (issues des données officielles Chine collectées tous les jours, on peut se tromper mais pas à ce point…).
D’après John Hopkins University, la Chine a atteint le pic le 21 avril et a maintenant baissé de 64% par rapport au pic. En réalité, l’incidence en Chine continentale a baissé à partir du 14 avril et baissé de 94%. Quant au dashboard de l’OMS, il ne différencie pas la Chine continentale, il est illisible actuellement du fait de la flambée de Taiwan.
John Hopkins affiche un pic des nouveaux cas à 31 000 le 21/4 alors qu’à cette date là on en était à 23 000 cas. Quand la Chine est à son pic, John Hopkins est 6% en dessous et au final on a 44% de plus chez John Hopkins sur la période. Qu’on ajoute Hong Kong Taiwan (courbe verte qui repart à la hausse depuis la flambée à Taiwan), que l’on de dédouble pas les asymptomatiques devenus confirmés, rien n’y fait.
Incompréhension sur les modes de transmission en Chine
En second, ce sont les tests de Chine qui ne sont pas rapportés dans les bases internationales. On reste scotché à 160 millions de tests depuis des mois… En Chine, même à l’ère des méga foyers, une large partie du territoire est Covid Free, les campagnes de dépistage sont organisées par les villes dès l’apparition d’un cas contact, par les entreprises pour les professions exposées, et il n’y a pas de consolidation provinciale et encore moins nationale.
Et enfin, incompréhension sur les modes de transmission. On le sait, le virus se transmet principalement via les gouttelettes propulsées dans l’air (d’où l’intérêt du port du masque), mais on a de nombreux exemples de foyers en Chine où la première contamination s’est faite par objet issu ou non de la chaîne du froid. Là c’est une question de probabilité : dans 95% des cas où un objet contaminé est au contact d’un homme, pas de transmission, mais dans les rares cas où l’objet contaminé se transmet à l’homme, on va avoir un foyer. On a pu observer cela de près sur des dizaines de micro-foyers pré-Omicron, avec des centaines d’échantillons de produits frais testés positifs dans tout le pays, dont une infime minorité ont généré des contaminations locales. Depuis BA.2, on voit un grand nombre de foyers inexpliqués en Chine, ou ces fameux cas non tracés de Shanghai dans des résidences où il n’y avait pas eu de cas auparavant et confinées comme tout le monde. Au séquençage on retrouve une souche déjà active en Chine (comme le foyer en cours à Pékin) sans qu’il y ait eu déplacement humain interprovincial (soumis à quarantaine, tests, etc…).
Contrôler les foyers de Shanghai
Contrôler les foyers, c’est aussi réduire la fréquence de ces foyers endogènes, on voit déjà l’impact de l’amélioration de Shanghai sur le nombre de nouveaux foyers qui revient en avril au niveau (encore élevé) de février.
Notre base de données des foyers nous livre un nombre de foyers de contamination indépendants les uns des autres.
Qu’est-ce qu’un « nouveau foyer » ? Un chauffeur de camion de retour de Shanghai testé positif dans sa province ne générera pas un « nouveau » foyer, au pire un sous-foyer s’ils n’a pas été mis en quarantaine à l’arrivée, et c’est arrivé dans plusieurs provinces (Xining, Hebei, Shandong, Guangzhou). Seuls les foyers pour lesquels on n’a pas trouvé de lien avec un foyer existant dans la trajectoire du patient 0 compteront comme « nouveaux foyers ». 57 « nouveaux » foyers en mars, c’est autant de foyers probablement liés à des transmissions par objet / chaînes du froid en provenance de Shanghai / Jilin.
Les 2 méga-foyers arrivent à leur terme. A Jilin, les écoles réouvrent progressivement depuis le 5 mai. A Shanghai, l’incidence est en forte baisse, on a touché plusieurs jours les 100% de cas tracés. Il faudra encore voir baisser l’incidence pour relâcher la population exténuée par des semaines de confinement.
Si près du but, on peut penser que la Chine ne lâchera rien. Elle fait fi de tous les bons conseils prodigués par l’OMS, la Chambre de Commerce Européenne etc…, et publie dans Nature un macabre scénario du « vivre avec » : 1.5 millions de décès malgré une vaccination accélérée des personnes très âgées, une saturation de la réanimation à 15 fois la capacité.
10 mai 2022 : Déclaration du Directeur Général de l’OMS, rejetée par la Chine.
Les foyers de la Chine, malgré les écueils de comptabilisation des cas et probablement des premiers décès des méga foyers (notamment les délais de reporting qu’on a pu constater), c’est l’opportunité d’avoir une couverture totale et quotidienne du dépistage dans les zones contaminées, et donc des données épidémiologiques qui sont proches de la réalité du virus car non soumis aux biais d’échantillons (incidence, taux de positivité, taux de reproduction, durée d’incubation, taux de cas sévères, et in fine de taux de mortalité). L’OMS pense bien connaître Omicron, certes, mais la Chine, constamment confrontée à celui-ci, mais rarement débordée grâce à son isolement sur sa planète, a tout loisir de l’analyser sous toutes ses coutures, et le connaît probablement mieux que quiconque.
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Carole Gabay est en expatriation familiale à Shanghai depuis 2013. Diplômée de l’ESSEC, avec une longue carrière dans les études de marché et data management, elle se retrouve impliquée dès le début de l’épidémie en Chine dans le tracking des données Covid avec le projet de l’équipe bénévole Solidarité Covid – Français de Chine, une initiative de l’UFE-Shanghai.
Manifestez votre soutien à Solidarité Covid – Français de Chine sur l’opération de crowdfunding sur Yoopay : https://yoopay.cn/cf/10212
Hors de Chine : https://deeperin19coviddata.wordpress.com/donate/
Merci à Virginie Duret, Gaëlle Dechelette, venues en renfort de Laëtitia Bernard-Granger et Claire Jiang pour aider pendant la crise des méga-foyers.